mardi 14 février 2012

CD : Hilary Hahn et Valentina Lisitsa magnifient les Sonates pour violon et piano de Charles Ives



Personnalité puissante et hors normes, inventeur d’un monde sonore d’une vigoureuse originalité exaltant les musiques traditionnelles, hymnes et gospels songs de la Nouvelle-Angleterre en les fondant dans les sons de la vie quotidienne des villes et des industries, melting-pot que d’aucuns rejettent sous prétexte de confusion, exact contemporain d’Arnold Schönberg, Charles Ives (1874-1954) disait à propos de ses Sonates pour violon et piano qu’il n’y était pas assez téméraire et inventif. Pourtant, à l’instar de ses symphonies, œuvres pour piano et mélodies, Ives y puise aux mêmes sources. La première sonate en trois mouvements composée entre 1902 et 1908 se distingue par sa concision et sa hardiesse. Conçue entre 1907 et 1910, dérivée en partie de la première Sonate (1899-1902) et des Ragtime Pieces (1902-1904) pour piano, la deuxième sonate, la seule à laquelle Ives a donné des titres à chacun des mouvements (Automne, Dans la Grange, le Renouveau), est marquée par les chants populaires et se conclut sur un Largo-Allegretto relativement développé. Achevée en 1914, la troisième sonate, la plus développée du cursus, intègre le matériau thématique de nombreux hymnes et s’achève sur un imposant Adagio (Cantabile). Composée en 1915, première publiée des sonates, la quatrième est la plus courte et la plus jouée de l’ensemble.  En 1942, Ives en détacha le quatrième mouvement qu’il intégra à la deuxième. Son titre, « Children’s Day at The Camp Meeting », et le programme détaillé qui y est attaché indiquent qu’il s’agit d’une évocation de l’enfance du compositeur. Et de fait, l’Allegro initial, une marche nonchalante, revient sur la façon dont le père d’Ives, George, a façonné l’acuité des oreilles de son fils en chantant simultanément un air dans différentes tonalités. Le mouvement dépeint Ives et ses amis d’enfance marchant au pas et chantant délibérément faux, citant des chansons Tell Me The Old, Old Story et Work, for the Night is Coming, tandis qu’une fugue jouée à l’orgue par son père enveloppe ces évocations… Le Largo au caractère liturgique se fonde sur le spiritual Jesus Loves Me, tandis que le finale reprend l’hymne Shall We Gather at the River? utilisé dans la Symphonie n° 4 (1909-1916).
Pour l’enregistrement de ces œuvres qu’elles jouent un peu partout dans le monde depuis plusieurs années, la violoniste américaine Hilary Hahn et la pianiste ukrainienne Valentina Lisitsa ont retenu les ultimes éditions des sonates, les trois premières ayant été revues et repensées par Ives dans les années qui ont suivi la publication de la quatrième. Sous leurs doigts, les sonates sonnent chaud et acéré, mettant en évidence l’audace de l’harmonie et des rythmes et le souffle épique des hymnes, chansons et danses qui imprègnent ces pages. Les deux artistes font précisément ce que cette musique brûlante réclame, en modulant expression et humeur en un clin d’œil sans sacrifier l’énergie et la densité. Hahn et Lisitsa soulignent avec assurance la variété des climats et des styles, trouvant le juste équilibre entre sentimentalité et rigueur, modernité et expression. Leur lecture claire, puissante restitue les qualités intrinsèques de la musique d’Ives, sa sincérité et son originalité conquérantes. Fort peu enregistrées, les quatre Sonates pour violon et piano de Charles Ives connaissent avec ces deux magnifiques artistes des interprétations merveilleusement accomplies.
Bruno Serrou
1 CD DG 477 9435 (1h06’24’’)

2 commentaires:

  1. Comme toujours une chronique précise, étayée, qui incite à... l'achat de l'album.
    Personnellement je suis un fervent auditeur de l'oeuvre de Ives que m'a fait découvrir un de mes collègues au Conservatoire. Depuis, j'écoute et analyse avec un intérêt croissant ce compositeur passionnant à bien des niveaux que vous savez parfaitement "résumer" ici.
    Comme j'aime beaucoup le jeu et l'interprétation de H. Hahn, une interprète pour laquelle j'ai la plus haute estime, l'évidence de l’acquisition de ces sonates ne pose aucun compromis, tout comme la lecture avisée qui y sera adjointe.
    Merci.
    PS : Il est bien entendu que "les hauts de hurlemevent" de B Hermann que vous aviez également chroniqué sont déjà passés par une écoute associant plaisir et analyse.

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    1. Merci beaucoup pour vos encouragements,Pascal. J'espère que vous ne serez pas déçu par ce disque, et je vous en souhaite bonne et plaisante écoute.
      Bien cordialement

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