Festival ManiFeste de l’IRCAM/Centre Pompidou. Grande Halle de La Villette. Salle Boris Vian. Vendredi 20 juin 2025
Spectacle apocalyptique dans tous les sens du terme ce soir Grande Halle de la Villette salle Boris Vian dans le cadre du Festival ManiFeste de l’IRCAM, « Everything That Happened and Would Happen » de Heiner Goebbels. Quatre musiciens, ondiste, guitariste, saxophoniste et percussionniste (on se met à plaindre la peau d’une timbale frottée avec la lame d’une cymbale quatre minutes durant) et douze performeurs « ressuscitent » pendant une centaine de minutes une humanité déterminée à sa propre disparition. Texte de Heiner Goebbels qui l’élimine d’entrée du Nobel de littérature, avec des passages philosophiquement contestables, musique de rumeur du même auteur aux sonorités profondes, amplifications saturant l’espace au point de provoquer des acouphènes… Spectateurs désertant en cours de route…
Compositeur, interprète, scénographe, l’Allemand Heiner Goebbels est une sorte de Kurt Weill fin de siècle, iconoclaste et populaire. Il se félicite volontiers du fait que sa musique combine Hanns Eisler, free jazz, rock, pop music, rap, bruitage, avant-garde, classicisme. « Je viens de l’improvisation, rappelle Gœbbels. Etudiant, je dirigeais un groupe rock, les Cassiber, avant de travailler avec de grands improvisateurs, Don Cherry et Arlo Lindsay. Mes œuvres n’ont cependant rien d’improvisé. Car, au jazz, au hard rock se mêle à ma culture l’histoire de la musique, de Bach à Schönberg. Je n’apprécie guère le romantisme, que je trouve trop sombre, mes propres textures étant liquides, transparentes. »
Hôte privilégié du Festival d’Automne à Paris depuis plus de trente ans, compositeur, dramaturge, scénographe, interprète cosmopolite, admirateur de Prince, Luigi Nono, Helmut Lachenmann, Steve Reich, ami de Daniel Cohn Bendit, l’Allemand Heiner Goebbels est à soixante-douze ans une sorte de Kurt Weill contemporain, iconoclaste et populaire. Né le 17 août 1952 à Neustadt an der Weinstraße en Rhénanie-Palatinat, vivant depuis près de cinquante ans à Francfort-sur-le-Main, membre de l’Académie des Arts de Berlin depuis 1994, professeur à l’European Graduate School à Saas-Fee (Suisse) et à l’Institut d’Etudes Théâtrales Appliquées de Gießen, Goebbels est depuis les années soixante-dix l’un des compositeurs vivants d’outre-Rhin les plus joués, sans doute parce que son œuvre résonne des sons de la ville, de la vie de la cité, son incontestable univers. « Je ne veux pas être illustratif, prévient-il cependant. Mon propos tient plutôt du subjectif. Je m’intéresse à l’architecture des villes. Tout comme le tissu urbain, ma musique est en constante évolution. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, qu’elle soit menaçante ou protectrice, la cité est plus fascinante que la campagne. Elle ne peut néanmoins pas tout donner, et elle n’est souvent qu’un succédané. » Goebbels se félicite volontiers du fait que sa musique soit un melting-pot de celle de son aîné Hanns Eisler, du free jazz, du hard rock, de la pop’ music, du rap, du bruitage, de l’avant-garde, du classicisme... « Je viens de l’improvisation, rappelle Goebbels. Etudiant, je dirigeais un groupe rock, les Cassiber, avant de travailler avec les grands improvisateurs Don Cherry et Arlo Lindsay. Mes œuvres n’ont cependant rien d’improvisé. Car, au jazz, au hard rock se mêle à ma culture toute l’histoire de la musique, de Bach à Schönberg. Je n’apprécie guère le romantisme, que je trouve trop sombre, mes propres textures étant liquides, transparentes. » Heiner Goebbels se flatte d’écrire non pas pour les spécialistes et connaisseurs, mais pour le grand public. En Allemagne, il s’est forgé une réputation enviable pour son théâtre musical, ses musiques de scène, film et ballet, et pour ses pièces radiophoniques, bien que son catalogue couvre tous les genres, de la musique de chambre au grand orchestre. Sa collaboration avec le dramaturge Heiner Müller l’a conduit à considérer la musique comme moyen d’expression et de communication lié à tous les arts, ce qui engendre un langage personnel, en dépit d’un éclectisme ouvertement revendiqué, tenant principalement du théâtre d’improvisation.
