jeudi 26 juin 2025

Festive soirée de la saint Jean Baptiste par l’Orchestre Métropolitain de Montréal et son directeur artistique Yannick Nézet-Séguin avec un éblouissant Alexandre Kantorow

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mardi 24 juin 2025 

Orchestre Métropolitain de Montréal, Yannick Nézet-Séguin, Alexandre Kantorow
Photo : (c) C. d'Hérouville

Superbe soirée à la Philharmonie de Paris mardi avec l’Orchestre Métropolitain de Montréal et son directeur musical Yannick Nézet-Séguin, à la fois festif et grave, commençant par La Valse de Ravel d’une force tellurique plus sous la menace de missiles de 2025 que d’obus de 1918, une création d’une Québécoise, Barbara Assiginaak, disciple d’Helmut Lachenmann mais sauce américaine, puis le Concerto pour piano n° 2 de Saint-Saëns par un fantastique Alexandre Kantorow sur vitaminé chantant avec délice, suivi d’un bis, un arrangement pour piano du dernier pas de deux de Casse-Noisette de Tchaïkovski formant transition avec une hallucinante Pathétique aux sonorités virevoltantes, malgré un effectif de cordes limité (14, 12, 10, 8, 6), en bis, pour célébrer la fête de la saint Jean-Baptiste chère aux Québécois, l’orchestre et le chef ont donné l’hymne d’anniversaire « Gens du pays » de Gilles Vigneault dont le refrain a été repris par le public accompagné par l’orchestre sous la direction de Nézet-Séguin tenant un fanion aux couleurs du Québec en guise de baguette  

Yannick Nézet-Séguin
Photo : (c) C. d'Hérouville

Cent-cinquantenaire Maurice Ravel oblige, comme pour rappeler l’ancrage de l’orchestre québécois dans l’héritage français, c’est sur une Valse dantesque que l’Orchestre Métropolitain de Montréal a ouvert son programme. Un flux sonore étourdissant mené avec une précision remarquable par Yannick Nézet-Séguin commencé sur un pianissimo quasi inaudible pour conduire en un crescendo vertigineux sur l’apocalypse finale, démontrant ainsi les malléables qualités sonores et techniques et l’homogénéité de la phalange canadienne, dans les soli comme dans les tutti. Après un intermède contemporain, qui humait l’obligation tant elle arrivait comme « un cheveu dans la soupe », avec une pièce de six minutes créée en 2021 dans laquelle il était difficile de s’installer en raison de sa brièveté et de sa conception fuyante comme l’eau qu’elle décrit, Eko-Bmijwang (Aussi longtemps que la rivière coule) de la Canadienne de l’île Manitoulin sur le lac Huron Barbara Assiginaak (née en 1966), élève d’Helmut Lachenmann (l’on trouve dans sa pièce entendue mardi des froissements de feuille de papier et autres « bruits ») et de Peter Maxwell Davies, ainsi que du Centre Acanthes et de la Haute Ecole de Musique de Munich. Mais le moment de choix de la soirée aura été la fantastique prestation d’Alexandre Kantorow dans le plus célèbre des concertos de Camille Saint-Saëns, le Deuxième pour piano et orchestre en sol mineur op. 22. Ecrit en moins de trois semaines pour l’ami et confrère russe de son auteur Anton Rubinstein, qui en dirigea la création à Paris le 13 mai 1868 tandis que le compositeur était au piano, ce concerto adopte des tempi allant croissant en chacun des trois mouvements, commençant par un Andante sostenuto et se concluant sur un Presto après un mouvement médian marqué Allegro scherzando, le moment le plus fameux de la partition. Une forme qui ravit Franz Liszt, qui félicita son cadet en lui écrivant en 1869 que « la forme en est neuve, et très heureuse ; l’intérêt des trois morceaux va croissant, et vous tenez un juste compte de l’effet du pianiste sans rien sacrifier des idées du compositeur - règle essentielle pour ce genre d’ouvrage ». 

Alexandre Kantorow, Yannick Nézet-Séguin, Orchestre Métropolitain de Montréal
Photo : (c) C. d'Hérouville

C’est Alexandre Kantorow, manches relevées dégageant les avant-bras ce qui aura permis de voir les longs doigts du pianiste survoler le cavier qui a établi d’entrée l’atmosphère et la vision solaire, introduisant l’œuvre seul en instillant à la cadence initiale une densité organistique prodigieuse emplie de lumière dès l’abord tout en restant d’une austérité certaine, avant de se faire fauréen à l’entrée de l’orchestre avant de souligner la dette du compositeur envers Chopin, avant la cadence conclusive plus lumineuse. Introduit aux timbales seules (idée que reprendra notamment Richard Strauss dans sa Burleske), l’Allegro scherzando atteint sous les doigts d’un Kantorow grandiose dialoguant avec malice avec un orchestre tenu avec flamme par un Nézet-Séguin clairement admiratif de son soliste exaltant des sonorités enivrantes, une variété de couleurs et de climats éblouissante, avant de conclure sur un Presto effréné dans laquelle Kantorow emporte l’auditoire saisi par sa virtuosité étourdissante, à l’instar du chef, qui ne peut retenir à la première seconde après la fin d’applaudir son soliste. Ce dernier, qui suscita sur le champ une ovation debout ne pouvait refuser un bis, qu’il choisit non seulement assez long mais aussi en rapport avec la suite du concert, puisqu’il s’est agi du dernier Pas de deux du ballet Casse-Noisette de Tchaïkovski, emportant la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie entière dans les cimes du ravissement…   

