Théâtre
des Bouffes du Nord, lundi 20 février 2012
Photo : DR
Superbe et chaleureuse soirée anniversaire, hier lundi, Théâtre des
Bouffes du Nord. L’ensemble Court-Circuit célébrait ses vingt ans entouré de
son public, de ses amis, de compositeurs et de musiciens (1). L’atmosphère bon
enfant engendrée par ce public amène où l’on distinguait le premier directeur
musical de l’ensemble, Pierre-André Valade discrètement assis au milieu des
fidèles, a été agrémentée par la présentation affectueuse et contenue du
fondateur-animateur-directeur artistique de la formation, le compositeur
Philippe Hurel, qui a fait une courte évocation de l’histoire et des spécificités
de Court-Circuit, avant de remercier tous les musiciens qui ont participé au
renom de l’ensemble et les personnalités qui l’ont aidé depuis ses débuts à Genève à l’invitation
d’un couple de médecins galeristes suisses dans un programme « spectral »
composé de pages de Gérard Grisey et Tristan Murail qui allaient très vite devenir
deux des compositeurs favoris de l’ensemble. Après une invitation à l’ensemble
du public à se joindre à des agapes offertes par la Sacem et le Centre de
documentation de la musique contemporaine (CDMC), Hurel a demandé avec
empressement aux musiciens de l'ensemble de bien vouloir accepter d'accélérer "légèrement" les tempi des œuvres programmées, le
plus important se trouvant dans l’après-concert afin que le dialogue s’instaure
en toute convivialité entre musiciens, compositeurs et mélomanes.
Le programme de ce concert qui retraçait à grands traits l’histoire et l’esprit
de Court-Circuit a proposé des œuvres représentatives du répertoire que l’ensemble
défend avec foi et conviction depuis 1992, des aînés Gérard Grisey et Tristan
Murail, aux plus jeunes, avec l'un de leurs représentants les plus inventifs,
le regretté Christophe Bertrand, en passant par la génération des années 1950, avec
Philippe Leroux et Philippe Hurel. En présence des parents du compositeur, le
concert s’est ouvert sur une pièce du plus jeune, Christophe Bertrand, disparu à
l’âge de 29 ans le 22 septembre 2010, SANH
pour clarinette basse, violoncelle et piano, trois instruments graves aptes aux
aigus les plus extrêmes. Composée en 2010, dédiée au clarinettiste Armand
Angster fondateur de l’ensemble Accroche Note, cette pièce se fonde sur le sens
de ce mot chinois qui signifie à la fois « trois » et « éparpillé »,
et met en œuvre trois instruments et les différentes combinaisons qui
en découlent, du contrepoint le plus horizontal aux effets de masse et
différents moyens appelés à créer un effet d’a-synchronie permanente. Si la pulsation
est la même du début à la fin, précise le compositeur, elle n’est jamais
perceptible, et à de très rares instants seulement, cet éparpillement est
contrarié, ces sensations étant obtenues par divers procédés déployés dans les cinq
sections de l’œuvre. Jean-Marie Cottet (piano), Pierre Dutrieu
(clarinette) et Alexis Descharmes (violoncelle) en ont donné toute la sève et
la fraîcheur faisant d’autant plus regretter le départ précoce de son
auteur, dont la mémoire planait au-dessus de la salle. C’est avec l’une de leurs
deux œuvres fondatrices que les musiciens de Court-Circuit ont enchaîné sous la
direction de leur actuel directeur musical, l’excellent Jean Deroyer, Talea que Gérard Grisey (1946-1998) composa
en 1985-1986 pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano. C’est à Anne
Cartel, Pierre Dutrieu, Pierre Bleuse, Renaud Déjardin et Jean-Marie Cottet qu’est
revenu le soin d’interpréter Talea,
qui, en latin, signifie « coupure » et désigne dans la musique
médiévale une structure rythmique répétée sur laquelle se greffe une
configuration de hauteurs également répétées qui coïncide plus ou moins à la
première et que l'on nomme « color » et qui différencie aujourd’hui hauteurs et durées. L’œuvre compte deux parties enchaînées
qui présentent deux aspects d’un même phénomène auditif, glissant de la
polyphonie vers l’homophonie. Cottet a transcendé les limites sonores de son
Steinway demi-queue dans la somptueuse pièce pour piano La Mandragore que Tristan Murail (né en 1947) a écrite en 1993 qui,
sous ses doigts d’airain au service de l’onirisme et de l’évocation, a atteint
la dimension d’un grand classique pianistique, confirmant ainsi combien Murail est l’un
des grands maîtres contemporains du piano. Anne Cartel, Pierre Dutrieu, Cécile
Kubik et Renaud Déjardin ont rejoint Cottet pour jouer en présence de son
auteur Continuo(ns) que Philippe
Leroux (né en 1958) a dédié en 1994 à Philippe Hurel, œuvre ludique et
brillante fondée sur la note-pivot ré que les musiciens de Court-Circuit qui l’ont
pour la plupart créée ont jouée avec un plaisir communicatif. Plaisir qui a
perduré lorsque, durant le changement de plateau a résonné au loin avant de se
faire de plus en plus présent et de s’éloigner de nouveau, le saxophone alto de
Vincent David jouant une délirante et savante improvisation free-jazz sur le
thème Birthday To You,
qui a introduit une remarquable interprétation de Pour l’image conçue en 1985-1986 par Philippe Hurel (né en 1955) pour
quatorze instrumentistes, œuvre majeure de la première période créatrice du
compositeur qui intègre des objets de nature spectrale au sein de structures
polyphoniques, appliquant la répétition à tous les niveaux de la composition,
de la forme globale à la simple note. Le public a réservé un triomphe à cette pièce
capitale avant de se presser autour de son auteur et de ses musiciens. Reste à
souhaiter longue vie à Court-Circuit et autant de belles et grandes créations au
cours des vingt années à venir que ces vingt premières années.
Bruno Serrou
1) Concert diffusé sur France Musique lundi 16 avril 2012 à 20h.
Pour des photos plus récentes de Court-circuit, me contacter. ;-)
RépondreSupprimerhttp://www.court-circuit.fr/photos.html
gilnobodyAROBASEgmail.com