Perpignan, Festival
Aujourd’hui Musiques, Théâtre de l’Archipel, samedi 15 et dimanche 16 novembre
2014
L'affiche Aujourd'hui Musiques 2014. Photo : (c) Bruno Serrou
Si les festivals fleurissent l’été, ceux de musique
contemporaine préfèrent l’automne. Après Musica à Strasbourg et parallèlement
au Festival d’Automne à Paris, deux manifestations essaiment le pourtour
méditerranéen en novembre, Manca à Nice et Aujourd’hui Musiques à Perpignan. La vingt-troisième édition de cette dernière
manifestation s’est ouverte le 14 novembre pour une semaine de « découvertes,
d’audace et d’innovation musicale sous toutes les formes ». « L’audace
est vertu ; sans elle, pas de démarche artistique, allègue le compositeur
Pierre Jodlowski. Pas de table rase, mais bousculons formes et
conventions. La normalisation suscite la confusion, le divertissement
prenant le pas sur la création. La provocation ne m’intéresse pas comme telle,
mais il faut introduire de la subversion. Fait de société, la musique envahit
gares, restaurants, parkings, nivelle l’exigence et l’attention, bloque
l’écoute au-delà de trois minutes de couplet-refrain. La question
fondamentale est la place du créateur dans le monde moderne ;
l’expérimentation a-t-elle sa place aujourd’hui ? Parmi les solutions, les
associations avec plasticiens, cinéastes, chorégraphes... »
Perpignan, Théâtre de l'Archipel, salle Le Grenat. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est aussi la
préoccupation de nombreux interprètes, à l’instar du percussionniste Philippe
Spiesser, qui travaille sur le projet 3
Kinects avec l’IRCAM tentant de repousser les techniques du jeu et du son
grâce à la virtualité. « L’audace d’une interprétation c’est tenter des
possibilités nouvelles en suivant l’exemple des grands maîtres, comme Glenn
Gould, qui a eu le cran de donner de nouvelles dimensions à Bach en se lançant
à fond dans sa quête au point de devenir une référence. C’est ce qui fait
avancer les musiciens de notre temps. Sans elle, il me manquerait une part de
moi-même. » Pour Spiesser, le public adhère à la prise de risque s’il sent
l’innovation mue par une vision musicale globale. Tout le monde a des idées,
mais n’est pas inventeur qui veut. Il faut oser, ne pas craindre de déplaire,
sinon l’inventivité est bridée. « Avec cette terrible morosité ambiante,
il nous faut lutter contre la culture de masse en sortant des sentiers balisés
du concert classique, soutient Jackie Surjus-Collet, directrice du
festival. Nous devons susciter la curiosité, bousculer les certitudes,
interroger, pousser à la réactivité, inciter à la redécouverte de
l’espace. » Ainsi, Aujourd’hui Musiques croise les arts et convie le
public à côtoyer les artistes pour les désacraliser et démontrer leur
accessibilité.
Perpignan, le Castillet. Photo : (c) Bruno Serrou
Le
premier des deux week-ends a parfaitement illustré le propos du festival, en
présentant autant de spectacles pluridisciplinaires. Au sein du Théâtre de l’Archipel,
depuis trois ans centre stratégique d’Aujourd’hui Musiques, étaient proposées
aux festivaliers des déambulations sensorielles ponctuées de surprises sonores,
visuelles et gustatives enrichie d’une visite tactile, parallèlement aux divers
rendez-vous du festival. Après une ouverture en forme de concert classique consacrée
au minimaliste étatsunien Philip Glass interprété par l’Orchestre Perpignan
Méditerranée dirigée par son directeur musical Daniel Tosi, la programmation a
adopté un tour original considérant les visées du festival qui entendait cette
année exploiter les sens du public, puisqu’il s’est agi d’un spectacle où l’auditeur
était plongé dans un brouillard si opaque qu’il était impossible de percevoir
ne serait-ce que l’ombre de son voisin, qui pouvait être l’un des protagonistes
non pas de l’action, car il ne pouvait y en avoir au milieu de cette brume, mais
du récit.
Maurice Maeterlinck (1862-1949), les Aveugles. Un spectateur dans la brume entouré de comédiens. Photo : (c) Bruno Serrou
Cette intimité a été rendue possible grâce à l’exiguïté de la salle
où l’œuvre a été donnée, le Carré, et à la proximité du public et des acteurs. Au
nombre de douze dispersés au sein de l’assistance, les Aveugles, d’après la pièce éponyme de Maurice Maeterlinck. L’on
se souvient de l’opéra pour douze chanteurs et cinq musiciens que Xavier Dayer
tira de ce même texte en 2006 pour l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de
Paris dont la création a été donnée Théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis. Cette
fois, la seule musique émane des voix des protagonistes, qui, perdis au beau
milieu de la nature, sont à la recherche du prêtre sensé de s’occuper d’eux, s’il
n’était mort sans qu’ils le sachent. Dans cette production venue du Théâtre de
Vitry en coproduction avec l’IRCAM et avec la participation d’Arcadi-Ile-de-France,
public et acteurs sont fondus en un groupe indifférencié, assis sur des chaises
dans un espace vide et sans direction précise, laissant ainsi libre cours à l’imaginaire
du spectateur pour produire ses propres images ainsi que le son qui en résulte de
l’écoute de ce que disent les comédiens. Point de musique ici autre que celle
des protagonistes qui parlent et la voix intérieure de chacun des spectateurs.
Le ballet What the Body does not Remember de Wim Vandekeybus. Photo : (c) Compagnie Ultima Vez
Le
lendemain, place à la danse, dans la grande salle, Le Grenat, avec une troupe venue de Belgique, la Compagnie
Ultima Vez de Namur, dirigée par le chorégraphe flamand Wim Vandekeybus, qui, à
l’instar de Teresa De Keersmaeker, joue dans sa gestique et dans sa dramaturgie
sur l’énergie, la pulsion et la violence. A l’instar de son aînée, il a fait
appel pour le ballet créé en 1987 qu’il a présenté, What the Body does not Remember (Ce
dont le corps ne se souvient pas),
au compositeur bruxellois Thierry De Mey ainsi qu’à son confrère belge Peter
Vermeersch, à l’inspiration plus cross over mêlant classique, jazz et pop’. Une musique roborative et assommante heureusement ponctuée par le bruit des corps se jetant à terre, courant ou se bousculant. Sur
un plateau nu, où il manquait la présence physique des musiciens de l’Ensemble Maximalist!
(deux
pianos, deux saxophones, clarinette et violoncelle, chacun jouant aussi de la percussion) et de leurs
instruments, représentés par les seuls haut-parleurs (le groupe ayant été
dissout en 1989), qui devaient donner au spectacle une variété plus soutenue
que celle atteinte par la seule danse, trop systématiquement agressive, fulminante,
compulsive, le geste pesant quoique souvent virtuose et le pas bruyant,
interprétée jusqu’à la fureur par dix danseuses et danseurs, dont le
chorégraphe en personne.
Bruno Serrou
Cet
article reprend dans sa première partie un article paru dans le quotidien La Croix daté samedi 15 et dimanche 16
novembre 2014
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