Philippe Jordan (à gauche), Maciej Kwasnikowski (à droite) et Benjamin d'Anfray au piano. Photo : (c) Bruno Serrou
« Si tu chantes trop fort,
l’orchestre et moi jouerons forcément trop fort, mais si tu fais un pianissimo, nous jouerons pianissimo, avertit le chef d’orchestre
Philippe Jordan le jeune ténor polonais Maciej Kwasnikowski, qui chante la
seconde aria de Don Ottavio du Don Giovanni de Mozart. Il n’est donc
pas juste d’entendre des critiques à propos d’un orchestre qui écrase les
chanteurs, suspectant un chef qui ne serait pas à l’écoute du plateau. »
Cette leçon magistrale est la
première que Philippe Jordan donne à de jeunes chanteurs. Ce dont il se
félicite en liminaire à son cours consacré au Don Giovanni de Mozart qui réunit sept des artistes en résidence à
l’Académie de l’Opéra national de Paris (cinq chanteurs et deux pianistes). Cent minutes consacrées à cinq
extraits du chef-d’œuvre du compositeur autrichien présentés dans le cadre d’un
partenariat de l’Opéra de Paris et du Collège de France, avec le soutien de la
Fondation Hugot dans la perspective, la saison prochaine, du trois cent
cinquantième anniversaire de la fondation de l’Académie royale de musique,
futur Opéra de Paris, le directeur musical de la première institution lyrique
nationale a dispensé une master class sur le plateau d'un amphithéâtre Marguerite de Navarre
archicomble, en ce milieu d'après-midi de mardi.
De gauche à droite : Philippe Jordan, Benjamin d'Anfray, Maciej Kwasnikowski, Angélique Boudeville, Marie Perbost, Mateusz Hoedt et Danylo Matviienka. Photo : (c) Bruno Serrou
A la fin du cours, il est apparu
que la sélection des chanteurs est remarquable, à en juger à la fois de leurs
pédigrées, leur voix, leur vocalité, leur sensibilité, leur préparation,
leur présence, leur humour partagé avec leur professeur du jour : les
sopranos françaises Angélique Boudeville en Donna Anna et Marie Perbost en
Donna Elvira, le ténor polonais Maciek Kwasnikowski dans Ottavio, le baryton
ukrainien Danylo Matviienko dans Don Giovanni et le baryton-basse polonais
Mateusz Hoedt dans Leporello. Deux jeunes pianistes de l’Académie étaient
également mis à l’épreuve en tant qu’accompagnateurs chefs de chant, le
parisien Benjamin d’Anfray et le calabrais Alessandro Pratico. Philippe Jordan,
qui a publiquement déclaré ne les avoir jamais entendus, s’est dit à chaque
fois et à juste titre stupéfait par la qualité de leur voix et de leur degré de
préparation. Laissant classiquement filer par les chanteurs chaque aria et ensemble travaillés les uns
après les autres, le chef suisse prodiguait avis et conseils généraux, puis faisait
reprendre un certain nombre de passages pour les peaufiner, particulièrement
les transitions récitatif-air, changements d’atmosphères, de couleurs et
d’expressions.
Maciej Kwasnikowski et Philippe Jordan. Photo : (c) Bruno Serrou
« Mozart doit être parfait
mais vivant, ce qui engendre un travail hors norme », dit-il à Ottavio-Maciek
Kwasnikowski, à qui il demande après l’avoir écouté dans les deux parties de sa
seconde aria, Il mio tesoro intanto (Quand
je suis loin d’elle), la façon dont il convient de concevoir ce personnage
réputé mièvre. « Ottavio est un homme d’honneur, répond Kwasnikowski, un
chevalier, et non pas seulement un être écrasé par Donna Anna. » - « Il
faut donc plus de dynamique, insiste Jordan. Les violons de l’orchestre sont
d’abord con sordino, Mozart fait
ensuite retirer les sourdines. Il convient donc de mettre en avant les
contrastes. » Kwasnikowski, qui révèle une vraie intelligence du rôle et
impose sa voix claire et solide, reprend donc, confirmant ainsi combien le
maître a raison. « Insiste sur les petites notes, ajoute-t-il, car elles
aident à trouver le souffle, qui vient alors naturellement. » Avant que le
ténor entame la reprise, Jordan lui signifie que celle-ci doit être « plus
tendre, plus intense et intime ».
