vendredi 5 octobre 2012

Le Danois Rune Glerup émerge de la débâcle du concert « Tremplin/Cursus 2 » de jeunes compositeurs placé sous l’égide de l’IRCAM et de l’Ensemble Intercontemporain

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Paris, Centre Pompidou, Grande salle, jeudi 4 octobre 2012 
Rune Glerup (né en 1981) - Photo : (c) IRCAM - DR

Voilà tout juste un an, un concert « Tremplin/Cursus 2 » de l’IRCAM et de l’Ensemble Intercontemporain révélait un jeune compositeur prometteur de 26 ans, le Catalan Marc Garcia Vitoria. L’espoir était donc grand hier soir d’une nouvelle révélation, dans la Grande salle du Centre Pompidou. C’était oublier qu’en matière artistique, les créateurs aux fortes personnalités ne sont pas légion, et ceux qui possèdent un riche imaginaire personnel sont plus rares encore. Les quatre impétrants retenus pour le concert « Tremplin/Cursus 2 » 2012 se seront avérés guère convaincants, un seul d’entre eux montrant quelque disposition, sort du cursus 2 et signe de ce fait la seule pièce avec électronique en temps réel du jour.
Mais avant d’aller plus loin, rappelons ce qui se cache derrière l’intitulé « Tremplin / Cursus 2 ». Il s’agit en fait côté « Tremplin » de compositeurs sélectionnés par le comité de lecture de l’Ensemble Intercontemporain et de l’IRCAM, et, côté « Cursus 2 », d’une formation spécialisée en composition, recherche et technologies musicales dispensées au sein de l’Institut. « Tremplin, est-il dit dans les documents de l’EIC et de l’IRCAM, est une forme originale de soutien à la jeune création : l’expérimentation (la "maquette") précède la confirmation de la commande, un processus analogue à la pratique de l’architecture. » Toutes les œuvres présentées hier ont été commandées en 2010, les premières par un comité de lecture constitué de Cyril Béros, directeur de la Pédagogie et de l’Action culturelle à l’IRCAM, des compositeurs Stefano Gervasoni et Hanspeter Kyburz, de Susanna Mälkki, directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain, et de Frank Madlener, directeur de l’Ircam, tandis que le compositeur Yan Maresz est professeur associé au programme Cursus 2 de l’IRCAM. Avec de telles personnalités pour décisionnaires, l’on se demande ce qui a bien pu déterminer la sélection de candidats qui se sont vus dotés de commandes et confiés les outils nécessaires à la réalisation de leurs œuvres qui, après deux ans de genèse, ont été créées hier par les musiciens de grande classe qui constituent l’Ensemble Intercontemporain, auxquels se sont joints trois musiciens supplémentaires.
Aucun Français dans la promotion 2010-2012. S’en trouvera-t-il dans la seconde vague, en avril prochain, constituée cette fois de jeunes compositeurs du Cursus 1 ?... Conçue pour vingt-deux instruments, certain étant désaccordés, la première pièce était signée de l’Etatsunien Anthony Cheung (né en 1982). Dystemporal, « qui se réfère à la façon distordue et déconcertante (sic) dont la temporalité est manipulée et perçue au cours de l’œuvre », est une œuvre qui tourne sur elle-même, dérivant vaguement du minimalisme mais sans la moindre variation perceptible de rythme ni de tempo - ce qui va à l’encontre de la promesse du compositeur -, ni même de couleur et d’orchestration. Un interminable quart d’heure qui, tout compte fait, paraît néanmoins fort digeste en regard de la partition qui suivait, celle d’Einer Torfi Einarsson. Formé en Hollande, avant de suivre les master classes de Salvatore Sciarrino, Brian Ferneyhough, Emmanuel Nunes et Jonathan Harvey, cet Islandais de 32 ans a découragé son auditoire pourtant venu en nombre poussé par la curiosité et l’envie de découverte, avec son interminable Desiring-Machines. Vingt-cinq minutes durant, vingt-trois instruments et une platine tourne-disque susurrent des sons quasi imperceptibles, une sorte de No Music qui démontre a contrario la volonté de son auteur, qui déclare dans son texte de présentation abscons qu’il entend « donner la priorité à la "physicalité" (?) de la performance, etc. » (je passe la suite). Lorsqu’il évoque dans ce même texte des tempos « sporadiques » (au pluriel), on se demande de quels tempi il peut bien s’agir, tant un seul est identifiable et qui perdure inlassablement. Le compositeur n’acène que des bruits blancs qui nécessitent de la part des interprètes une virtuosité extrême qui se révèle fort inutile tant il ne résulte rien de leur jeu - l’un des deux violoncellistes, Pierre Strauch, caresse de son archet la totalité du corps de son instrument dont il ne néglige aucun contour, comme s’il s’agissait d’une amante, tandis que le percussionniste titulaire de la grosse caisse se sert de son instrument comme d’une table sur laquelle il trace des kilomètre d’écriture avec un marqueur crissant, Frédérique Cambreling s’escrime à gratter les cordes de sa harpe, Géraldine Dutroncy n’émergeant à aucun moment de la queue de son piano, etc. Près d’une demi heure de bruits blancs et d’imitation de sons venu d’une forêt nocturne crépitant inlassablement ont eu raison des la patience du public, qui, selon le caractère de chacun, s’est énervé ou s’est assoupi durablement...
Mais nous nous sommes tous réveillés soudainement sous la virulence du premier accord de l’œuvre suivante rudement frappé par les vingt et un instruments requis par Tendenza composé par Magnus Lindberg en 1982 (année de naissance des quatre compositeurs-lauréats). Le compositeur finlandais avait 22 ans lorsqu’il conçut cette pièce d’une douzaine de minutes, et le contraste avec ses cadets d’un peu moins d’une génération est extrêmement violent. Non seulement côté décibels, mais aussi par la puissance de l’inspiration, le sens de la couleur, la richesse et la vivacité rythmiques, les variations de tempos, le sens de la narration, la théâtralité. Lindberg est ici à son meilleur, et l’on ne peut que regretter que tant de talent ait été gaspillé par ce créateur qui a plus ou moins condescendu depuis une décennie à la facilité afin de toucher un plus large public au risque de perdre son identité.
La seconde partie s’est avérée plus attractive, même si l’on n’y a pas décelé d’authentiques tempéraments. Fruit du Cursus 2, Examples of Dust (Des exemples de poussière) de Rune Glerup est assurément l’œuvre la plus intéressante de la soirée. Agé de 31 ans, le compositeur danois a réparti de façon significative son orchestre de vingt-sept instruments sans percussion sur deux rangs disposés en arc de cercle continu, les cordes à gauche (3 violons, 2 violoncelles devant, 2 altos, contrebasse derrière), les bois à droite (clarinette basse, 2 clarinettes, piccolo, flûte devant, contrebasson, basson, 2 hautbois derrière) encadrant les cuivres (2 cors, 2 trompettes devant, 2 trombones, tuba derrière), le tout ceinturé par deux pianos. Son écriture a du souffle et du coffre. L’œuvre est bien construite, le son séduit, le compositeur usant d’un riche nuancier, et l’électronique « live » est discrète mais efficace, créant un climat onirique sans jamais empiéter sur l’ensemble instrumental. L’alliage instrument/informatique crée une théâtralité qui ménage de continuelles surprises, chaque séquence s’enchaînant avec la suivante de façon inattendue au moment-même où l’auditeur commence à se dire qu’il a compris et qu’il est temps de passer à autre chose, ce qui dit combien le compositeur a le sens du temps et sait ménager les climats.
Un peu plus convenue mais non sans attraits, commandé par Tremplin, Past Beyond de la Chinoise Lu Wang (née en 1982) pour vingt-huit instrumentistes déroule en seize minutes les paysages de la Chine, empruntant au débit et aux timbres des langues des divers dialectes chinois mêlés des sons quotidiens des mégapoles et des campagnes de l’Empire du Milieu, tout en se fondant sur les particularités de l’écriture musicale occidentale.
Sous la direction plus souple que de coutume de Susanna Mälkki, l’Ensemble Intercontemporain a joué sa partie avec sérénité, n’affichant aucun a priori sur les œuvres programmées auxquelles les musiciens ont ainsi donné toutes leurs chances en les offrant avec une égale dextérité au seul jugement des auditeurs.
Bruno Serrou

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