lundi 8 décembre 2014

Les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet défendu avec conviction par 18 chanteurs au seuil d’une carrière prometteuse en tournée dans 15 théâtres lyriques

Massy-Palaiseau, Opéra de Massy, dimanche 7 décembre 2014

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Production du CFPL 2014-2015. Photo : (c) Alain Julien

Créé le 20 juillet 1954 dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence, les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet (1901-1989) sont à l’instar de son auteur bien oubliés. A l’exception de rares productions, comme celles du Grand Théâtre de Compiègne en 2006 suivie l’année suivante par celle du Festival de Saint-Céré, il est peu d’occasions d’écouter et de voir cet opéra, qui, sans être d’une grande originalité, n’a pas à rougir face à des ouvrages de Menotti ou Rota, pour ne citer que les contemporains de Sauguet, le style conversation en musique en plus - mais de là à comparer les Caprices de Marianne à Ariane à Naxos de Richard Strauss comme le fait allègrement l’auteur du texte de présentation publié dans le programme de salle de l’Opéra de Massy, il y a un grand pas à franchir, surtout si l’on rappelle que quarante-quatre ans séparent les deux partitions en faveur du second, plus inventif et coloré que son cadet. 

Henri Sauguet (1901-1989). Photo : DR

Adapté de la pièce éponyme d’Alfred de Musset par Jean-Pierre Grédy, le livret conte les mésaventures de la capricieuse Marianne, épouse d’un vieux juge napolitain Claudio. Ne sachant ni aimer ni haïr, elle suscite l’amour d’un jeune homme sensible et timide, Coelio, que son ami Octave, qui est aussi le cousin de celle qui fait l’objet de ses soupirs, aide à conquérir le cœur de la jeune femme. Accusée à tort d’adultère par son mari et troublée par les propos de son cousin, elle lui accorde un rendez-vous dont il fait profiter son ami, qui tombe dans le guet-apens tendu par l’époux jaloux.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Coelio, Marianne et la duègne. Photo : (c) Alain Julien

Programmé sur l’initiative du Centre Français de promotion lyrique (CFPL), structure fondée en 1970 par les principaux directeurs d’opéras de France pour faciliter l’insertion professionnelle et la promotion de jeunes chanteurs, notamment par le biais du concours Voix Nouvelles, le projet Les Caprices de Marianne de Sauguet succède à celui du Voyage à Reims de Rossini, qui, de 2008 à 2010, permit à une trentaine de jeunes chanteurs de s’aguerrir au contact de la scène à la carrière pendant une longue tournée. Cette fois, les Caprices de Marianne sont programmés par quinze scènes (Opéra Grand Avignon, Opéra national de Bordeaux, Opéra-Théâtre de Limoges, Opéra de Marseille, Opéra de Massy, Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Opéra de Nice, Opéra de Reims, Opéra de Rennes, Opéra de Rouen Haute-Normandie, Opéra-Théâtre de Saint-Etienne, Théâtre du Capitole de Toulouse, Opéra de Tours, Opéra de Vichy,  et l’Avant-Scène/Neuchâtel - Suisse) pour plus de quarante représentations réparties sur deux saisons, jusqu’en mai 2016, après cinq semaines de répétitions à l’Opéra de Reims en septembre-octobre dernier. 

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Photo : (c) Alain Julien

Deux cent trente candidats de moins de trente-cinq ans originaires de vingt-huit pays se sont présentés aux deux séries d’auditions nécessaires à la sélection de la double distribution de neuf rôles. L’opéra-comique de Sauguet a été choisi par ces institutions parce qu’il est représentatif du « style et [du] répertoire français [, qu’il est] aisément [possible de le] confier à de jeunes chanteurs et fait appel à l’ensemble des tessitures vocales ».

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Marianne (Aurélie Fargues), la duègne (Jean-Vincent Blot) et Octave (Marc Scoffoni). Photo : (c) Alain Julien

Parallèlement à la mise en place de la production, un appel à projet a été lancé en vue du recrutement de l’équipe scénique complète, qui a suscité cinquante-trois dossiers de candidatures parmi lesquels six ont été présélectionnés, avant qu’une équipe québécoise soit retenue, sous la conduite du metteur en scène Oriol Tomas, tandis que la direction musicale était confiée à deux chefs d’orchestre français, Gwennolé Rufet et Claude Schnitzler.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Tibia, Claudio, Marianne et la duègne. Photo : (c) Alain Julien