Parmi ses œuvres les plus significatives, citons la pièce de théâtre musical Ou bien le débarquement désastreux créé à Paris en 1993, Surrogate Cities, sa première partition pour grand orchestre donnée en première mondiale par la Junge Deutsche Philharmonie, La Reprise (1995) sur des textes de Soren Kierkegaard, Alain Robbe-Grillet et Prince, ou Industrie & Idleness créé en 1996 à la Radio Hilversum. Durant la saison 2000-2001, il a donné simultanément en création mondiale deux grandes partitions, l’une à Munich,…Même Soir.- commande des Percussions de Strasbourg, l’autre à Lausanne, Hashirigaki, pièce de théâtre musical sur des textes de Gertrude Stein dont le compositeur signe également la mise en scène. En 2002, il réalise son premier opéra, Paysage avec des parents éloignés, en 2004 c’est Théâtre de l’Odéon Eraritjaritjaka sur un texte d’Elias Canetti, suivi en 2007 par l'installation performative Stifters Dinge qui a été jouée plus de trois cents fois sur tous les continents, le concert mis en scène Songs of Wars I have seen sur un texte de Gertrude Stein, commande du London Sinfonietta et de l'Orchestre the Age of Enlightenment, en 2008 Je suis allé à la maison mais je n’y suis pas entré sur des textes de Maurice Blanchot et Samuel Beckett. En 2012, il crée When the Montain change dits clothings et il met en scène Europeras 1 & 2 de John Cage, en 2013, Delusion of the Fury d’Harry Partch et De Materie de Louis Andriessen. A Paris, le Festival d’Automne aura présenté l’essentiel de sa production depuis 1992, La Jalousie / Red Run / Befreiung / Herakles (1992), Surrogate Cities (1994), Schwarz auf Weiss (1997), Walden (1998), Eislermaterial (1999 et 2004), Les Lieux de là (1999), La Jalousie / Red Run (2002), Eraitjiaritjaka (2004), Paysage avec parents éloignés (2004), Fields of Fire (2005), I went to the House But Did not Enter (2009), When the Mountain changed its Clothing (2012), puis, après dix ans d’absence, une création inspirée du peintre poète franco-belge Henri Michaux (1899-1984), Liberté d’action. Ce monodrame pour comédien, deux pianistes amplifiés et électronique live de soixante-quinze minutes se termine sur un beau texte de Michaux tiré du Plaisir d’être une ligne dédié au peintre suisse Paul Klee (1879-1940) (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/09/pour-ses-70-ans-heiner-goebbels.html).
Avec son nouveau
spectacle créé à Manchester le 10 octobre 2018, Heiner Goebbels, qui signe le
texte qu’il a arrangé exprimés en anglais, en espagnol et en français, la
musique, la scénographie et les lumières, qu’il a réalisées avec John Brown, s’est
donné pour mission de raconter l’histoire du XXe siècle - mais aussi
le XXIe avec des images montrant le président ukrainien Volodymyr Zelensky
entouré de dignitaires déposant une gerbe de fleurs rouges contre la façade d’un
immeuble éventré -, à travers un OSEMNI (Objet scénique et musical non
identifiable) laissant libre cours à l’imaginaire du spectateur. Intitulée Everything That Happened and Would Happen (Tout ce qui s’est passé et se passerait),
l’œuvre s’inspire d’un livre de Patrick Ouřednik, Europeana, qui évoque de façon absurde et métaphorique l’Europe du
siècle dernier. Dans le vaste espace de la Salle Boris Vian de La Villette, les
personnages déplacent d’énormes objets qui proviendraient pour l’essentiel d’un
opéra de John Cage, Europeras 1&2, conçus par Klaus Grünberg pour une mise
en scène de Heiner Goebbels en 2012, et disposés conformément au lieu de la
création, une gare désaffectée de Manchester partiellement détruite. A chaque
angle d’un « couloir », quatre musiciens (un percussionniste et un
saxophoniste côté jardin, une ondiste et un guitariste côté cour) encadrent douze
protagonistes-danseurs réduits le plus souvent à l’état d’ombres qui se meuvent
au centre du dispositif manipulant des accessoires aux teintes variant du noir
à une chaude polychromie aux couleurs arc-en-ciel qui vont du cube au voile en
passant par des pierres de toutes tailles, colonnades, drapeaux, lambeaux de
cartes IGN, tables lumineuses poussées en tous sens et formant des figures
géométriques diverses jusqu’à ce qu’à la fin le tout finisse en ruine sous une
épaisse fumée. Le texte dit par des comédiens ou inscrit sur les voiles tient
de l’absurde, et sont censés susciter le rire, sans y parvenir vraiment, cumule
poncifs et clichés, parfois à la limite de l’acceptable face à des situations des
plus terrifiantes, voire abjectes. Car il s’agit ici de raconter les horreurs d’un
siècle singulièrement violent au sein d’un dispositif scénique d’une grande
efficacité permettant d’exposer de belles images qui magnifient les atrocités
qu’il illustre, notamment à travers les vidéos tirées de la chronique sans commentaires No Comment de la chaîne de télévision
européenne d’informations en continu, Euronews,
tandis que la musique plus ou moins onirique, amplifiée et spatialisée,
enveloppe la salle entière et pénètre les corps des spectateurs, qui, conduit
jusqu’à l’envoûtement, au point de ne plus être sur ses gardes dans les moments
où la sonorisation est poussée à l’extrême, au point d’être victime d’acouphènes.
Les quatre musiciens donnent à la partition de Goebbels toute son énergie et sa
poésie, à commencer par Camille Emaille dont on admire la vigilance tandis que
de sa main il frotte la peau d’une timbale le rebord d’une cymbale pour obtenir
des sons fantomatiques, ainsi que Cécile Lartigau qui joue une partie d’ondes
Martenot qui n’a rien de ringard bien que l’on ne puisse éviter de penser à Olivier
Messiaen, d’autant moins que Goebbels cite la Louange à l’Eternité de Jésus, cinquième mouvement du Quatuor pour la fin du Temps, mais aussi
le saxophoniste Gianni Gebbia, qui enchante l’oreille des sonorités profondes de
son saxophone basse alternant avec un ténor, sans oublier le guitariste Nicolas
Perrin.
Bruno Serrou
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