Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, samedi
18 mai 2013
Ariadne auf Naxos au Théâtre de l'Athénée, scène finale. Au centre Léa Trommenschlager (Ariadne, en bas) et Marc Haffner (Bacchus, en haut). Photo : DR
Hommage
au XVIIe siècle français, plus particulièrement à Molière et à
Lully, Ariadne auf Naxos op. 60 de Richard Strauss et Hugo von
Hofmannsthal est du point de vue des équilibres sonores merveilleusement adapté
aux dimensions de l’harmonieux écrin qu’est l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. L’intimité
de l’acoustique peu réverbérante de ce superbe théâtre à l’italienne est à la
mesure de cet opéra associant buffa
et seria. Ce lieu, qui ne dispose
malheureusement pas de fosse suffisante pour recevoir l’orchestre pourtant
chambriste requis (trente-sept musiciens) par Strauss, ne permet pas de mise en
scène proprement dite, pas même de mise en espace. Pourtant, pour répondre au vœu
de l’Ensemble Le Balcon, qui ouvre avec cet ouvrage sa nouvelle résidence à l’Athénée,
Patrice Martinet, directeur du théâtre, a suggéré une exécution concertante
avivée par une direction d’acteur dont il a confié les réglages à un maître en
la matière, Benjamin Lazar.
Originellement pensée comme épilogue de l’arrangement
par Hofmannsthal du Bourgeois gentilhomme
de Molière, cette véritable ode au théâtre, plus encore que le sera Capriccio en 1943, ne pouvait en effet que
convenir à ce jeune metteur en scène, qui a réussi pour l’occasion à
transformer l’Athénée en un personnage à part entière, à l’instar de l’action
de l’opéra, elle-même théâtre dans le théâtre, rendant ainsi justice au plus
raffiné des opéras du compositeur bavarois, qui, avec son incomparable librettiste,
aura éprouvé d’énormes difficultés pour trouver le juste équilibre, puisqu’il
lui fallut trois tentatives, entre 1912 et 1916, pour le finaliser.
Julie Fuchs (Zerbinetta). Photo : (c) Philippe Depont, DR
Connu
pour son travail sur l’opéra baroque, Lazar a pris toute la mesure de cet
ouvrage dans lequel les auteurs rendent hommage au siècle de Louis XIV, autant
dans le prologue, qui présente la genèse du spectacle qui va suivre, que dans
l’acte d’Ariadne, qui conte la
relative solitude de l’héroïne abandonnée par Thésée sur l’île de Naxos d’où
elle sera libérée par le dieu Bacchus (1). Dans une scénographie de praticables où
sont répartis piano, instruments à vent et à percussion au milieu de qui s’égayent
les chanteurs, faisant de l’orchestre non seulement le décor de l’opéra mais
aussi un partenaire privilégié, autant musical que dramatique, des protagonistes
de l’opéra.
Maxime Pascal dirigeant une répétition d'Ariadne auf Naxos de Richard Strauss. Photo : DR
Pas
une note, pas un personnage - à l’exception du majordome, en voix off, ce qui
est regrettable car les haut-parleurs ne l’ont guère rendu plausible, mais
cette option, sans doute due à la difficulté relative de trouver un comédien s’exprimant
naturellement en allemand, peut aussi avoir été retenue en raison de l’aspect irréel
du commanditaire du double spectacle -, pas un instrument de l’orchestre de
Strauss n’a manqué, pas même l’harmonium, ni le célesta ni même les deux harpes.
Dirigeant les deux versants de la partition avec l’allant et dans les tempos appropriés,
et avec un sens de la narration et des équilibres singulier, remarquablement
secondé par Alphonse Cemin au piano, Maxime Pascal, chef de 28 ans fondateur et
directeur musical de l’Ensemble Le Balcon, qui, déjà reconnu pour sa collusion
avec la création contemporaine, atteste avec cette remarquable exécution une
indéniable intelligence avec l’univers straussien. Ecouter cet ouvrage-là dans
un tel cadre et avec cette jeune équipe s’est avéré un plaisir sans partages,
surtout lorsque l’on songe à la production de Laurent Pelly dans le vaisseau
trop vaste de l’Opéra Bastille, où les merveilleux et infimes détails de la
partition et la jouissance sonore galvanisées par Strauss se faisaient quasi impalpables.
