mardi 3 décembre 2024

L’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia de Rome, son directeur musical Daniel Harding et la violoniste Lisa Batiashvili ont offert à Paris une féerique fête des sons

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 2 décembre 2024 

Daniel Harding, Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Photo : (c) Cheeese - Ava du Parc

Quand un orchestre italien brille dans tous les répertoires (France, Russie, Allemagne, Italie), c’est une véritable fête pour les oreilles… L’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia dirigé avec élégance et sensibilité par Daniel Harding, son directeur musical. Avec, après l’Après-midi d’un faune de Claude Debussy, la solaire Lisa Batiashvili dans le Concerto n° 2 pour violon de Serge Prokofiev d’une limpidité lumineuse, suivi d’un touchant hommage avec l’orchestre à son pays, la Géorgie, qui traverse en ce moment de tragiques épreuves avec un arrangement de choral pour orgue de Johann Sebastian Bach pour violon et orchestre. Une onirique et chatoyante Symphonie n° 2 de Johannes Brahms, suivie d’un hommage à Giacomo Puccini mort voilà cent ans le 30 novembre avec l’intermezzo du troisième acte de Manon Lescaut à tirer des larmes 

Daniel Harding, Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Photo : (c) Cheeese - Ava du Parc

A l’instar de la flûte solo d’un moelleux et d’une sensualité fruitée d’Andrea Oliva et du flux magique des des doigts courant sur les cordes des deux harpes de Silvia Podrecca et d'Anna Aslesano, il est apparu dès l’amorce du concert que l’Orchestre de l’Académie Nationale de Sainte Cécile de Rome se situe parmi les grandes phalanges symphonique européennes, grâce à l’expérience d’excellence forgée pendant dix-huit ans par Antonio Pappano et de son successeur en 2023, Daniel Harding. Le son ample et charnel de l’orchestre donne au Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy d’après un poème de Stéphane Mallarmé une carnation suave et charnelle bienvenue qui va judicieusement à l’encontre des timbres évanescents que l’on trouve trop souvent dans l’exécution de cette œuvre conçue pour le concert en 1892-1894, vingt ans avant d’être chorégraphiée en 1912 par Vaslav Nijinski pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev.  

Lisa Batishvili (violon), Daniel Harding, Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Photo : (c) Cheeese - Ava du Parc

Avec en soliste la prodigieuse Lisa Batiashvili, le Concerto pour violon et orchestre n° 2 en sol mineur op. 63 de Serge Prokofiev a atteint une beauté stupéfiante. Composé à Paris, Voronej et Bakou, créé le 1er décembre 1935 au Teatro monumental de Madrid par le virtuose français Robert Soetens, ce second concerto pour violon du compositeur russe techniquement exigeant est mû par une virtuosité prégnante mais non pas envahissante, au point qu’il en émane avant tout un lyrisme ardent, Prokofiev donnant la primauté au chant en se détournant de toute tentation aux frictions sonores. Les qualités de musicienne de la violoniste géorgienne se manifestent dès l’amorce du concerto, où le violon seul s’exprime. Cette merveilleuse artiste irradie, projetant sur le public des flamboiements foudroyants de ses extraordinaires sonorités, d’une ferveur, d’une variété de coloris phénoménale, des timbres épanouis de son archet plein, délié, d’une précision, d’une légèreté, d’une ampleur expressive telle qu’elle exalte un nuancier d’une ampleur et d’une diversité qui lui permettent d’atteindre une intensité expressive et plastique ahurissante. Il convient aussi de saluer les sublimes dialogues de la violoniste géorgienne avec l’orchestre et ses solistes. 

Daniel Harding, Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Photo : (c) Cheeeve - Ava du Parc

En bis, Lisa Batiashvili a opté pour un partage avec les pupitres des cordes de la phalange de la capitale italienne dans un adagio de Suite de Jean-Sébastien Bach d’une brûlante émotion. En bis, Lisa Batiashvili a opté pour un partage avec l’orchestre italien dans le choral pour orgue de cantate Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ (Je t’appelle, Seigneur Jésus Christ) BWV 639 de Johann Sebastian Bach par le compositeur suédois Anders Hillborg (né en 1954) pour violon et orchestre.

Daniel Harding, Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Photo : (c) Cheeee - Ava du Parc

C’est une Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73 de braise qu’ont donné à entendre le Santa Cecilia et son « patron » Daniel Harding. Dansante, brûlante, vivifiante, leur interprétation a été si intense et séduisante que son exécution est passée à la vitesse de la lumière. Impossible de retenir le temps, tant la dynamique instillée par le chef britannique à sa formation italienne était étourdissante au point que la notion de temps a été totalement dissoute, le binôme réussissant la gageure de mettre en évidence la sérénité classique de l’œuvre et son énergique modernité. Après la fort longue maturation de la Première Symphonie entendue voilà neuf jours (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/11/le-budapest-festival-orchestra-ivan.html) dont la genèse occupa quatorze années de la vie de son auteur (1862-1876), celle de la Deuxième Symphonie prit moins d’un an, en 1877, parallèlement au Concerto pour violon. D’entrée, les violoncelles et les contrebasses ont donné le ton à l’esprit qui allait emporte l’œuvre sur les cimes, l’orchestre romain allant enluminer pendant quarante minutes les longues phrases aux amples respirations caractéristiques de Brahms, soutenus par les pédales de timbales (solide Antonio Catone) dans lesquelles le maître hambourgeois enveloppe toutes ses partitions, leur donnant un relief ahurissant avec des sonorités onctueuses et profondes, patinées par des cuivres miroitant, les cors somptueux menés par Alessio Allegrini qui a enlumine l’exposition du thème principal de l’Allegro non troppo initial, les trompettes moirées, particulièrement le solo Alfonso Gonzales Barquin, étoffés par la présence de trois trombones et d’un tuba, qui se substitue au contrebasson de la symphonie précédente, tandis que les bois à l’instar du hautbois chaleureux et affable de Francesco Di Rosa, tandis que le violons avec à leur tête l’excellent violon solo Andrea Obiso, bien que trop envahissant sur son siège, disposés à l’allemande, faisaient rebondir d’un côté à l’autre du plateau le matériau thématique, particulièrement dans l’Allegro con spirito final, dans le jeu mystérieux sotto voce, tandis que l’orchestre entier a porté en apothéose les ultimes mesures de l’œuvre. Contrairement à la qualité de l’écoute relevée dans la Symphonie « Résurrection » de Gustav Mahler mardi dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/11/tout-espoir-de-resurrection-annihile.html), le public s’est avéré moins discipliné, applaudissant entre chaque mouvement, au risque de susciter quelque signe d’incompréhension de la part des musiciens italiens et du chef britannique…

Daniel Harding, Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Photo : (c) Cheeese - Ava du Parc

Ce qui ne les a pas empêchés d’offrir un bis somptueux, d’une intensité tragique mais sans pathos de l’Interlude orchestral du troisième acte de l’opéra Manon Lescaut (1893) de Giacomo Puccini (1858-1924) pour célébrer la mémoire du maître de l’opéra italien disparu voilà cent ans le 29 novembre…

Bruno Serrou