lundi 20 février 2012

L’Orchestre de l’Opéra de Paris et son chef Philippe Jordan enchantent la Salle Pleyel


Pleyel, samedi 18 février 2012

Photo : DR


Retrouver l’Orchestre de l’Opéra de Paris sur un plateau plutôt que dans une fosse est toujours un immense plaisir. A l’instar de Vienne, dont l’Opéra a officiellement consacré voilà 170 ans les immenses qualités de ses propres musiciens de fosse en créant les Wiener Philharmoniker, les temps sont sans doute venus de songer à lancer l’Orchestre Philharmonique de Paris émanation du premier théâtre lyrique de France… Samedi soir, Salle Pleyel, le public, dense, ne s’y est pas trompé, à un point tel que le concert affichait complet. Au sein de cette foule, le monde politique, en ces temps de campagne, était fortement représenté, mais, aussi étonnant que cela puisse paraître pour une formation provenant de la plus budgétivore des institutions musicales françaises, un personnel politique composé non pas de représentants de l’actuelle majorité présidentielle qui a pourtant nommé l’actuelle équipe de direction de l’Opéra de Paris mais de ceux d’une majorité qui avait désigné la précédente…
Il faut dire que l’œuvre en création, car il y en avait une et elle constituait en soi l’événement de la soirée, a été commanditée pour l’Opéra national de Paris par Pierre Bergé, « patron de gauche » ex-président de l’Opéra de Paris aujourd’hui copropriétaire du quotidien Le Monde, à Bruno Mantovani (né en 1974), actuel directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris nommé par Nicolas Sarkozy… Ainsi, le politique aura marqué ce rendez-vous de son empreinte, sans nuire pour autant au plaisir des mélomanes, qui se seront enthousiasmés pour ce qui leur était donné d’écouter, y compris pour la nouvelle pièce. Intitulée Jeux d’eau, l’œuvre nouvelle de Mantovani est un concerto pour violon et orchestre de vingt minutes défendu avec conviction et virtuosité par les musiciens pour qui il a été composé, Renaud Capuçon et l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Un concerto qui décrit la course d’un torrent en haute montagne. Contrairement à beaucoup de ses aînés, qui ont confié l’évocation de l’eau au piano, Mantovani a choisi pour l’incarner les quatre cordes et l’archet d’un violon confronté à l’orchestre. Après un début engageant avec hautbois solo suivi de la flûte à découvert en glissando de micro intervalles bientôt rejointe par le violon solo que relaie un instant la clarinette, le tout évoquant sans doute la source ou le glacier fondant paisiblement sous le soleil, la partition se tend promptement pour toucher à une dramatique renversante (la force du torrent ?). Rapidement, emporté par la force du courant de l’orchestre qui couvre le violon, jusqu’à ce que, brusquement, réapparaisse l’instrument soliste, cette fois à découvert, ondoyant sur une cadence qui s’étire sur la figure « lilululu » perdurant quasi jusqu’à la fin, soit près d’un quart d’heure de musique pour conclure fortississimo. L’impression générale de ce concerto qui obéit selon le compositeur à une démarche associant art et sciences est une partition fracassante, avec ce « lilululu » se présentant tel un continuum « bruitique de l’eau », sans doute pour échapper à la nature mélodique du violon, qui se fait par trop persistante.  
Placée elle aussi sous le signe de la nature, la seconde partie du concert s’est avérée captivante, tant Philippe Jordan l’a conduite avec un sens dramaturgique et des tensions qu’il n’a pas toujours l’occasion de démontrer dans les ouvrages qu’il dirige depuis la fosse de l’Opéra. Sa Symphonie n° 1 en ré majeur « Titan » (1885-1888/1896) de Mahler est en effet apparue d’une force évocatrice saisissante exaltée par un sens éclatant des contrastes et par des enchaînements de séquences d’une fluidité si parfaite qu’ils ont donné une unité rarement atteinte à l’ensemble de la symphonie, magnifiée par un souci du détail affermissant celui de Mahler. Cette vision enivrante a tétanisé la salle entière, qui a écouté dans un silence sans faille cette petite heure de musique proprement envoûtante à laquelle le chef suisse a donné la dimension du « poème symphonique en forme de symphonie » dont parlait Mahler en 1893 à propos de sa Titan. Abstraction faite de légères défaillances d’attaques d’un cor, les pupitres de l’Orchestre de l’Opéra de Paris s’en sont donné à cœur joie dans cette partition qui met somptueusement en valeur les qualités intrinsèques des différents pupitres, tuttistes et solistes confondus, des violons aux timbales en passant par altos, violoncelles, contrebasses, bois, cuivres, harpe et percussion.
Bruno Serrou


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