samedi 13 octobre 2012

Une monotone Médée de Marc-Antoine Charpentier ouvre la saison du centenaire du Théâtre des Champs-Elysées



Paris, Théâtre des Champs-Elysées, vendredi 12 octobre 2012


Chanté par Ovide, Euripide, Sénèque dans l’Antiquité, puis par Jean-Bastier de La Péruse, Pierre et Thomas Corneille, Franz Grillparzer, Catulle Mendès, Jean Anouilh, Heiner Müller ou Christa Wolf, mais aussi par les peintres, les cinéastes comme Pier Paolo Pasolini et les chorégraphes (Martha Graham, Ancelin Preljocaj), le mythe de Médée est l’un des plus significatifs de la tradition occidentale. Sorcière infanticide et régicide, elle est à la source de ce que la psychanalyse freudienne dénomme le complexe de Médée, qui décrit la femme abandonnée par son mari qui réduit ses enfants à un objet de vengeance dans le désir inconscient de châtrer le père, en lui retirant l’objet de son désir, motif de sa fierté. En toile de fond, le meurtre réel, imaginaire ou symbolique de l’enfant, qui n’est pas pour la mère un sujet à part entière mais un simple objet de jouissance (1). 


Des nombreux opéras qu’a inspirés Médée jusqu’à nos jours (de Jean-François Salomon en 1713 jusqu’à Pascal Dusapin en 1992 et Michèle Reverdy en 2003), la Médée de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) créée en 1693 est l’un des tout premiers. C’est sur cette tragédie lyrique en cinq actes, présentée en coproduction avec l’Opéra de Lille, que le Théâtre des Champs-Elysées a choisi d’ouvrir la saison de son centenaire placée en partie sous le signe de ce personnage au caractère sanguin. Le livret de Thomas Corneille (1625-1709) réduit l’action efficacement : la princesse de Colchide, pour se venger de la trahison de son mari Jason, prince de Thessalie, ensorcelle ses adversaires, offre une robe empoisonnée à sa rivale, Créuse, fille de Créon le roi de Corinthe qui lui donna l’asile mais qu’elle voue à la folie, tue ses propres enfants pour jouir de la détresse incommensurable de son infidèle époux. 


Voulu par Alexandre Astruc, conçu par Auguste Perret avec la collaboration du sculpteur Antoine Bourdelle, le Théâtre des Champs-Elysées a été inauguré le 2 avril 1913 avec un concert de musique française dirigé par trois compositeurs - Debussy pour son triptyque La Mer, d’Indy pour son Prélude de « Feerval », Dukas pour son Apprenti sorcier -, et par D.E. Inghelbrecht pour la création de l’Ode à la musique de Chabrier. Mais la réputation de ce haut lieu de la musique à Paris sis avenue Montaigne à deux pas de l’avenue des Champs-Elysées repose pour l’essentiel sur deux des plus grands scandales de l’histoire de la musique, la création du Sacre du printemps d’Igor Stravinski le 29 mai 1913 dans une chorégraphie de Vaslav Nijinski pour les ballets russes de Serge de Diaghilev et dirigé par Pierre Monteux, et celle plus houleuse encore de Déserts d’Edgar Varèse, le 2 décembre 1954, par l’Orchestre National de la RTF sous la direction de Hermann Scherchen, tandis que fut donné dans ce même théâtre la fameuse Revue nègre de Joséphine Baker, avec Maud de Forest et Sydney Bechet, spectacle qui, le 2 octobre 1925, consacra officiellement le jazz en France. 


C’est pourtant la musique baroque qui, depuis les années 2000, tient le haut de l’affiche de ce théâtre, du moins en matière lyrique. Après le succès de La Didone de Francesco Cavalli la saison dernière, l’on attendait beaucoup de cette nouvelle production pleine de promesses, du moins sur le papier. Il nous a malheureusement fallu vite déchanter. Avant même le lever de rideau, ce dernier étant constitué en son centre d’un énorme visage de femme aux multiples yeux et aux lèvres saturés de maquillage, la bouche dégoulinant de sang, et les côtés couverts du graffiti « L’Amour… c’est moi », le spectateur était prévenu de ce qui l’attendait, un spectacle trash ou de cirque… Et c’est cette seconde option qui lui a été plus ou moins présentée. La scénographie du plasticien allemand fort en vogue Jonathan Meese, qui « prône la dictature de l’art et pourfend le reste » (sic) faite de néons, de fenêtres et de croix métalliques, et de cercueils renversés, le tout mu par solistes et choristes, est à la fois simple, basique et laide, mais heureusement bien éclairée par Jean Kalman, et les costumes de Jorge Jara sont passe-partout, à l’exception des sbires de Créon et de Médée, vêtu façon scarabée. Quant à la mise en scène de Pierre Audi, elle déçoit en regard de ce qu’il réalisa au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles au printemps dernier pour l’Orlando de Haendel (voir plus bas dans ce blog). Sa direction d’acteur est réduite aux acquêts, les protagonistes semblant se télégraphier les répliques, alors même que, contrairement à Haendel qui enchaine récitatifs et arie da capo, Charpentier ménage de grands ensembles, du duo aux chœurs, ce qui aurait dû inspirer une vraie dynamique théâtrale. D’autant que le livret de Thomas Corneille est plutôt réussi. 


Les douze chanteurs réunis pour les vingt-six rôles requis par la partition sont dans l’ensemble appropriés, mais ils ne sont pas d’égale valeur. Sophie Karthäuser est toujours rayonnante, campant une délicieuse Créuse (elle est aussi une noble Victoire et seconde bergère), Stéphane Degout est impressionnant en Oronte, chef des habitants et berger, Laurent Naouri fait un formidable Créon, Aurélia Legay (Nérine, Bellone), Elodie Kimmel (Cléone, première bergère), Benoît Arnould et Katherine Watson complètent bien la distribution. En revanche, les deux titulaires des principaux personnages déçoivent. Michèle Losier est une Médée criarde à qui Audi donne la stature d’une prostituée paranoïaque, tandis que, dans Jason, Anders Dahlin a la voix peu sûre et le timbre ingrat. 

Mais, si le chœur d’Astrée est excellent, particulièrement ses trois solistes (Clémence Olivier en Amour, Samuel Boden en premier Corinthien et démon, et Matthieu Chapuis en second Corinthien et Jalousie), le pire est dans la fosse, avec un Concert d’Astrée terne de couleurs, pas toujours juste (surtout les flûtes à bec), le jeu étriqué, les registres serrés. Il en résulte une lassitude qui s’instaure rapidement, et l’on ne peut que comprendre qu’à la reprise qui suit l’entracte, quantité de fauteuils aient été désertés le soir de la première. Cet ensemble fait au demeurant ce qu’il peut pour répondre au mieux à la direction peu précise et très sèche de sa directrice musicale fondatrice Emmanuelle Haïm, à la gestique lourde et souvent décalée, les mains continuellement fermées et se mouvant façon coups de poing. Tout cela est regrettable, car, abstraction faite de quelques longueurs, la partition de Marc-Antoine Charpentier compte nombre de belles pages.  

Bruno Serrou

1)   In Le complexe de Médée. Quand une mère prive le père de ses enfants. Alain Depaulis. De Boeck Université, 2002. 177 pages

Photos : (c) Jean Philippe Raibaud pour le Théâtre des Champs-Elysées

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire