Toulouse, Théâtre National de Toulouse,
Petite salle. Mardi 14 mai 2014
Il
aura fallu plus d’un an à Agathe Mélinand pour élaborer le « petit opéra
comique sans lyrics », Mémoires d’un amnésique, en sélectionner les
textes, choisir les partitions (une quarantaine au total) dont les extraits
sont pour l’essentiel joués à quatre mains sur un piano demi-queue, certaines
sur un piano toy - quelques pages pour
orchestre sont diffusées par haut-parleur. D’une tangible beauté plastique,
avec la scénographie en noir et blanc simple mais féerique et évocatrice de
Barbara Limburg, stimulée par une direction d’acteur qui donne vie aux multiples
aspects de la forte personnalité du compositeur distribuée entre six protagonistes,
deux comédiens (Emmanuel Daumas, Eddy Letexier), comédiennes (Jeanne Piponnier,
Sabine Zovighian) et pianistes (Raphaël Howson, Charles Lavaud) - ces derniers
jouant pour la première fois la comédie mais qui se sont si bien pris au jeu
qu’ils en deviennent les deus ex-machina
du spectacle -, fait de ces fragments de vie et de musique éclatés une monographie
vivante à laquelle le spectateur s’attache, tant elle s’avère touchante. L’enchantement
suscité par nombre d’apparitions, comme une grande poire, un magnifique
destrier, un carrelage-damier, une maquette de l’immeuble d’Arcueil qui abritait
le 13 mètres carrés où vivait Satie dans laquelle se glissent les acteurs, une
projection du ballet Parade dans la
chorégraphie originale de Léonid Massine, sont autant de moments d’un onirisme
pur qui font de cette production originale un merveilleuse occasion pour
découvrir et inciter à aimer la musique en famille.
Pourtant,
c’était à priori une bien curieuse idée que de concevoir un opéra comique sans
chant, fut-ce un « petit ». D’autant plus ladite idée émane de la
dramaturge, Agathe Mélinand, de l’un des metteurs en scène les plus courus du
théâtre lyrique, Laurent Pelly, avec qui elle partage la direction du Théâtre
National de Toulouse. Elle-même née dans une famille de musiciens, ancienne
chanteuse de la Maîtrise de Radio France avant de se tourner vers le théâtre, passionnée
de musique, Agathe Mélinand s’est attachée depuis son enfance à Satie.
« Il est comme ma comtesse de Ségur, avec ses lettres et ses notes
nombreuses et personnelles sur ses partitions, se réjouit-elle. Depuis
longtemps j’envisageais de lui consacrer un spectacle entier, mais je voulais éviter
de partir de ses œuvres scéniques. » A ses yeux, le « maître
d’Arcueil » est le compositeur moderne par excellence. Lui qui écrivait à
une amie « J’emmerde
l’art ; je lui dois trop de rasoireries.
C’est un métier de con, que celui
d’artiste », est aux yeux de la metteur en scène l’archétype de l’artiste
incompris qui se donne sans compter à son art. Pour lui, l’exercice de l’art
oblige à vivre dans le renoncement. « J’ai voulu faire du destin de cet
homme, raconte-t-elle, un spectacle qui parle à tous de la vie et de la
condition de l’artiste, de la création, qui incite à aimer une musique
inventive et généreuse s’adressant à tous et à chacun. » Le titre de cette
pièce musicale de quatre-vingt minutes, Mémoires
d’un amnésique, est comme directement sorti de l’imaginaire de Satie.
Reste
à souhaiter que ces Mémoires parcourent
bientôt la France, depuis Toulouse.
Bruno Serrou
Photos : © Polo Garat Odessa
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