Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 11 janvier 2024
Place de nouveau à la jeunesse pour la seconde soirée de suite à la
Philharmonie de Paris. Après le Conservatoire de Paris CNSMDP mardi, c’était au
tour de l’Orchestre Français des Jeunes de s’illustrer, dirigé pour la dernière
fois par Michael Schønwandt dans un programme exigeant tant il associait brio,
homogénéité, virtuosité, beauté du son, avec la touchante Piccola musica notturna de Luigi Dellapiccola, l’« Empereur » de Ludwig van Beethoven par une Elisabeth Leonskaïa aux doigts
d’airain et dans un Impromptu de Franz
Schubert, et le dense et complexe Concerto pour orchestre de Béla Bartók impeccablement mené, et en
bis en guise d’adieu au chef danois présent depuis quatre ans, un festif España d’Emmanuel Chabrier avec de facétieux
contrebassistes dansant avec leurs instruments
La quarante-deuxième année
d’existence de l’Orchestre Français des Jeunes (OFJ) aura été la dernière des
quatre saisons de Michael Schønwandt à sa tête. Toutes décorations fièrement
accrochées au revers de sa queue de pie en cette soirée parisienne, le chef
danois avait lui-même succédé à Fabien Gabel en 2021, et il sera lui-même
relayé en 2025 par une Estonienne, Kristiina Poska. Cette dernière aurait l’intention
de retourner à l’une des constantes de cette phalange à but pédagogique, la
mise en résidence d’un compositeur vivant autour d’une œuvre spécifiquement
composée pour elle.
Résident depuis l’été 2023 de la
saline royale d’Arc-et-Senans et de l’Opéra de Dijon en Bourgogne Franche
Comté, installé dans les murs de la Philharmonie de Paris depuis l’ouverture de
cette dernière en janvier 2015, l’OFJ est considéré par son haut degré
d’excellence comme le navire amiral des orchestres de jeunes français. Sa
mouture cru 2024 a donné son dernier concert de la saison dans la Salle Pierre
Boulez sous la direction de son directeur musical depuis 2022, le Danois
Michael Schønwandt. Ce
concert conforte le niveau d’excellence atteint par les jeunes recrues de cette
formation à but pédagogique qui s’impose toujours davantage comme un passage
obligé pour les apprentis musiciens qui entendent se lancer dans une carrière
d’orchestre. D’autant que, comme de coutume depuis la fondation de l’OFJ en
1982, les œuvres proposées à la centaine d’élèves des conservatoires nationaux,
régionaux et étrangers âgés de 16 à 26 ans par les responsables de l’orchestre
pour les sessions de cette année ont permis comme de coutume de mettre en valeur
à tour de rôle les divers pupitres de l’orchestre, aussi bien les cordes que
les bois, les cuivres et la percussion.
L’OFJ a confirmé une fois de plus
n’avoir rien à envier à quantité d’orchestres professionnels aguerris dans un
programme varié, réunissant œuvres des XIXe et XXe
siècles de compositeurs allemand, hongrois et italien. C’est sur
une œuvre rare que s’est ouvert le concert, la touchante Piccola musica notturna (Petite
musique nocturne) (1954-1961) de Luigi Dallapiccola (1904-1975) que la
jeune phalange a commencé sa prestation avec une pimpante poésie, sollicitée
par un Schønwandt économe en
gestes mais couvant des yeux ses musiciens, l’ascendance du chef sur l’orchestre
conduisant à la mise en exergue de la subtilité et de la mobilité de l’écriture
du compositeur italien qui fait chanter comme personne le dodécaphonisme hérité
de la Seconde Ecole de Vienne vu par le prisme de l’Italie.
C’est un Concerto pour piano n° 5 en
mi bémol majeur op. 73 « Empereur » (1809) de Ludwig van Beethoven
(1770-1827) superlatif qu’a offert Elisabeth Leonskaïa au public parisien. Quel
engagement ! Quel nuancier ! Quel toucher, plein, puissant, ferme et souple à
la fois, aérien, sûr… Ses phrasés, ses rubatos, ses ralentendi, ses sonorités charnelles et d’une amplitude
épanouie ont fait sonner le piano tel un très grand orchestre symphonique aux
graves à se pâmer, le tout en totale fusion avec le jeune orchestre… Douée
d’une technique imparable, la pianiste géorgienne exalte de son instrument des
sonorités épanouies et étoffées suscitant des graves dodus et des aigus aux
riches harmoniques, n’hésitant pas à s’adonner à une douce mélancolie, que souligne
une force adaptée à la plénitude conquérante du Titan de Bonn. Michael Schønwandt a
sollicité l’Orchestre Français des Jeunes avec soin, prenant soin tour à tour à
soutenir le soliste, à concerter avec elle, à prendre le pas sur elle à bon escient,
répondant avec la plus vigilante attention aux options de sa soliste. Sous les
doigts d’airain apte au plus large nuancier imaginable, l’Impromptu de Schubert que Leonskaïa a donné en bis a été pur
enchantement, la pianiste géorgienne paraissant ainsi répondre de mauvaise
grâce aux sollicitations de ses auditeurs.
Composé en 1943, le Concerto pour orchestre de Béla Bartók (1881-1945)
est l’une des partitions les plus exigeantes du répertoire symphonique. Geste large
et détendu mais précis, bras solide, Michael Schønwandt a imposé
sa vision dynamique et colorée du Concerto
pour orchestre de Béla Bartók, tout en lui instillant l’expressivité
idoine. Les musiciens de l’Orchestre Français des Jeunes ont joué le jeu avec
un plaisir évident, chaque pupitre traité en solistes s’exposant volontiers à
la virtuosité et au brio tout en donnant un patchwork de couleurs et de nuances
dense et contrasté, d’une justesse éloquente, jusqu’au sombre registre du Château de Barbe-Bleue, que l’orchestre
devait donner en Allemagne à la toute fin de cette tournée. A l’issue de cette enthousiasmante
démonstration, à l’instar de chacun de ses concerts depuis 1982, l’Orchestre
Français des Jeunes avait préparé un bis,
portant cette fois son dévolu sur un compositeur français du XIXe
siècle tourné vers la péninsule ibérique, Emmanuel Chabrier (1841-1894) et sa
rhapsodie España de 1883,
interprétée avec gourmandise par un OFJ ivre de lumière, de rythmes et de sons,
au point que les huit contrebassistes ont fini par faire danser leurs
instruments.
Bruno Serrou
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