mardi 23 octobre 2012

Double découverte pianistique : Henri Barda et Hyun-jung Lim dans la série Maestro & Friends du Théâtre des Bouffes du Nord



Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, lundi 22 octobre 2012


Henri Barda. Photo : DR


Ce n’est pas tous les jours que l’on prend plaisir à la découverte. Hier soir, aux Bouffes du Nord, c’est ce qui attendait le public de la série « Maestro & Friends » d'Aurélie Moron. Et découvrir a été d’autant plus agréable qu’il s’est agi d’un coup double.

Un grand pianiste méconnu tout d’abord, qui a pour nom Henri Barda. Né au Caire voilà 71 ans, cet élève du pianiste polonais Ignaz Tiegerman a fait sensation hier, comme il l’avait fait dans les années 1970 lors de la parution de ses sonates de Chopin publiées chez Calliope. Depuis lors, l’on n’avait plus guère eu l’occasion d’entendre parler de cet artiste, si ce n’est par son travail avec le compositeur Olivier Greif, décédé en 2000. A 16 ans, à la suite de la nationalisation du canal de Suez et de la guerre qui s’ensuivit, la famille, contrainte l’exil, se rend à Paris où l'adolescent poursuit ses études au Conservatoire et prend des cours privés avec Lazare Lévy. Puis, grâce à une bourse, il part pour New York, où il poursuit ses études à la Juilliard School. De retour à Paris, il enseigne à son tour au conservatoire de Villeneuve-Saint-Georges, puis, pendant douze ans, au Conservatoire de Paris, enfin à l’Ecole normale de Musique. « Je crois à l’idée d’atelier, dit-il dans le programme de salle du concert d’hier. Comme chez les peintres ou les menuisiers, le maître n’est qu’un étudiant de plus. » Henri Barda a repris hier une partie du programme qu’il a donné début septembre à Toulouse dans le cadre du Festival Piano aux Jacobins, les Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel, qui, sous ses doigts aériens courant l’air de rien sur le clavier de son Yamaha d'un soir qu’ils effleurent à peine tout en exaltant des sons d’une densité et d’une polychromie infinie, et la technique est si parfaite que tout devient fluide et surnaturel, la musique coulant de source, ainsi que les Préludes op. 28 de Frédéric Chopin, dont il est de toute évidence l’un des interprètes les plus inspirés et flamboyants. Cet extraordinaire musicien a offert de ces pages une interprétation saisissante de beauté et de profondeur, donnant à l’ensemble la force d’un véritable cycle, en prenant l’auditeur par la main pour ne plus le lâcher jusqu’à la fin du voyage tout en laissant son imaginaire se déployer librement à la découverte des multiples paysages dépeint à chaque escale que représente chacun des vingt-quatre préludes. 


HJ Lim. Photo : DR


Seconde révélation, l’une des élèves préférées de Barda, la pianiste coréenne Hyun-jung Lim, qui vient de publier chez EMI un coffret de sonates de Beethoven. A 23 ans, elle apparaît de toute évidence comme l’une des pianistes les plus remarquables de sa génération. Arrivée en France voilà onze ans, elle est devenue l’élève de Barda en 2003 au Conservatoire de Paris. Mais c’est avec Alexandre Rabinovitch-Barakovsky qu’elle s’est produite hier dans deux œuvres pour deux pianos, elle-même tenant le premier, tant dans la Sonate en ré majeur KV. 448 de Mozart, dans une interprétation ensoleillée et poétique, que dans La Valse de Ravel, brillante et fébrile, attestant d’une technique infaillible et d’une musicalité lumineuse, le tout porté par un sourire qui en dit long quant à son plaisir de jouer et de partager ces instants de bonheur avec le public et avec son compagnon d’une soirée, étonnamment resté froid devant le brio de sa partenaire du jour. Alexandre Rabinovitch-Barakovsky s’est néanmoins montré à sa hauteur, jouant avec humilité tout en se faisant très présent, au point de terminer épuisé La Valse


Alexandre Rabinovitch-Barakovsky. Photo : DR


Auparavant, Rabinovitch a fait entendre deux pages interminables de son cru, de fastidieuses Manas pour piano amplifié sans intérêt et asourdissantes, dont les vingt-cinq minutes seraient sans doute plus vite passées si l’auditeur avait pu s’asseoir en lotus et fumer un joint… Seul m’a maintenu quasi stoïque, m’empêchant de partir bruyamment pour manifester mon mécontentement devant le piège qui m’avait été tendu, la prestation en solo de HJ Lim dans deux trop courtes pages de Scriabine, le premier des Poèmes op. 23, d’une générosité étincelante, et le douzième des Etudes op. 8 dite « Pathétique », profonde et chaleureuse.

Bruno Serrou

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