vendredi 3 février 2012

« Tombeau de Debussy » par Philippe Hurel et Philippe Manoury interprété par Les Siècles


Paris, Cité de la musique, jeudi 2 février 2012

Claude Debussy - Photo : DR


Créé en 2003, Les Siècles est un ensemble spécialisé jouant sur instruments d’époque répondant plus ou moins précisément au moment de la composition des œuvres programmées. Ainsi peut-il, selon le vœu de son fondateur, François-Xavier Roth, couvrir tous les répertoires, du baroque au contemporain. Le concert présenté hier à la Cité de la musique devant une salle comble, du moins jusqu’à l’entracte, était placé sous l’empreinte de Claude Debussy, dont est célébré cette année le cent-cinquantième anniversaire de la naissance. Les partitions programmées étaient limitées à la première période debussyste, puisque composées entre 1882, dans la perspective du Prix de Rome, et 1894, avec l’une des œuvres fondatrices de XXe siècle musical, Prélude à l’après-midi d’un faune.
Mais le point culminant du concert était ailleurs. Même si Debussy en était le référent, puisque la pièce en question se fonde sur le Faune de « Claude de France ». Le titre-même de l’œuvre l’indique ouvertement : Phonus, allusion à la fois aux termes « phone » (son/unité de mesure de l'intensité physiologique d’un son), « Phonos » (voix) et « Faune », ce dernier étant d’autant plus prégnant que le sous-titre de l’œuvre est « ou la voix du faune ». Composée en 2004 par Philippe Hurel (né en 1955) à l’instigation du chef d’orchestre Benoît Fromanger, usant de la même orchestration que le Prélude de Debussy, Phonus est un grand concerto pour flûte et orchestre (hier soir bois par deux, quatre cors, deux claviers métal, dix-huit violons, six altos, quatre violoncelles, deux contrebasses) très développé qui se fonde sur la célèbre mélopée de cinq notes tour à tour ascendante (début) et descendante (fin) du motif du Faune de Debussy, particulièrement le do dièse et le sol. Hurel intègre les techniques spectrales, répétitives, du bouclage et la superposition modale. Les moments les plus remarquables sont deux magnifiques et très grandes cadences singulièrement chantantes et utilisant tous les modes de jeu, sans abus de bruits blancs. La partie soliste était tenue par Marion Ralincourt, impressionnante de bout en bout, confondante d’aisance et de naturel, dialoguant avec un orchestre assez précis mais aux sonorités un peu ternes, quoique plus fluides et transparentes que dans les pages de Debussy.
Autre soliste du concert, Alain Planès dans la Fantaisie jouant un piano inaudible au-delà du mezzo forte de l'orchestre, qui est apparu opaque, tandis que seul l’aigu du clavier ressortait clairement. Certes les musiciens de Les Siècles s’expriment sur instruments d'époque, mais ce n'est apparemment pas tout à fait celle de l'Erard de 1881 pourtant annoncé comme provenant de la collection de l’orchestre, tant le son de cet instrument était étouffé par les pupitres de l’ensemble. Le Prélude à l’après-midi d’un faune a imposé l'excellent flûte solo Gionata Sgambaro. La gestique de François-Xavier Roth est comme hésitante et lourde, le corps se balançant continuellement sur les jambes, le buste penché en avant.
La seconde partie du concert était entièrement dévolue à la Première suite d’orchestre que Debussy a commencée en 1882 mais qui n’a été retrouvée qu’en 2008. En partie de la main de Debussy, l’instrumentation a été complétée par Philippe Manoury (né en 1952) à la demande de la Cité de la musique pour ce concert de Les Siècles. Cette partition n’a en vérité d’intérêt que documentaire et conforte l’idée que certains compositeurs se font de la nécessité de détruire leurs essais de jeunesse. Cette partition a beau être de la main de l’une des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique, elle n’en est pas moins un pensum d'étudiant postulant au concours de Rome que l'on aurait dû laisser dans les cartons à l’état de relique, accessible en l’état à titre documentaire. Les deux premiers morceaux sont orchestrés gras et se placent sous l’influence par trop prégnante de Massenet, tandis que le finale est amphigourique avec une fanfare (quatre cors, quatre trompettes, trois trombones, tuba) de musique de film. Seul le troisième mouvement, Rêve, a la pâte debussyste, mais il est (magnifiquement) orchestré par Manoury, qui a tout le background debussyste dans la tête... Nous avons donc dans cette page de jeunesse un Debussy en devenir orchestré par un Debussy de la dernière maturité mâtiné (avec tact) de Manoury...
Bruno Serrou

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