Paris, Cité de la musique, jeudi 2 février 2012
Claude Debussy - Photo : DR
Créé en 2003, Les Siècles est un
ensemble spécialisé jouant sur instruments d’époque répondant plus ou moins
précisément au moment de la composition des œuvres programmées. Ainsi peut-il,
selon le vœu de son fondateur, François-Xavier Roth, couvrir tous les
répertoires, du baroque au contemporain. Le concert présenté hier à la Cité de
la musique devant une salle comble, du moins jusqu’à l’entracte, était placé
sous l’empreinte de Claude Debussy, dont est célébré cette année le
cent-cinquantième anniversaire de la naissance. Les partitions programmées
étaient limitées à la première période debussyste, puisque composées entre
1882, dans la perspective du Prix de Rome, et 1894, avec l’une des œuvres fondatrices
de XXe siècle musical, Prélude
à l’après-midi d’un faune.
Mais le point culminant du
concert était ailleurs. Même si Debussy en était le référent, puisque la pièce
en question se fonde sur le Faune de « Claude de France ». Le
titre-même de l’œuvre l’indique ouvertement : Phonus, allusion à la fois aux termes « phone » (son/unité de mesure de l'intensité physiologique d’un son), « Phonos »
(voix) et « Faune », ce dernier étant d’autant plus prégnant que le
sous-titre de l’œuvre est « ou la voix du faune ». Composée en 2004 par
Philippe Hurel (né en 1955) à l’instigation du chef d’orchestre Benoît
Fromanger, usant de la même orchestration que le Prélude de Debussy, Phonus
est un grand concerto pour flûte et orchestre (hier soir bois par deux, quatre
cors, deux claviers métal, dix-huit violons, six altos, quatre violoncelles, deux
contrebasses) très développé qui se fonde sur la célèbre mélopée de cinq notes
tour à tour ascendante (début) et descendante (fin) du motif du Faune de Debussy, particulièrement le do
dièse et le sol. Hurel intègre les techniques spectrales, répétitives, du
bouclage et la superposition modale. Les moments les plus remarquables sont deux
magnifiques et très grandes cadences singulièrement chantantes et utilisant tous
les modes de jeu, sans abus de bruits blancs. La partie soliste était tenue par
Marion Ralincourt, impressionnante de bout en bout, confondante d’aisance et de
naturel, dialoguant avec un orchestre assez précis mais aux sonorités un peu
ternes, quoique plus fluides et transparentes que dans les pages de Debussy.
Autre soliste du concert, Alain
Planès dans la Fantaisie jouant un
piano inaudible au-delà du mezzo forte
de l'orchestre, qui est apparu opaque, tandis que seul l’aigu du clavier
ressortait clairement. Certes les musiciens de Les Siècles s’expriment sur
instruments d'époque, mais ce n'est apparemment pas tout à fait celle de
l'Erard de 1881 pourtant annoncé comme provenant de la collection de l’orchestre,
tant le son de cet instrument était étouffé par les pupitres de l’ensemble. Le Prélude à l’après-midi d’un faune a
imposé l'excellent flûte solo Gionata Sgambaro. La gestique de François-Xavier Roth est comme hésitante et lourde,
le corps se balançant continuellement sur les jambes, le buste penché en avant.
La seconde partie du concert était
entièrement dévolue à la Première suite d’orchestre
que Debussy a commencée en 1882 mais qui n’a été retrouvée qu’en 2008. En partie
de la main de Debussy, l’instrumentation a été complétée par Philippe Manoury
(né en 1952) à la demande de la Cité de la musique pour ce concert de Les
Siècles. Cette partition n’a en vérité d’intérêt que documentaire et conforte l’idée
que certains compositeurs se font de la nécessité de détruire leurs essais de
jeunesse. Cette partition a beau être de la main de l’une des plus grands
compositeurs de l’histoire de la musique, elle n’en est pas moins un pensum d'étudiant
postulant au concours de Rome que l'on aurait dû laisser dans les cartons à l’état
de relique, accessible en l’état à titre documentaire. Les deux premiers
morceaux sont orchestrés gras et se placent sous l’influence par trop prégnante
de Massenet, tandis que le finale est amphigourique avec une fanfare (quatre
cors, quatre trompettes, trois trombones, tuba) de musique de film. Seul le
troisième mouvement, Rêve, a la pâte
debussyste, mais il est (magnifiquement) orchestré par Manoury, qui a tout le
background debussyste dans la tête... Nous avons donc dans cette page de
jeunesse un Debussy en devenir orchestré par un Debussy de la dernière maturité
mâtiné (avec tact) de Manoury...
Bruno Serrou
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