Connu pour ses collaborations au théâtre (Charles Dullin, Louis Jouvet), ainsi qu’au cinéma (Marcel L’Herbier, Louis Daquin, Henri Decoin, Pierre Chenal, John Berry, Michel Boisrond, Pierre Prévert), et pour quelques-uns de ses vingt-quatre ballets, le plus fameux étant la Chatte et les Forains, ce dernier lançant la carrière de Roland Petit en 1945, disciple d’Erik Satie et de Charles Kœchlin, Henri Sauguet s’est imposé dans le domaine lyrique avec l’opéra-bouffe la Contrebasse (1930), les opéras la Chartreuse de Parme (1939), la Gageure imprévue (1942), quatre symphonies, des concertos pour piano et pour violon, une Mélodie concertante pour violoncelle et orchestre (1964), la suite symphonique Tableaux de Paris (1950) et de la musique de chambre dont un Quatuor à cordes (1948). Se déclarant indépendant et revendiquant son refus de l’école de Darmstadt, il sera tenu à l’écart de ses jeunes contemporains, et sa musique trahit un savoir-faire incontestable au service d’un langage alliant classicisme et romantisme et se situant dans la continuité de la musique française, de Rameau à Fauré plutôt qu’à Debussy. Son œuvre la plus significative est la cantate pour baryton et orchestre à cordes l’Oiseau a vu tout cela composé en 1960 sur un poème de Jean Cayrol.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. La duègne, Claudio, Marianne et l'aubergiste. Photo : (c) Alain Julien

Opéra-comique en deux actes d’une durée totale de deux heures et dix minutes, les Caprices de Marianne vaut surtout par son écriture foisonnante, à défaut d’originalité flagrante et de témérité. Ainsi réussit-il à donner une infinité de coloris et par la grande virtuosité requise pour les vingt-cinq instrumentistes de fosse, qui expriment l’essentiel de l’opéra. Le style vocal est celui d’une conversation en musique marquée en outre de la double empreinte de Debussy et Ravel. Seul le rôle de Marianne sollicite une réelle vélocité vocale sans pour autant nuire à l’intelligibilité du texte.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Hermia et Coelio. Photo : (c) Alain Julien

C’est pourquoi il convient de féliciter ici la jeune soprano toulousaine Aurélie Fargues, qui surmonte les vocalises avec une certaine adresse et s’avère endurante, mais la voix est un peu trop pointue voire acide, et qui ne chante pas toujours juste sans doute contrainte par le débit souvent rapide que lui impose l’écriture de Sauguet qui tend trop systématiquement vers le parlé-chanté. En revanche, le reste de la distribution est sans défaut, menée par l’excellent Octave de Marc Scoffoni, baryton marseillais qui conforte sa jeune réputation, et par le Coelio tout d’ardeur et de spontanéité de Cyrille Dubois, ténor caenais ancien élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris qui impose un aigu solide et coloré et un style raffiné de jeune homme naïf, tandis que la basse niçoise Thomas Dear, silhouette élancée, est un juge Claudio glacial et tortueux, et la mezzo-soprano Julie Robard-Gendre une Hermia touchante de sa belle voix sombre et veloutée. De Xin Wang (Aubergiste diligent) à Tiago Matos (chanteur de sérénade inspiré), en passant par Carl Ghazarossian (factotum cynique), les seconds rôles sont parfaitement tenus. Seule faute de goût, Jean-Vincent Blot qui en fait un peu trop dans le court rôle travesti de la duègne.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Octave et Marianne. Photo : (c) Alain Julien

Dirigé avec conviction par Gwennolé Rufet, son directeur musical, l’Orchestre de l’Opéra de Massy a servi l’œuvre avec rigueur et clairvoyance, certains pupitres s’imposant dans des solos forts bien tenus, tous soutenant avec attention les chanteurs qu’ils enveloppaient de leurs timbres sans jamais les couvrir. La mise en scène d’Oriol Tomas, qui se déploie dans un décor unique conçu par Patricia Ruel figurant à grands traits la Galleria Umberto I de Naples dédoublée dans les cintres en fond de scène, à l’aplomb de deux alcôves, la salle de l’auberge côté cour, l’appartement du juge à jardin, les deux pièces étant séparées par un escalier central conduisant à un jardin, tandis que milieu du plateau est occupé par la rondeur d’une fontaine (qui se fait baignoire le temps que la mère de Coelio lave le dos de son fils), tandis que la progression de la psyché du personnage de Marianne est soulignée par l’évolution de ses costumes que Laurence Mongeau fait évoluer de la robe cloche de jeune fille à la robe de femme assumée.

Bruno Serrou

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