Jeudi 19 janvier 2012
Depuis le 14 janvier, la Cité de
la musique accueille la 5e biennale de Quatuors à cordes, qui propose
dix-neuf concerts en neuf jours avec pour figure centrale l’un des grands compositeurs
allemands contemporains, Wolfgang Rihm (né en 1952), pour qui le quatuor à
cordes « porte en lui à la fois ce qui est de l’ordre de l’intime et de l’ordre
public ». « Avec le quatuor à cordes, poursuit-il, il faut livrer un
combat, mordant et tendre. » Auteur de douze quatuors à numéro auxquels
il convient d'ajouter un treizième composé l'an dernier et d’ajouter neuf quatuors à titres qui jalonnent se vie créatrice depuis
1966, Rihm assiste à tous les concerts de la biennale 2012, le programme de
chacun incluant une ou deux de ses pièces du genre. Ainsi, est-ce un parcours à
travers le processus créateur prolifique (plus de 350 œuvres à ce jour) de Rihm que
propose en ce moment la Cité de la musique, son évolution stylistique étant prégnante, depuis
la connotation écoles de Vienne des débuts, de Beethoven à Webern, jusqu’à la
synthèse des quatre derniers, en passant par la quête d’inouï plus ou moins
dans la mouvance de Lachenmann mais de façon plus lyrique que son aîné, et jusqu’à la
profondeur de l’ultime, le treizième quatuor donné en création mondiale ce 19
janvier par l’Arditti Quartet qui se déploie sur vingt-cinq minutes.
Donné dans l’Amphithéâtre de la
Cité de la musique, le premier des deux concerts d’hier était proposé par le
Quatuor Diotima. Deux quatuors de Rihm entouraient un quatuor de jeunesse de
Schubert et l’un des quatuors op. 41 qui sont tous de la maturité de Schumann. Comme
de coutume avec cet ensemble fondé en 1996, malgré les divers changements de
titulaires, les deux violonistes alternent les postes de premier et de second.
Ainsi, est-ce à Vanessa Szigeti qu’est revenue la première partie du programme
comme premier violon ouvert par le Quatuor
à cordes n° 1 op. 2, partition d’un compositeur de 18 ans qui, quoique
clairement d’ascendance beethovenienne, possède déjà des caractères propres à
son auteur, particulièrement le geste avec ses grands silences, ses mouvements
particuliers d’archet, la violence et la sécheresse du jeu. C’est avec une force
toute en raffinement qui lui est familière que le Quatuor Diotima a interprété cette pièce,
qui, sous ses archets, atteint une vigueur toute classique, comme l’on a pu le
mesurer à l’écoute du Quatuor à cordes n°
9 en sol mineur D. 173 de Schubert, qui était deux ans plus jeune que Rihm lorsque ce dernier composa
son Quatuor n° 1. L’élan juvénile et frais instillé
par les Diotima est particulièrement séduisant, même si l’on décèle quelque rudesse sous l’archet de Vanessa Szigeti, qui a réussi la gageure de trouver rapidement ses marques au sein du groupe. La seconde partie a été lancée avec le Quatuor à cordes en la majeur op. 41
n° 3 de Schumann au lyrisme exacerbé que les Diotima ont saisi à bras le
corps, portés par les sonorités lumineuses et fruitées du violon de YunPeng
Zhao. Le Quatuor à cordes n° 8
(1987-1988) de Rihm a conclu le concert, un quatuor bruitiste et empli de rebonds
et de surprises, avec les archets joués avec le dos ou traçant des lettres sur
les partitions, les mains et les points des musiciens frappant les instruments de diverses façons, le second violon
chiffonnant une feuille de papier avant de le déchirer et d'en jeter les morceaux à terre
à l’image d’un compositeur rejetant ses pages d'écriture, le tout ponctué de longs
silences qui, à l’instar de John Cage dans 4’33, pourraient être écrits fortissimo...
Le second concert du jour était
donné dans la grande salle de la Cité de la musique par deux quatuors à cordes
qui se sont partagé le programme. Tout d’abord le Quatuor Arditti, à qui est naturellement
revenue la création de la commande de la Cité de la musique pour cette 5e
biennale, le Quatuor n° 13 de
Wolfgang Rihm. Une œuvre en un seul mouvement de vingt-cinq minutes composée
fin 2011 subdivisé en plusieurs sections d’une maîtrise et d’une densité qui
attestent de l’extrême maturité artistique désormais atteinte par son auteur. Certes, comme de
coutume avec les Arditti, à l’instar de son premier violon, le Britannique Irvine
Arditti, le jeu magistralement contrôlé est aussi d’une extrême dureté, ce qui rend
impossible de mesurer l’expressivité de l’écriture de Rihm, au demeurant
indéniable tant elle est sous-jacente. Contrairement aux quatuors précédents,
celui-ci semble apaisé, tant il est empreint de lyrisme et de chant. Indubitablement, une grande
partition est née, hier, et l’on attend avec impatience un quatorzième volet à cette
belle série de quatuors.
La seconde partie du concert a
été assurée par le magnifique Quatuor Ebène, qui a proposé un Quatuor à cordes n° 13 en la mineur D. 804 « Rosamunde »
de Schubert d’une transcendante beauté, puis le plus rare et pourtant superbe Quatuor à cordes n° 1 en ré majeur op. 11
de Tchaïkovski qui a enthousiasmé le public. A tel point que, pour répondre à l'attente du public, les Ebène se sont
lancés non pas dans un bis classique, ce qui n'était déjà pas si évident après Tchaïkovski, mais, moins évident encore, dans une adaptation d'un standard populaire des années 1960, un arrangement pour quatuor à cordes d’une célèbre
chanson des « Fab' Four », Come
Together des Beatles. C’est ainsi que l’on a pu à la fois mesurer combien l’inspiration de John Lennon était
plus inventive que ce que l'on peut entendre aujourd'hui dans le domaine de la pop', et les dangers de la confusion des genres. Car l'on ne peut que se demander ce qu'un tel saucisson vient faire à la fin d'un concert qui a frisé la perfection, et s'il est bien utile de vouloir se mettre de cette manière dans la poche un public qui n'attend pas ce type de démarche.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire