jeudi 11 décembre 2014

Louis Langrée a dirigé avec panache le concert d’adieu de l’Orchestre de Paris à la Salle Pleyel

Paris, Salle Pleyel, mercredi 10 décembre 2014

Louis Langrée. Photo : (c) Arte.tv

Ce mercredi 10 décembre restera pour ceux qui y étaient, public et acteurs confondus, comme une soirée mémorable. Pour beaucoup, c’est la nostalgie qui a prédominé, pour d’autres, tout aussi nombreux, ce fut seulement une page qui se tournait avant une nouvelle et grande aventure, assurément plus longue et au moins aussi riche, avec l’installation que l’on espère définitive pour l’Orchestre de Paris à qui la nouvelle salle est avant tout destinée, après qu’il soit passé par les cases Théâtre des Champs-Elysées, Salle Pleyel, Palais des Congrès, Théâtre Mogador, avant le retour à Pleyel complètement repensé pour lui voilà huit ans… Le 14 janvier prochain, l’Orchestre de Paris donnera son tout premier concert à la Philharmonie, abandonnant le huitième arrondissement huppé de la rue du faubourg Saint-Honoré non loin du Palais de l’Elysée, pour le dix-neuvième, au pied du boulevard périphérique côté intérieur, sans pour autant changer de rive de la Seine, la gauche restant  sans doute à jamais un désert musical…

La Salle Pleyel, façade du 252 rue du faubourg Saint-Honoré. Photo : DR

Si les musiciens de l’Orchestre de Paris affirment leur joie quant à leur installation à la Philharmonie qui leur est dédiée, le public que la phalange parisienne s’est forgé le suivra-t-elle pour autant ?... Il y a des chances, puisque ses multiples déménagements en quarante-sept ans d'existence n'ont nui ni à sa fréquentation ni à sa progression artistique. Néanmoins, hier, assis à ma droite, un homme d’une élégance flatteuse, avec chapeau-feutre et canne au pommeau argenté m’a fait part haut et fort de ses regrets, tout en avouant son fatalisme : « C’est l’ultime concert de l’Orchestre de Paris auquel j’assiste. Je le suis pourtant depuis 1967, mais il n’est pas question que j’aille dans le quartier où il s’installe. J’irai ailleurs, et j’écouterai des disques. »

La Salle Pleyel, vue depuis le plateau. Photo : (c) Pierre-Emmanuel Rastoin/Salle Pleyel

Pour cette soirée d’adieu, la Salle Pleyel était comble. Pas un fauteuil libre parmi les mille neuf cent treize places assises que compte Pleyel, à tel point que les invitations étaient peu nombreuses et les places de presse réduites aux acquêts. Il faut dire que, outre les circonstances inhabituelles, le programme avait de quoi attirer les foules, d’autant plus que le concert n’était pas doublé, contrairement à la grande majorité des rendez-vous de l’Orchestre de Paris qui sont le plus souvent donnés deux jours de suite, les mercredis et jeudis.

Salle Pleyel, Orchestre de Paris et Chœur de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris

Louis Langrée dirigeait. Il retrouvait ainsi un orchestre qu’il connaît bien et qui l’apprécie, leur collaboration remontant à un premier concert en 1991, année du bicentenaire de la mort de Mozart à qui cette première prestation était consacrée, puis dans plusieurs représentations scéniques de Fortunio d’André Messager en 2009 et de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy en 2011. Désormais, la maturité venue, riche d’expériences multiples, maîtrisant autant les répertoires baroque et classiques sur instruments anciens et modernes que l’orchestre symphonique et l’opéra, le chef français compte parmi les plus grands directeurs d’orchestre de sa génération. Et sa prise de fonctions en septembre 2013 comme Directeur musical du Cincinnati Symphony Orchestra, l’un des « Big Ten » américains, n’est en aucun cas usurpée, comme l’atteste sa performance d’hier.

Les deux œuvres de la soirée, situées entre classicisme et romantisme, ont eu pour dénominateur commun la fraîcheur, la nostalgie sans épanchement et la spiritualité, avec une partition de jeunesse pour orchestre de Franz Schubert (1797-1828) et une grande page chorale incomplète de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791).