De droite à gauche : Philippe Jordan, Angélique Boudeville et Alessandro Pratico (piano). Photo : (c) Bruno Serrou
C’est ensuite au tour de Donna
Anna-Angélique Boudeville dans le récitatif et air du second acte de Don Giovanni, « Crudele ?… Non mi dir, bell’idol mio »… Belle voix
bien posée et charnelle, mais diction peu claire, la soprano française file la
totalité de ce morceau de bravoure alternant fureur et désespoir avec grand maîtrise.
Lui faisant reprendre l’introduction à l’aria,
Philippe Jordan relève : « Récitatif ne veut pas dire libre, mais
récit a tempo, ici bel et bien
déterminé - risoluto, insiste-t-il. Les
notes sont écrites, il faut donc les respecter. »
De droite à gauche : Philippe Jordan, Danylo Matviienko, Marie Perbost, Angélique Boudeville, Maciej Kwasnikowski et Alessandro Pratico (piano). Photo : (c) Bruno Serrou
Dans le quartetto « Non ti fidar, o misera » (Ne te fie pas, ô misérable) numéro neuf,
scènes onze et douze du premier acte qui rassemble Don Giovanni, Don Ottavio,
Donna Anna et Donna Elvira, Donna Anna, deux protagonistes font leur apparition
dans le cours de la master class : Marie Perbost, dont la voix de lumière
ouvre l’ensemble, brossant une Donna Elvira déterminée, tandis que le Don Giovanni
du baryton ukrainien Danylo Matviienko, un peu à l’écart, ne donne pas encore
toute sa carnation au Burlador de Séville. Tant et si bien que Philippe Jordan
pousse ce dernier, en lui signifiant, avec bonhommie : « Don Juan ne
chante pas piano, mais chuchote forte. »
Le cours se poursuit avec Don
Giovanni-Danylo Matviienko dans sa sérénade du deuxième acte « Deh vieni alla finestra » (Parais à la fenêtre). Si le baryton
impose d’un coup son timbre chaleureux et sa ligne de chant finement
mozartienne mais dont l’interprétation, dans son filage, paraît un rien monolithique,
comme l’en avertit Philippe Jordan, qui insiste : « Giovanni est un
caméléon. A chaque mot, il change de caractère. Maintenant, passons à la
mandoline… » Matviienko interprète si bien cette seconde partie de la
sérénade, que le maestro l’en félicite, et invite le public à l’applaudir
chaleureusement, comme il le fera à l’issue de chacune des prestations des
intervenants.
De gauche à droite : Benjamin d'Anfray, Maciej Kwasnikowski, Angélique Boudeville, Marie Perbost, Mateusz Hoedt, Philippe Jordan et Danylo Matviienka. Photo : (c) Bruno Serrou
Pour conclure la séance publique,
le fameux Trio des masques « Bisogna
aver coraggio » (Il faut avoir
courage), dix-neuvième scène du premier acte ouvert par Donna Elvira-Marie
Perbost à qui répond Don Ottavio-Maciek Kwasnikowski puis Donna Anna-Angélique
Boudeville, tandis que marmonne mezzo-forte
le duo Don Giovanni-Danylo Matviienko/Leporello-Mateusz Hoedt, ce dernier
faisant enfin son apparition. Un quintette de chanteurs sans défaut, qui
confirme combien l’Académie de l’Opéra de Paris sait sélectionner les jeunes artistes.
« Chez Mozart, leur dit Philippe Jordan après les avoir félicités, les finale sont toujours dans le même tempo,
du début à la fin ». Se tournant vers le pianiste, il lui demande de
reprendre par trois fois les deux mesures descendantes du piano-orchestre, que le
chef fait écouter goulûment à tout le plateau et à la salle entière, se
contentant de commenter entre deux reprises : « Richard Strauss
disait qu’il donnerait tous ses opéras pour ces deux seules mesures… »
Outre les cinq chanteurs, il
convient de saluer les deux pianistes qui se sont relayés pendant une centaine
de minutes, eux aussi membres de l’Académie où ils étudient le métier de chef
de chant et répétiteur, Benjamin d’Anfray et Alessandro Pratico, à qui Philippe
Jordan a également prodigué conseils et remarques, avant de les remercier confraternellement.
Bruno Serrou
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