Donizetti, Rita ou le mari battu Amira Selim (Rita), Christophe Crapez (Peppe), Paul-Alexandre Dubois (Gasparo) Photo : (c) La Péniche Opéra
C’est toujours un
réel plaisir d’embarquer à bord de la Péniche Opéra, tant l’atmosphère y est
particulière. Pourtant, cette année du
trentenaire de la création de ce lieu magique a failli ne pas avoir lieu, faute
de ressources suffisantes. Subventions publiques réduites de façon drastique, mécénat
défaillant, jauges limitées ont laissé
craindre fin 2011 à la disparition de ce petit théâtre flottant, où se
fait entendre, lorsqu’un bateau passe
au large, l’écho des cliquetis de l’eau résonant sur sa coque du bassin de La
Villette sur le canal de l’Ourcq où il est amarré, à quelques encablures de la
Cité de la musique. Fondé en 1982 par Mireille Larroche, cet opéra-studio reste
fidèle à son concept originel, investiguer sur l’opéra, genre considéré désuet
à l'époque, et lui associer le théâtre musical. Depuis lors, La Péniche Opéra a
présenté 154 productions de 100 compositeurs pour 120 levers de rideaux par an, auxquels il convient d’ajouter
accueils, 146 « coups de cœur », « Lundis de la contemporaine »
(titre si évocateur qu’il a été repris par France Musique), 100 actions culturelles, des résidences
d'artistes, quantité de commandes d’œuvres nouvelles... Recevant 6000 spectateurs par an auxquels il convient d'ajouter les 30.000 à 40.000 personnes sur diverses autres scènes, ce théâtre flottant qui exhale un léger
arome de mazout se voue également à une réflexion sur la création, non
seulement contemporaine mais aussi sur le répertoire et les œuvres oubliées ou
jugées surannées. Dirigée par un collège d'artistes sous la houlette de Mireille
Larroche, La Péniche Opéra est également en résidence à Fontainebleau et vingt-deux communes du sud de la Seine-et-Marne.
Pour son ouverture de saison, La Péniche Opéra offre
un spectacle partiellement créé au Théâtre de Fontainebleau en novembre 2010,
associant un opéra-comique de Gaetano Donizetti (1797-1848), Rita ou le mari battu, et un demi-opéra de
Vincent Bouchot (né en 1966), Elle est
pas belle la vie ?, donné en
création. Le tout avec trois chanteurs-comédiens et un piano(1) délicieusement
mis en scène, le premier par Mireille Larroche, le second par Alain Patiès.
Créé douze ans après la mort de son auteur, écrit sur un livret français de
Gustave Vaëz, Rita ou le mari battu est
d’une incroyable actualité. Patronne d’une auberge devenue veuve, l’héroïne, ex-femme
battue, a choisi de passer du statut de victime à celui de bourreau, en menant à
la baguette son second époux, Peppe, qui la craint tant qu’il en est devenu
piteux. Mais un jour débarque son premier mari, le vaniteux Gasparo, qui,
croyant sa femme trépassée, cherche à récupérer son acte de mariage. Cette
situation suscite une succession de quiproquos, situations loufoques et invraisemblances
dans lesquelles le spectateur se laisse emporter sans résistance. Ce spectacle d’une
heure respecte la partition de Donizetti, se limitant à l’ajout de deux twists
endiablés des Chaussettes noires et des Chats sauvages, lancés par Gasparo sur
le jukebox de l’auberge, dont le fameux Twist
à Saint-Tropez. Menés par l’avenante Amira Selim, merveilleuse Rita à la voix
séduisante mais au vibrato un peu large et aux vocalises légèrement criardes, le
ténor Christophe Crapez (Peppe) et le baryton Paul-Alexandre Dubois forment un inénarrable
duo de compères falots et lâches, le trio se glissant dans leurs rôles
respectifs avec naturel dans l’intelligente mise en scène de Mireille Larroche pour
un délicieux moment de comédie.
En seconde partie de soirée, le « demi-opéra »
Elle est pas belle la vie ? est
entièrement de la main de Vincent Bouchot, puisqu’il en signe à la fois la musique
et le livret ; livret qu’il a lui-même adapté des Nouvelles brèves (de comptoir) de Jean-Marie Gourio, qui lui
avait inspiré en 2005 Brèves de comptoir.
Commande de La Péniche Opéra à l’un de ses artistes les plus fidèles (il s’y
produit autant comme chanteur et comme compositeur), cet ouvrage pour trois
chanteurs et piano use d’un vocabulaire plus vert et bariolé que celui de
Donizetti, et a pour unique décor le comptoir d’un café doté de tous les
ustensiles propres à un débit de boisson et derrière lequel trône un énorme
écran de télévision. Christophe Crapez est le bistroquet, Paul-Alexandre Dubois
le client. Cinquante minutes durant, tout deux commentent de façon plus ou
moins incongrue l’actualité que ressassent diverses chaînes de télévision, de
la météo au tsunami japonais, en passant par le printemps arabe, la famine au
Soudan ou les facéties verbales de Nicolas Sarkozy... Actualité commentée par
les deux hommes qui égrènent des vérités plus ou moins burlesques dans de longs
dialogues de sourds, tandis que, omniprésente mais invisible, Amira Selim, qui
se lance continuellement dans d’amples vocalises, est la voix fruitée et insidieuse de la télévision.
Vincent Bouchot, qui connaît bien la voix (il est notamment membre de l’Ensemble
Clément Janequin), fait chanter ses personnages sur le ton de la conversation
en adoptant le style du recitar cantando
qu’il conduit avec bonheur, tandis qu’il use à bon escient de l’électronique
liée aux actualités télévisées, et que la partie pianistique, tenue avec
maestria par Caroline Dubost, est riche
et variée. Bref, de quoi passer une réjouissante soirée !
Bruno Serrou
1) Rita ou le
mari battu a été filmé à Fontainebleau avec la même équipe et un orchestre
de fosse de onze musiciens, l’Ensemble Musica Nigella dirigé par Takénori
Nemoto. 1 DVD Maguelone (Intégral Distribution)
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