L'Orchestre de Paris à la Salle Pleyel. Photo : (c) Orchestre de Paris

Quatrième Symphonie de Schubert

Achevée en 1816 - elle ne sera créée qu’en 1849, soit vingt-et-un ans après la mort de son auteur -, la Symphonie n° 4 en ut mineur « Tragique » D. 417 de Schubert, contrairement à ses trois premières symphonies, se tourne davantage vers Beethoven que vers Mozart. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si Schubert a adopté la tonalité d’ut mineur qui est celle de la Cinquième Symphonie que Beethoven acheva en 1808. Schubert utilise quatre cors, ce qui donne à cette pièce d’une demi-heure une ampleur inaccoutumée, malgré une orchestration conforme à celle de l’époque, avec bois et cuivres par deux, timbales et cordes (14-12-10-8-6). A noter d’ailleurs que Louis Langrée a disposé ces dernières de façon traditionnelle hors de l’hexagone, c’est-à-dire les violons se faisant face, les premiers à cour, les contrebasses derrière eux, les seconds à jardin, violoncelles et altos dans cet ordre entre premiers et seconds violons. Langrée a d’entrée donné le ton de son perception de l’œuvre, précise à la fois d’intention et d’analyse. Les premières mesures ont été saturées de tension tragique et introspective qui a donné à cette partition née de l’esprit d’un jeune homme de dix-neuf ans une profondeur et une gravité d’une maturité laissant percer l’ultime Neuvième Symphonie en ut majeur dite « La Grande » de 1825-1826, tout en soulignant ce que cette Quatrième doit également à Mozart, tandis que l’Allegro vivace s’est avéré d’une frénésie saisissante soutenue par une rythmique implacable. Une délicate émotion a submergé l’auditoire dans l’Andante, tandis que le Menuet a procuré à l’œuvre un oasis guilleret, intermède qui a débouché sur un Allegro final frétillant avant de conclure sur un ton martial. L’Orchestre de Paris a répondu avec vaillance à la moindre sollicitation du chef, geste précis et expressif quant à ses intentions, jouant avec bonheur sous la direction de ce brillant musicien qui a d’évidence le charisme et le talent pour devenir un jour son directeur musical… s’il n’était pas Français… Cela dit, plusieurs de ses aînés parmi les plus fameux ont dû passer par les Etats-Unis pour s’imposer chez eux, Pierre Monteux, Charles Munch, Pierre Boulez…

L'Orchestre de Paris et le Chœur de l'Orchestre de Paris à la Salle Pleyel. Photo : (c) Orchestre de Paris

Grande Messe de Mozart

La seconde œuvre du programme a été l’occasion de réunir l’Orchestre de Paris, en formation réduite - flûte, deux hautbois, deux bassons, deux cors, deux trompettes, timbales et cordes (12-10-8-6-4), mais avec trois trombones et un orgue -, et son Chœur - ici à quatre, cinq et huit voix et chantant non pas au-dessus de l'orchestre mais depuis le plateau -, que Daniel Barenboïm avait fait constituer en 1976 par Arthur Oldham lorsqu’il était Directeur musical de la phalange parisienne. Ce sont ajoutés quatre chanteurs solistes. Louis Langrée, qui excelle dans Mozart - ce que les Américains et les Autrichiens savent parfaitement puisqu’ils lui ont confié le festival Mostly Mozart du Lincoln Center de New York qu’il dirige depuis douze ans et la Camerata de Salzbourg depuis 2010 -, a en effet dirigé la Grande Messe en ut mineur KV. 427 que Mozart a composée pour son mariage avec Constance Weber à Salzbourg en 1782. Le projet initial du compositeur était une partition d’une centaine de minutes dont il n’a finalement réalisé qu’un peu plus de la moitié. Il s’agit en effet d’une œuvre incomplète, puisque ne sont achevés que le Kyrie, que Mozart reprendra dans sa cantate Davidde penitente KV. 469, le Gloria, la première partie du Credo, le Sanctus, partiellement perdu, et le Benedictus. Manquent donc à l’appel la fin du Credo, une partie du Sanctus, l’Agnus Dei et le Dona nobis pacem. Ce que Schubert doit à Mozart et Beethoven dans sa symphonie, Mozart le doit dans sa messe à Haendel et Jean-Sébastien Bach et à ses fils. D’imposantes fugues parcourent la partition, d’une beauté et d’une inventivité à couper le souffle, sur Cum Sancto Spiritu dans le Gloria et sur Hosanna dans le Sanctus et le Benedictus, tandis que l’invention mélodique est foisonnante. L’on perçoit dans plusieurs passages des tournures et des accents plus ou moins annonciateurs du Requiem en ré mineur KV. 626, cela dès le début dans la douloureuse déploration du Kyrie sur les mots Kyrie eleison, tandis que le Laudamus Te du Gloria renvoie au théâtre lyrique.

Avec un souci du détail et un sens du contraste exemplaire, Louis Langrée a mis en exergue les infinies richesses de cette splendide partition, déployant un somptueux tapis sonore avec un Orchestre de Paris en excellente forme en profitant pour lui extirper de fabuleuses couleurs, respirant large dans les longues phrases ménagées par Mozart qui se sont développées avec ampleur et générosité sans que le moindre pupitre manifeste le plus petit signe de faiblesse, magnifiant autant la spiritualité profonde de l’œuvre que son lyrisme épanoui, mais aussi sa poignante grandeur. Si la soprano finlandaise Marita Solberg a fait entendre un chant plus ou moins serré dans ses vocalises, son timbre clair et charnu a conduit à en faire abstraction dans le sublime Et incarnatus est du Credo. Les trois voix - la noble mezzo-soprano suédoise Katija Dragojevic à la voix de bronze, et le remarquable ténor britannique Toby Spence qui a donné une extraordinaire intensité à sa partie, associées à la soprano - se sont fondues les unes aux autres comme autant d’instruments d’un trio, la basse n’intervenant qu’à la toute fin de l’œuvre incomplète, mais le peu que l’Argentin Nahuel Di Pierro a donné la mesure de cette voix pleine et ronde. Le Chœur de l’Orchestre de Paris a amplement participé à la réussite de cette interprétation, montrant ferveur, homogénéité et sens de la respiration.


Bruno Serrou 

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