Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 17 décembre 2024
C’est toujours un grand plaisir de retrouver le Royal Concertgebouw
Orchestra d’Amsterdam à la Philharmonie de Paris dont il est partenaire privilégié. Mardi soir,
dans un programme festif, il était dirigé avec délectation par le Hongrois Iván
Fischer dans une œuvre d’un Néerlandais ami de Mahler, Strauss et Schönberg, Alphons
Diepenbrock, suivi du Concerto « Jeunehomme » de Mozart par une Maria João Pires géniale
musicienne dialoguant avec l’orchestre en parfaite osmose mais d’évidence
fatiguée au point de se refuser à un bis,
et une magistrale Symphonie n° 8 d’Antonín Dvořák, énergique, bondissante, chantante, lumineuse. En bis une Danse slave du même Dvořák
Un programme festif attendait le public de la Philharmonie. D’abord l’affiche, avec la présence de l’une des reines de la Philharmonie, la pianiste portugaise Maria João Pires, qui avait annulé son concert en octobre dernier pour raison de santé, dialoguant cette fois avec l’un des plus grands orchestres du monde, le Royal Concertgebouw Orkest Amsterdam, qui entretient des relations privilégiées avec la Philharmonie de Paris, et le chef hongrois dont chaque apparition fait le bonheur de la Salle Pierre Boulez, comme l’a attesté le concert qu’il a dirigé à la tête de sa propre phalange, l’Orchestre du Festival de Budapest voilà un peu plus de trois semaines dans un concert monographique consacré à Johannes Brahms (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/11/le-budapest-festival-orchestra-Iván .html). Cette fois, c’est avec un programme plus large couvrant trois siècles d’histoire de la musique, avec une partition du XVIIIe en son centre. C’est sur une œuvre d’un compositeur batave du XXe siècle fort joué en France que la phalange néerlandaise a débuté la soirée, Alphons Diepenbrock, contemporain de Camille Saint-Saëns mort comme lui en 1921 mais ayant vécu vingt-sept ans de moins que le Français, un compositeur autodidacte, docteur en lettres classiques qu’il enseignera jusqu’en 1894 pour se consacrer exclusivement à la composition. Proche de Willem Mengelberg, qui lui présenta Gustav Mahler (il dirigera sa Symphonie n° 4 en présence de Mahler à Amsterdam), Richard Strauss et Arnold Schönberg, dont il devint l’ami il composera plusieurs partitions pour son orchestre du Concertgebouw bien que l’essentiel de sa création est vouée à la musique vocale. Son style associe la polyphonie du XVIe siècle au chromatisme wagnérien auxquels s’ajoute le raffinement de Debussy, dont il se plaisait à diriger les partitions pour orchestre. C’est en tout cas ce que confirme la courte page composée en 1910 que constitue l’Entracte extrait de la suite de la musique de scène Marsyas écrite pour la « comédie mythique » éponyme de son élève en littératures anciennes, le poète Balthazar Verhagen (1881-1950). Un Andante con moto (poco sostenuto) où il est question d’un faune errant à travers un bois où coule un ruisseau que l’on entend à travers le murmure des feuilles. Une page fort bien interprétée qui ne laisse cependant pas un souvenir impérissable.
Le Concerto n° 9 pour piano et orchestre en mi bémol majeur KV. 271 dit « Jeunehomme » porte en fait une dédicace à une jeune femme, Mademoiselle Jeunehomme, virtuose du clavier parisienne fort en vue à l’époque. Mozart l’avait rencontrée à Salzbourg avant de la revoir un an plus tard à Paris. Alors âgé de vingt et un ans, Mozart est mis au contact par le biais de Mademoiselle Jeunehomme de l’esprit des Lumières qu’il découvre tandis que les cours d’Europe sont encore sous l’emprise des fastes du Versailles de Louis XIV. Douze ans avant la Révolution, le goût français aspire à la simplicité expressive, particulièrement en musique, sous l’influence du chevalier Gluck, qui fut à Vienne professeur de la future reine de France. Fait exceptionnel pour l’époque, ce concerto constitue assurément un élément autobiographique, tandis que peu de finale d’œuvres de Mozart sont plus inventifs que celui-ci, tant sa fougue juvénile est irrésistible.
Silhouette frêle et menue, toujours
souriante et humble, Maria João
Pires en a donné une interprétation d’une fraîcheur simple et juvénile,
touchant par sa sincérité nue, ses mains aux doigts courts tirant du Steinway
des sonorités rutilantes et limpides, sa façon de jouer détachée n’étant qu’apparente
tant il a émané de son expression une ardente lumière dans son dialogue
vivifiant avec la complicité sereine des musiciens de l’Orchestre du
Concertgebouw d’Amsterdam et d’Iván Fischer. En dépit de l’insistance du public,
et malgré quelques hésitations, la pianiste portugaise a fini par renoncer au bis espéré auquel elle a échappé après
avoir appel au soutien du chef hongrois.
Moins célèbre que la symphonie de
l’exil qu’est la « Nouveau Monde »,
la Symphonie n° 8 en sol majeur op. 88 composée
en 1889 a une orchestration plus aérée que les symphonies qui l’entourent. Pour
mieux en souligner la luminosité et la grâce polyphonique, Iván Fischer a choisi deux trompettes à pistons et
non pas à palettes, et aligné les six contrebasses au fond du plateau derrière
bois et cuivres, tandis que premiers et seconds violons se faisaient face,
encadrant violoncelles et altos. La conception du chef hongrois, énergique et
conquérante mais non dépourvue de délicate mélancolie, se particularise par une
caractérisation exceptionnelle des plans sonores, par la diversité des coloris
et le relief des lignes dont il a été loisible d’embrasser la profondeur de
champ avec une extrême précision, toutes les voix étant clairement identifiable
tant elles sont apparues dans une transparence saisissante. La beauté de
l’orchestre, les timbres léchés, la fluidité des textures modelées par Iván Fischer et l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam
se sont avérés singulièrement séduisants, les mélodies foisonnantes de Dvořák
invitant clairement le public à chanter avec l’orchestre entier, dont la
moindre inflexion harmonique et la joyeuse polyphonie engendrée par le
compositeur aura été une fête pour les sens. Si Maria Joao Pires a renoncé à un
bis, ce n’est pas le cas d’Iván Fischer et de l’orchestre hollandais, qui,
restant dans le climat de dumka chère
à Dvořák, ont donné la première du second cahier des Danses slaves, l’Odzemek slovaque
Molto vivace op. 72 n° 1 déclenchant
à la fin des vagues d’ovations enthousiastes…
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire