lundi 23 janvier 2012

Derniers feux de Présences d'Oscar Strasnoy par Suzanne Mälkki et Roland Hayrabedian


Vendredi 20 et samedi 21 janvier 2012. Théâtre du Châtelet
 Oscar Strasnoy (né en 1970) - Photo : DR

Les deux derniers concerts du soir du Festival Présences de Radio France 2012 ont confirmé les premières impressions émises dans ces colonnes le week-end dernier (voir dimanche 15 janvier 2012). La musique d’Oscar Strasnoy (né en 1970) est sympathique, ludique, pleine d’humour mais peu marquante et sans quête d’inouï. A son écoute, il ne faut en effet pas s’attendre à être capté par une originalité débordante et une exigence extrême de l’écriture mais par la joie et le bonheur de vivre qui en émanent et par les jeux culturels qu’elle suscite aux oreilles de l’auditeur, qui ne cesse de se distraire à la recherche des sources musicales qu’il entend et les collages dont les partitions regorgent, quelle que soit leur durée. Cette chasse à la référence aura été d’autant plus gratifiante pour le public que les formations musicales conviées à ces soirées se sont avérées excellentes.

A commencer par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qui, dirigé vendredi soir par Susanna Mälkki, directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain depuis 2006, a enthousiasmé le Théâtre du Châtelet hélas à moitié vide. Non pas par les pièces de Strasnoy, bien construites mais incidentes car portant davantage sur la malice que sur la quête de l'inédit, deux pièces d’orchestre qui constituent le mouvement lent et le finale de la symphonie Sum « qui ne sont pas prévus pour être joués ensemble » (Strasnoy) et dont les deux autres pages ont été évoquées plus haut (voir 15 janvier 2012). Preuve en est le fait que c’est avec le finale, The End (Sum 4), que le concert a commencé pour se terminer sur l’adagio Y (Sum 2), sans doute une énième pichenette du facétieux compositeur argentin. La seconde pièce cite Warum?, troisième des Phantasisiestücke pour piano op. 12 de Robert Schumann, tandis que la première reprend les ultimes accords de la Symphonie n° 8 op. 93 de Beethoven. Informé de cela par le compositeur lui-même, l’auditeur passe son temps à tenter de repérer ces fragments et se détourne de l’écoute du travail propre à l’auteur de ces pièces d’orchestre qui semble vouloir distraire l’attention de son public de son incapacité à créer ou du dénuement de son inspiration, réel ou supposé. En regard de The End, Strasnoy a choisi Chemin V pour guitare et ensemble que Luciano Berio (1925-2003) a composé en 1992 en reprenant le matériau de sa Sequenza XI pour guitare conçue en 1987-1988 qui associe les traditions flamenca et classiques à l’expérimentation harmonique, technique et sonore de l’instrument, les deux pièces étant dédiées au guitariste Eliot Fisk. Œuvre majeure dans la quête sonore et les alliages entre l’instrument soliste, tenu de façon impressionnante par le guitariste argentin Pablo Marquez, et l’ensemble instrumental constitué de pupitres du Philharmonique de Radio France sous la conduite rigoureuse et alerte de Susanna Mälkki. Une Mälkki qui a dirigé en fin de programme, avec une efficacité redoutable, une violence et un sens des contrastes remarquables, l’Orchestre Philharmonique de Radio France au grand complet qui a répondu au cordeau à la moindre de ses sollicitations dans une splendide vision de l’intégrale rarement donnée de la sublime pantomime dansée Le mandarin merveilleux (1918-1919) de Béla Bartók (1882-1945). Interprétation d’autant plus réjouissante qu’elle était donnée non pas avec un orgue électronique substitutif aux syllabes chantées bouche ouverte généralement utilisé, mais bel et bien avec un vrai chœur, Radio France disposant de son propre effectif choral. 

Aussi peaufinée a été la prestation samedi soir de l’ensemble Musicatreize de Marseille dirigé par son directeur fondateur, Roland Hayrabedian. Contestable en revanche le fait d’avoir arrangé pour un ensemble bartoko-stravinskien (deux pianos et deux percussions auxquels ont été ajoutés trompette et trombone et sept chanteurs) le sublime opéra en un prologue et trois actes Dido & Aeneas (1689) de Henry Purcell (1659-1695). Qui donc a eu cette idée saugrenue : Radio France, qui a commandé cet épiphénomène, ou Strasnoy, qui l’a réalisé ?... Les magnifiques effets de l’original sont annihilés, la plastique de l’écriture instrumentale gommée, les beautés vocales éteintes… En outre, au beau milieu de la partition, Strasnoy fait siffloter ses protagonistes comme s’il voulait persifler son grand aîné… N’est pas Hans Zender (né en 1936) qui veut, surtout pas Strasnoy, qui chasse pourtant ici sur des terres comparables à celles du compositeur chef d’orchestre allemand, auteur d’une admirable « interprétation composée » pour ténor et ensemble (1993) du Voyage d’Hiver (1827) de Franz Schubert (1797-1828). Tandis que Pascal Dusapin a composé à la demande de la Monnaie de Bruxelles son remarquable opéra Medeamaterial (1992) sur un texte de Heiner Müller comme première partie du Dido & Aeneas de Purcell… Pour la même formation que son arrangement (?) de la partition de Purcell, Strasnoy avait composé son opéra Un retour sur un livret polyglotte (espagnol, français et latin) d’Alberto Manguel, commande du Festival d’Aix-en-Provence et de Musicatreize qui l’ont créée le 4 juillet 2010. Cette adaptation du roman du librettiste a pour sujets l’impossible retour et la destinée, à l’exemple du voyage sans retour d’Enée depuis Ilion vers son destin romain pour lequel il est contraint d’abandonner Didon… Strasnoy a indubitablement fait ici œuvre originale, offrant ainsi la possibilité de juger sur pied de son imaginaire musical et de son propre style. Le premier semble peu fertile et le second maîtrisé, attestant à la fois d’un incontestable savoir-faire et d’une certaine nonchalance, au demeurant sympathique et avenante. 


Bruno Serrou


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