Alexandre Kantorow
Photo : (c) C. d'Hérouville

La Sixième Symphonie en si mineur op. 74 « Pathétique » de Piotr Ilyich Tchaïkovski est l’une des pages du genre les plus populaires du répertoire. Avec ses deux mouvements vifs encadrés par deux adagios, sa structure annonce celle de la Neuvième Symphonie de Mahler, aux climats plus ou moins comparables. Mais, contrairement à l’effet produit par cette dernière, qui appelle inéluctablement sa conclusion Adagissimo, l’auditeur se laisse tellement porter par le tournoiement fou du second allegro, qu’il en oublie généralement le finale, incapable de réfréner son émotion devant la vitalité foudroyante, la scansion rythmique étourdissante, à perdre haleine, qui emporte cet Allegro molto vivace. Pourtant, la « Pathétique » est en fait une introspection autobiographique entreprise en 1893 qui se présente tel un requiem pour le compositeur en personne, comme une prémonition qu’il aurait eue de sa propre mort, poussé au suicide par un scandale d’origine privée. Cheval de bataille de tous les orchestres du monde, plus particulièrement russes, naturellement, mais aussi et surtout nord-américains. Ce qu’est bien évidemment l’Orchestre Métropolitain de Montréal, qui a ainsi voulu le démontrer au public parisien après l’avoir convaincu dans la musique française en première partie. Malgré un effectif de cordes limité, Yannick Nézet-Séguin est parvenu au parfait équilibre entre les instruments à archets et ceux à vent, conformes à la quantité indiquée sur la partition. Le public a pu admirer la gestique précise et l’indépendance des bras et des mains du chef canadien, tout en souplesse, en régularité et en netteté. Un régal pour l’œil autant que pour l’oreille et l’expressivité des œuvres. Une Pathétique sonnant emportée telle une bourrasque étourdissante, une course vers l’abîme aboutissant dans un Adagio tragique et noir proprement suffocant, l’orchestre canadien témoignant de sa virtuosité et de son homogénéité impressionnantes. A noter que, pour échapper aux habituels applaudissements qui suivent l’exécution du Scherzo, Nézet-Séguin a enchaîné le finale sans attendre, après une simple levée.


Yannick Nézet-Séguin tenant un fanion québécois en guise de baguette, Denise Lupien (Premier violon honoraire), Orchestre Métropolitain de Montréal. Photo : (c) Bruno Serrou

Touché par l’accueil fervent du public parisien, et rebondissant sur la fête de la saint Jean-Baptiste en cette soirée du 24 juin, jour célébrant à la fois la lumière et l’illumination divine, chef et musiciens ont sorti fanions et drapeau québécois pour célébrer avec leurs cousins français la Fête Nationale du Québec instaurée en 1694 par l’Eglise catholique en Nouvelle-France, importance confirmée en 1830 et, surtout, en 1977 après l’arrivée au pouvoir du Parti Québécois qui, sous l’impulsion du gouvernement Lévesque, lui confère le statut juridique de fête nationale et la déleste de sa dimension religieuse. Considérée par beaucoup de Québécois comme l’hymne national du Québec, cette chanson de Gilles Vigneault pour se substituer au trop fameux Happy Birthday a été chantée pour la première fois par son auteur le 20 juin 1975, puis reprise devant quatre cent mille spectateurs le 23 juin 1976 sur le Mont-Royal par Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland, Yvon Des champs et Robert Charlebois. Après avoir fait retentir l’hymne par l’orchestre, Yannick Nézet-Séguin se retourna vers l’assistance pour expliquer l’origine de cette mélodie et les circonstances de sa création et de son exécution, et de donner les paroles du refrain : « Gens du pays, c’est votre tour / De vous laisser parler d’amour », ainsi que le rythme et la mélodie, afin que l’ensemble du public chante en chœur à son signal, et lui-même de diriger tenant à la main droite en guise de baguette un fanion aux couleurs du Québec, tandis qu’entre deux reprises du refrain, la Premier violon honoraire Denise Lupien, qui aura brillé de ses brulantes sonorités tout le concert durant, donne de la mélodie une incandescente interprétation. Une soirée du solstice d’été que les heureux témoins ne sont pas près d’oublier…

Bruno Serrou

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