samedi 6 octobre 2012

A l’Opéra de Paris Bastille, le Festival d’Automne à Paris et l’Ensemble Recherche révèlent à Paris un compositeur étonnant, le Danois Hans Abrahamsen


Paris, Amphithéâtre de l’Opéra national de Paris Bastille, vendredi 5 octobre 2012


Le concert du Festival d’Automne à Paris donné hier soir Amphithéâtre de l’Opéra Bastille a été l’occasion d’une étonnante rencontre avec la musique d’un compositeur danois fort rare en France, Hans Abrahamsen. Les trois œuvres retenues par l’Ensemble Recherche de Fribourg-en-Brisgau corroborent le portrait qu’en trace Martin Kaltenecker, qui le décrit dans le programme de salle comme le musicien de la transparence.

Corniste de formation, né à Copenhague en 1952, Hans Abrahamsen a étudié la composition avec Per Nørgård à l’Académie royale de musique du Danemark où il enseigne depuis 1995, puis de György Ligeti. En 1978, il a fondé avec d’autres étudiants de l’Académie le Groupe de musique parallèle, en réaction à l’attitude conservatrice de l’institution. En 1972, il compose une Symphonie en Do qui déploie simple mélodie de trois notes répétées puis développées dans l’esprit de la « nouvelle simplicité » à laquelle adhèrent alors de nombreux compositeurs danois. Hans Abrahamsen s’impose rapidement en Europe avec des œuvres qui superposent à la « nouvelle simplicité » et « nouvelle objectivité », polyrythmie et polyphonie, ce qui lui permet d’élaborer des partitions plus insolites et complexes que précédemment. Dans les années 1970-1980, il collabore étroitement avec le London Sinfonietta. C’est à cette époque qu’il commence à revendiquer une totale liberté d’expression à l’intérieur de structures strictes, cherchant ainsi à allier forme et imaginaire.

C’est avec une œuvre de cette période que l’Ensemble Recherche a ouvert le concert du Festival d’Automne à Paris, Winternacht (Nuit d’hiver). Le climat de cette partition pour flûte, clarinette, percussion, piano, guitare, violon et violoncelle conçue en 1976-1978 et révisée en 1987 n’est pas sans évoquer celui du Winterreise de Schubert, l’orchestration et le rendu sonore rappelant ceux du remarquable arrangement pour ensemble instrumental du sublime cycle de lieder de Schubert réalisé par Hans Zender. Les quatre parties de l’œuvre s’appuient d’ailleurs sur des poèmes du grand poète autrichien Georg Trakl qui servent de soubassement à un récit exprimé par les seuls instruments.

A l’instar de son maître György Ligeti, Hans Abrahamsen a dédié au piano une série de dix Etudes composées entre 1983 et 1998 qu’il a regroupées par nombre décroissant tout en isolant la dernière. Membre de Recherche, Jean-Pierre Collot a donné des huit Etudes qu’il a sélectionnées une interprétation poétique et lumineuse, qui a préludé au plat de résistance du jour…

… La première française de Schnee (Neige). Cette grande partition d’une heure est un hommage à Jean-Sébastien Bach pour neuf instruments qui se présente comme une sorte de Ludus tonalis du minimalisme. L’œuvre commence sur des susurrements d’une extrême délicatesse, des sons pulsants, granuleux et à la limite de l’audible, régulièrement et méthodiquement articulés par les instruments à cordes (violon, alto et violoncelle). Au-dessus de cette assise qui instaure un climat de mystère, un doux murmure mélodique du piano dans le haut de son registre, zone où le son des marteaux est presque aussi présent que celui des notes. Quoiqu’austère, la combinaison instrumentale et musicale ne cesse de surprendre. Ce geste insolite et vibrant ne semble pas émaner des règles strictes de l’écriture canonique. Pourtant, la partition, dont le premier thème est déduit de celui de l’Art de la fugue de Bach, est élaborée en cinq couples de canons dont le déploiement est ponctué par trois brefs Intermezzi au cours desquels les instruments se désaccordent. La seconde de chaque paire canonique est en fait une version alternative de la première. Les changements les plus notables se situent dans l’orchestration. L’œuvre s’ouvre sur des dissonances de cordes (canon 1a) qui glissent vers des crissements de morceaux de papier frottés par le percussionniste-chef d’orchestre sur le bois de trois tables (canon 1b). Décalé par l’interaction rythmique du souffle des instruments à vent ponctué par les touches du piano dans le médium dont le timbre est bloqué par des enveloppes dans le canon 2a, le rebond va croissant en 2b lorsque le même matériau est joué par l’ensemble instrumental au complet au sein duquel émerge un merveilleux dialogue en répons des deux pianos placés face à face de chaque côté du plateau.

Les doubles canons se font de plus en plus courts, les 1a et 1b étant les plus longs, avec neuf minutes chacun, tandis que les derniers, 5a et 5b, ne font plus qu’une minute. A l’instar de Morton Feldman, Hans Abrahamsen contraint à une concentration telle que très rapidement chaque infime détail sonore est clairement perçu par l’auditeur. L’attention de ce dernier se doit en effet d’être maintenue d’entrée, dès le long frottement à peine perceptible des cordes bientôt rejointes par le bruissement du papier. La sécheresse de l’acoustique de l’Amphithéâtre Bastille et l’éloignement des instruments depuis la rangée du haut où je me trouvais, ont exacerbé l’impression de quiétude de cette musique cantonnée le plus souvent dans les nuances ppp-mp - il faut attendre les canons 5a-5b, dits « enfantins », pour atteindre mf-f. Cette sécheresse forme contraste avec l’enregistrement que ce même Ensemble Recherche a fait de l’œuvre pour la WDR qui jouait sur la résonance. Mais cette faible réverbération a incité le public à une écoute plus intense et concentrée d’une musique qui le réclame impérativement. Il faut en effet s’accrocher pour goûter cette grande page, mais une fois dedans, on se laisse volontiers porter par les atmosphères certes répétitives mais si intelligemment menées que l’on ne peut qu’être convaincu. 


l'ensemble Recherche. Photo : (c) Ensemble Recherche - DR

 
Il faut dire que les musiciens de l’ensemble Recherche sont exceptionnels de toucher, de velouté, de précision, d’adresse. Le canon avec pianos aux touches sans timbre, celui où les deux pianos dialoguent en solo, le premier canon avec cordes et piano joué dans l’extrême aigu qui réclame un toucher bondissant, la percussion réduite à deux feuilles de papier, une dans chaque main, frottant continûment sur des tables le percussionniste n’ayant par ailleurs en tout et pour tout qu’un seul coup de tam-tam à effectuer piano mais en laissant une longue résonnance... Commanditaire et créateur de l’œuvre au Festival de Witten le 26 avril 2008, Recherche possède parfaitement cette musique rare et économe mais incroyablement prenante.

C’est pourquoi l’on ne peut être que choqué par les bruits parasites qui ont singulièrement perturbé l’écoute à l’Amphithéâtre Bastille. A commencer par les écoulements de chasse d’eau en provenance des coulisses tirées inélégamment par quelque personnel de l’Opéra de Paris, une ventilation se mettant en marche à l’improviste, un voisin anglophone toussant sans retenue à plusieurs reprises comme s’il était seul au monde, une spectatrice mondaine à la logue chevelure boire s’en allant lourdement en faisant longuement résonner ses hauts talons de bottes pour bien faire entendre son mécontentement... Que le public est inélégant, désormais ! Même (et surtout ?) le plus snob et prétentieux…

Bruno Serrou

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