Vendredi 20 et samedi 21 janvier 2012. Théâtre du Châtelet
Oscar Strasnoy (né en 1970) - Photo : DR
Les deux derniers concerts du
soir du Festival Présences de Radio France 2012 ont confirmé les premières
impressions émises dans ces colonnes le week-end dernier (voir dimanche 15
janvier 2012). La musique d’Oscar Strasnoy (né en 1970) est sympathique, ludique,
pleine d’humour mais peu marquante et sans quête d’inouï. A son écoute, il ne
faut en effet pas s’attendre à être capté par une originalité débordante et une
exigence extrême de l’écriture mais par la joie et le bonheur de vivre qui en
émanent et par les jeux culturels qu’elle suscite aux oreilles de l’auditeur, qui
ne cesse de se distraire à la recherche des sources musicales qu’il entend et
les collages dont les partitions regorgent, quelle que soit leur durée. Cette chasse
à la référence aura été d’autant plus gratifiante pour le public que les
formations musicales conviées à ces soirées se sont avérées excellentes.
A commencer par l’Orchestre
Philharmonique de Radio France, qui, dirigé vendredi soir par Susanna Mälkki,
directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain depuis 2006, a enthousiasmé
le Théâtre du Châtelet hélas à moitié vide. Non pas par les pièces de Strasnoy,
bien construites mais incidentes car portant davantage sur la malice que sur la
quête de l'inédit, deux pièces d’orchestre qui constituent le mouvement lent et le
finale de la symphonie Sum « qui
ne sont pas prévus pour être joués ensemble » (Strasnoy) et dont les deux
autres pages ont été évoquées plus haut (voir 15 janvier 2012). Preuve en est
le fait que c’est avec le finale, The End
(Sum 4), que le concert a commencé pour
se terminer sur l’adagio Y (Sum 2),
sans doute une énième pichenette du facétieux compositeur argentin. La seconde
pièce cite Warum?, troisième des Phantasisiestücke pour piano op. 12 de Robert Schumann, tandis que la première
reprend les ultimes accords de la Symphonie
n° 8 op. 93 de Beethoven. Informé de cela par le compositeur lui-même, l’auditeur
passe son temps à tenter de repérer ces fragments et se détourne de l’écoute du
travail propre à l’auteur de ces pièces d’orchestre qui semble vouloir distraire
l’attention de son public de son incapacité à créer ou du dénuement de son
inspiration, réel ou supposé. En regard de The
End, Strasnoy a choisi Chemin V
pour guitare et ensemble que Luciano Berio (1925-2003) a composé en 1992 en
reprenant le matériau de sa Sequenza XI
pour guitare conçue en 1987-1988 qui associe les traditions flamenca et
classiques à l’expérimentation harmonique, technique et sonore de l’instrument,
les deux pièces étant dédiées au guitariste Eliot Fisk. Œuvre majeure dans la
quête sonore et les alliages entre l’instrument soliste, tenu de façon
impressionnante par le guitariste argentin Pablo Marquez, et l’ensemble
instrumental constitué de pupitres du Philharmonique de Radio France sous
la conduite rigoureuse et alerte de Susanna Mälkki. Une Mälkki qui a dirigé en
fin de programme, avec une efficacité redoutable, une violence et un sens des
contrastes remarquables, l’Orchestre Philharmonique de Radio France au grand
complet qui a répondu au cordeau à la moindre de ses sollicitations dans une
splendide vision de l’intégrale rarement donnée de la sublime pantomime dansée Le mandarin merveilleux (1918-1919) de
Béla Bartók (1882-1945). Interprétation d’autant plus réjouissante qu’elle
était donnée non pas avec un orgue électronique substitutif aux syllabes
chantées bouche ouverte généralement utilisé, mais bel et bien avec un vrai
chœur, Radio France disposant de son propre effectif choral.
Aussi peaufinée a été la prestation samedi soir de l’ensemble
Musicatreize de Marseille dirigé par son directeur fondateur, Roland Hayrabedian.
Contestable en revanche le fait d’avoir arrangé pour un ensemble
bartoko-stravinskien (deux pianos et deux percussions auxquels ont été ajoutés
trompette et trombone et sept chanteurs) le sublime opéra en un prologue et
trois actes Dido & Aeneas (1689) de
Henry Purcell (1659-1695). Qui donc a eu cette idée saugrenue : Radio
France, qui a commandé cet épiphénomène, ou Strasnoy, qui l’a réalisé ?...
Les magnifiques effets de l’original sont annihilés, la plastique de l’écriture
instrumentale gommée, les beautés vocales éteintes… En outre, au beau milieu de
la partition, Strasnoy fait siffloter ses protagonistes comme s’il voulait
persifler son grand aîné… N’est pas Hans Zender (né en 1936) qui veut, surtout
pas Strasnoy, qui chasse pourtant ici sur des terres comparables à celles du
compositeur chef d’orchestre allemand, auteur d’une admirable « interprétation
composée » pour ténor et ensemble (1993) du Voyage d’Hiver (1827) de
Franz Schubert (1797-1828). Tandis que Pascal Dusapin a composé à la demande de
la Monnaie de Bruxelles son remarquable opéra Medeamaterial (1992) sur un texte de Heiner Müller comme première
partie du Dido & Aeneas de
Purcell… Pour la même formation que son arrangement (?) de la partition de
Purcell, Strasnoy avait composé son opéra Un
retour sur un livret polyglotte (espagnol, français et latin) d’Alberto
Manguel, commande du Festival d’Aix-en-Provence et de Musicatreize qui l’ont
créée le 4 juillet 2010. Cette adaptation du roman du librettiste a pour sujets
l’impossible retour et la destinée, à l’exemple du voyage sans retour d’Enée depuis
Ilion vers son destin romain pour lequel il est contraint d’abandonner Didon… Strasnoy
a indubitablement fait ici œuvre originale, offrant ainsi la possibilité de juger
sur pied de son imaginaire musical et de son propre style. Le premier semble peu
fertile et le second maîtrisé, attestant à la fois d’un incontestable
savoir-faire et d’une certaine nonchalance, au demeurant sympathique et
avenante.
Bruno Serrou
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