La délectation est d’autant plus grande que l’Ensemble Le Balcon fait un sans-faute,
avec ses sonorités charnelles et chatoyantes exaltées par un plaisir de jouer
qui rejaillit sur la production entière et jusque dans la salle. A la fin de la
représentation, conformément aux dispositions du riche mécène du double
spectacle, un feu d’artifice virtuel était tiré dans la salle du théâtre de l’Athénée,
concluant la soirée dans une atmosphère de fête de bon aloi.
Benjamin Lazar, metteur en scène d'Ariadne auf Naxos. Photo : DR
La
distribution, jeune et particulièrement homogène, présente un grand nombre de
prises de rôles. La première expérience de ces chanteurs dans ces emplois de
premier choix est indubitablement marquée par la connivence peu ordinaire avec
l’orchestre et par l’absence de fosse qui les sépare habituellement du public.
Les douze protagonistes sont ainsi souvent amenés à l’avant-scène, voire dans la
salle-même, souvent au milieu de l’orchestre, ou dans les coulisses, restant
audibles par le biais d’une sonorisation qui, fait rarissime dans les théâtres
lyriques aujourd’hui, sait rester discrète tout en permettant de différencier
les mondes sonores, ce qui participe ainsi à la dramaturgie. Dans le prologue, Anna
Destrael, mezzo élégant et chaud remplaçant Clémentine Margaine, campe un
remarquable Compositeur, touchant et écartelé, mais Thill Mantero est un maître de
musique sans réelle consistance. Le reste de l’équipe de chanteurs est commun
aux deux parties d’Ariadne auf Naxos.
Mizzi Jeritza (Ariadne) et Margarethe Siems (Zerbinetta), lors de la création mondiale d'Ariadne auf Naxos au Königlisches Hoftheater de Stuttgart le 25 octobre 1912 dans une mise en scène et des costumes d'Ernst Stern
Tous sont à saluer, à commencer par la rayonnante
Zerbinetta de Julie Fuchs, voix au timbre de braise et d’une agilité souveraine,
qui joue la comédie avec un naturel confondant, titillant les instrumentistes
et les spectateurs avec une sensualité épanouie. Léa Trommenschlager, un peu effacée
dans le prologue, est une solide Ariadne, imposant dans ses monologues une
diction parfaite et une ligne de chant magistralement conduite. Autour de ces deux
femmes exceptionnelles, une réjouissante équipe de commedia dell'arte (Damien Bigourdan, Cyrille Dubois et Vladimir
Kapshuk, Arlequin un peu effacé en regard de ses compères) également présente parmi la multitude du
prologue, et de nymphes (Norma Nahoun, Elise Chauvin aux grains difficilement discernables,
Camille Merckx, voix abyssale). Plus discutable est le Bacchus de Marc Haffner, ténor français
que l’on a entendu plus vaillant à Rennes en 2008 dans Der Vampyr de Heinrich Marschner et en Siegmund de Die Walküre de Wagner dans Ring Saga en 2010. Annoncé souffrant il
est vrai, il convient de le remercier, car, malgré ses défaillances dans le
registre aigu, au point de susurrer les traits les plus tendus ou de se contenter
de les marquer, il s’est montré héroïque dans ce rôle épouvantablement
difficile que Richard Strauss a réservé à une voix, celle de ténor, qu’il
détestait, à l’instar du Compositeur qui, dans le prologue d’Ariadne, n’hésite pas à biffer les
quatre cinquième du rôle lorsque le majordome lui intime l’ordre de son maître
de raccourcir le plus possible son opéra afin de rester dans les limites d’un
spectacle de deux heures, pièces bouffe et seria
réunies… A l’exception d’une courte prestation dans le prologue, où il s’en
prend violemment au perruquier, la première intervention du ténor/Bacchus se
fait à pleine voix, dans le haut du registre, loin dans les coulisses, au début
de l’ultime demie heure de l’acte d’Ariadne…
Reste à souhaiter que Benjamin Lazar se voit confier au plus tôt une véritable production d’Ariadne auf Naxos.
Reste à souhaiter que Benjamin Lazar se voit confier au plus tôt une véritable production d’Ariadne auf Naxos.
Bruno Serrou
1) Dionysos-Bacchus
serait à l’origine de la première école de musique, et c’est en son honneur que
les premières représentations théâtrales ont été données.
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