vendredi 10 mai 2013

CD : François-Xavier Roth et Les Siècles présentent l’alpha et l’oméga de la renommée de la création orchestrale de Claude Debussy



Créé en 2003 par François-Xavier Roth, Les Siècles est un orchestre jouant sur instruments d’époque qui répondent plus ou moins précisément au moment de la composition des œuvres qu’il programme. Ainsi peut-il, selon le vœu de son fondateur, couvrir tous les répertoires, du baroque au contemporain. Ainsi ses musiciens possèdent-ils une collection d’instruments correspondant à chaque époque. Roth et son orchestre ont ainsi enregistré Berlioz, Saint-Saëns, Chabrier, Dubois, Stravinski, et jusqu'à Matalon, avec des résultats plus ou moins convaincants.

Ce premier disque que François-Xavier Roth et Les Siècles consacrent à Claude Debussy est le fruit d’un certain nombre de concerts donnés par l’ensemble en 2012, année du cent-cinquantenaire du compositeur. Il réunit deux œuvres symptomatiques de la création orchestrale debussyste, l’une appartenant à la première période, inconnue jusqu’en 2008, année de publication dans sa version pour piano à quatre mains, et qui connaît ici son premier enregistrement mondial dans sa version instrumentée, l’autre à la maturité, sans doute la partition la plus représentative de Debussy et, en tout cas, l’un des piliers du répertoire symphonique.

L’élément le plus attractif de ce disque est donc de prime abord l’œuvre inédite au disque. Il s’agit de la Première Suite d’orchestre de Debussy. Il l’a composée en 1882-1884 alors qu’il était l’élève d’Ernest Guiraud au Conservatoire de Paris, mais elle n’a été retrouvée qu’en 2008. En grande partie de la main de Debussy, l’instrumentation a été complétée par Philippe Manoury à la demande de la Cité de la musique pour le concert des Siècles donné le 3 février 2012. Néanmoins, cette partition n’a en vérité d’intérêt autre que documentaire et conforte l’idée que certains compositeurs se font de la nécessité de détruire leurs essais de jeunesse. Cette partition a en effet beau être de la main de l’un des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique, elle n’en est pas moins un pensum d’étudiant postulant au concours de Rome que l’on aurait dû laisser dans les cartons à l’état de relique, accessible aux chercheurs et aux étudiants à titre documentaire. Les deux premiers morceaux sont orchestrés gras et se placent sous l’influence par trop prégnante de Jules Massenet, tandis que le finale est lourdement instrumenté avec une fanfare (quatre cors, quatre trompettes, trois trombones, tuba) digne d’une musique de film. Seul le troisième mouvement, Rêve, a la patte debussyste, mais il s’agit du morceau qu’a magistralement orchestré Manoury, qui bénéficie il est vrai de tout l'arrière-plan debussyste dont il est un fin connaisseur... Nous tenons donc dans cette page de jeunesse un Debussy en devenir orchestré par un Debussy de la dernière maturité habilement mâtiné de Manoury...

Ainsi, le couplage avec La Mer s’avère-t-il instructif, malgré la riche discographie dont bénéficie cette œuvre somptueuse. Certes, cette version a-t-elle pour premier attrait le fait que Roth et Les Siècles proposent une interprétation sur instruments « d’époque », cuivres, bois, percussion, harpes, cordes boyaux sans doute le plus proche possible de la facture instrumentale française du temps de Debussy (deux flûtes ont été fabriquées en 1927 et une trompette en 1920, le reste avant la mort du compositeur, en 1918), qui, comme aujourd’hui, ne cessait pourtant d’évoluer. Ils ne sont pas les premiers à le faire, puisque 2012 a également vu la parution de l’interprétation de Joos van Immerseel à la tête de son orchestre Anima Eterna de Bruges (CD Zig-Zag Territoires). Energique et flamboyant, Roth, qui évite à la fois le postromantisme et l’impressionnisme, fait des trois « esquisses symphoniques » non pas une symphonie en trois mouvements mais un poème symphonique en trois parties, s’avérant plus descriptif que suggestif. Moins charnues qu’avec un orchestre moderne, les textures et la polyphonie avec Les Siècles sont plus claires, ce qui permet à Roth de mettre les détails en relief, avec précision et minutie.

Bruno Serrou

1 CD Musicales Actes Sud ASM 10 (distribution Harmonia Mundi)

1 commentaire:

  1. Article qui suscite intérêt et envie.
    En adorateur de l'artiste et de son oeuvre je vas m'enquérir de cette vision et de cette oeuvre de jeunesse, car bien sur, la curiosité m'a de suite embarqué.
    Merci.

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