mardi 17 janvier 2012

La Péniche Opéra ouvre la saison de son trentenaire avec un diptyque Donizetti/Bouchot


La Péniche Opéra, lundi 16 janvier 2012

 Donizetti, Rita ou le mari battu Amira Selim (Rita), Christophe Crapez (Peppe), Paul-Alexandre Dubois (Gasparo) Photo : (c) La Péniche Opéra
C’est toujours un réel plaisir d’embarquer à bord de la Péniche Opéra, tant l’atmosphère y est particulière. Pourtant, cette année du trentenaire de la création de ce lieu magique a failli ne pas avoir lieu, faute de ressources suffisantes. Subventions publiques réduites de façon drastique, mécénat défaillant, jauges limitées ont  laissé craindre fin 2011 à la disparition de ce petit théâtre flottant, où se fait entendre, lorsqu’un bateau passe au large, l’écho des cliquetis de l’eau résonant sur sa coque du bassin de La Villette sur le canal de l’Ourcq où il est amarré, à quelques encablures de la Cité de la musique. Fondé en 1982 par Mireille Larroche, cet opéra-studio reste fidèle à son concept originel, investiguer sur l’opéra, genre considéré désuet à l'époque, et lui associer le théâtre musical. Depuis lors, La Péniche Opéra a présenté 154 productions de  100 compositeurs pour 120 levers de rideaux par an, auxquels il convient d’ajouter accueils, 146 « coups de cœur », « Lundis de la contemporaine » (titre si évocateur qu’il a été repris par France Musique), 100 actions culturelles, des résidences d'artistes, quantité de commandes d’œuvres nouvelles... Recevant 6000 spectateurs par an auxquels il convient d'ajouter les 30.000 à 40.000 personnes sur diverses autres scènes, ce théâtre flottant qui exhale un léger arome de mazout se voue également à une réflexion sur la création, non seulement contemporaine mais aussi sur le répertoire et les œuvres oubliées ou jugées surannées. Dirigée par un collège d'artistes sous la houlette de Mireille Larroche, La Péniche Opéra est également en résidence à Fontainebleau et vingt-deux communes du sud de la Seine-et-Marne.
Pour son ouverture de saison, La Péniche Opéra offre un spectacle partiellement créé au Théâtre de Fontainebleau en novembre 2010, associant un opéra-comique de Gaetano Donizetti (1797-1848), Rita ou le mari battu, et un demi-opéra de Vincent Bouchot (né en 1966), Elle est pas belle la vie ?, donné en création. Le tout avec trois chanteurs-comédiens et un piano(1) délicieusement mis en scène, le premier par Mireille Larroche, le second par Alain Patiès. Créé douze ans après la mort de son auteur, écrit sur un livret français de Gustave Vaëz, Rita ou le mari battu est d’une incroyable actualité. Patronne d’une auberge devenue veuve, l’héroïne, ex-femme battue, a choisi de passer du statut de victime à celui de bourreau, en menant à la baguette son second époux, Peppe, qui la craint tant qu’il en est devenu piteux. Mais un jour débarque son premier mari, le vaniteux Gasparo, qui, croyant sa femme trépassée, cherche à récupérer son acte de mariage. Cette situation suscite une succession de quiproquos, situations loufoques et invraisemblances dans lesquelles le spectateur se laisse emporter sans résistance. Ce spectacle d’une heure respecte la partition de Donizetti, se limitant à l’ajout de deux twists endiablés des Chaussettes noires et des Chats sauvages, lancés par Gasparo sur le jukebox de l’auberge, dont le fameux Twist à Saint-Tropez. Menés par l’avenante Amira Selim, merveilleuse Rita à la voix séduisante mais au vibrato un peu large et aux vocalises légèrement criardes, le ténor Christophe Crapez (Peppe) et le baryton Paul-Alexandre Dubois forment un inénarrable duo de compères falots et lâches, le trio se glissant dans leurs rôles respectifs avec naturel dans l’intelligente mise en scène de Mireille Larroche pour un délicieux moment de comédie.
En seconde partie de soirée, le « demi-opéra » Elle est pas belle la vie ? est entièrement de la main de Vincent Bouchot, puisqu’il en signe à la fois la musique et le livret ; livret qu’il a lui-même adapté des Nouvelles brèves (de comptoir) de Jean-Marie Gourio, qui lui avait inspiré en 2005 Brèves de comptoir. Commande de La Péniche Opéra à l’un de ses artistes les plus fidèles (il s’y produit autant comme chanteur et comme compositeur), cet ouvrage pour trois chanteurs et piano use d’un vocabulaire plus vert et bariolé que celui de Donizetti, et a pour unique décor le comptoir d’un café doté de tous les ustensiles propres à un débit de boisson et derrière lequel trône un énorme écran de télévision. Christophe Crapez est le bistroquet, Paul-Alexandre Dubois le client. Cinquante minutes durant, tout deux commentent de façon plus ou moins incongrue l’actualité que ressassent diverses chaînes de télévision, de la météo au tsunami japonais, en passant par le printemps arabe, la famine au Soudan ou les facéties verbales de Nicolas Sarkozy... Actualité commentée par les deux hommes qui égrènent des vérités plus ou moins burlesques dans de longs dialogues de sourds, tandis que, omniprésente mais invisible, Amira Selim, qui se lance continuellement dans d’amples vocalises, est la voix fruitée et insidieuse de la télévision. Vincent Bouchot, qui connaît bien la voix (il est notamment membre de l’Ensemble Clément Janequin), fait chanter ses personnages sur le ton de la conversation en adoptant le style du recitar cantando qu’il conduit avec bonheur, tandis qu’il use à bon escient de l’électronique liée aux actualités télévisées, et que la partie pianistique, tenue avec maestria par Caroline Dubost,  est riche et variée. Bref, de quoi passer une réjouissante soirée !
Bruno Serrou
1) Rita ou le mari battu a été filmé à Fontainebleau avec la même équipe et un orchestre de fosse de onze musiciens, l’Ensemble Musica Nigella dirigé par Takénori Nemoto. 1 DVD Maguelone (Intégral Distribution)

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