mardi 17 juin 2025

Alfred Brendel est mort... L'immense pianiste autrichien s'est éteint à Londres mardi 17 juin 2025

Alfred Brendel (1931-2025)
Photo : DR

Disparition d’un Géant, artiste incomparable, Alfred Brendel est mort à l’âge de 94 ans… Perte irréparable d’un artiste hors normes, d’une force intellectuelle sans pareil, philosophe, poète, essayiste, conférencier doué d’un sens de l’humour contagieux, professeur couru, il avait remis plusieurs fois sur le métier ses œuvres de prédilection. Élève d’Edwin Fischer, né en Moravie en 1931, il excellait dans Bach, Haydn, Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt, Brahms, Busoni, Schönberg, il avait eu pour élèves entre autres Till Fellner, Anne Queffélec… Il est mort à Londres, sa ville de résidence depuis 1971, dans la matinée de mardi 17 juin 2025.  

Alfred Brendel était le dernier des géants du piano de sa génération. Sans doute le plus polymorphe car artiste complet, érudit, spirituel, non seulement comme pianiste, musicien, musicologue, pédagogue, mais aussi comme peintre, comme écrivain, comme poète et comme « collectionneur de kitsch ». Luciano Berio (1925-2003), dont le monde de la musique s'apprête à célébrer le centenaire de la naissance, utilise l'un de ses poèmes dans son œuvre ultime, la cantate Stanze créée par Dietrich Fischer-Dieskau - autre centenaire et un proche de Brendel -, trois petits chœurs d'hommes de l'Armée Française et l’Orchestre de Paris dirigés par Christoph Eschenbach en janvier 2003. Européen citoyen du monde, au point de ne se revendiquer d’aucune origine particulière, homme de vaste culture et à l’humour malicieux et corrosif se moquant volontiers de lui-même - il jugeait son humour « involontaire -, Brendel était un commentateur (im)pertinent de l’absurdité du monde, voyant en l’humour le trait distinctif de l’humanité. En tant que pianiste, il était célébré dans le monde entier comme le plus grand interprète de Beethoven, aux côtés des Edwin Fischer, son maître, Arthur Schnabel, Wilhelm Kempff et Claudio Arrau, Brendel signant trois admirables intégrales discographiques qui font toutes dates (1961-1965, 1970-1977, 1991-1996). Il excellait aussi comme chambriste et comme partenaire d’une sensibilité fabuleuse de lieder.

Né le 5 janvier 1931 à Wiesenberg en Moravie du Nord (aujourd’hui en Tchéquie, à cent quarante kilomètres au sud de Hukvaldy où naquit Leoš Janáček), dans une famille non-musicienne, il disait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait aucune prédisposition pour la musique et que son premier souvenir en la matière remontait à un vieux gramophone jouant des disques d’opérettes tandis qu’il essayait de chanter dessus. Il attribuait sa conception du monde qu’il considérait quelque peu absurde à ses nombreux déplacements avec ses parents dans une Autriche déchirée par la guerre - à force de courir le monde, il finira par s’installer définitivement à Londres en 1971, tout en gardant son passeport autrichien, mais il n’aura jamais passé son permis de conduire -, et prit ses premiers cours de piano alors que sa famille s’était installée en Yougoslavie, d’abord sur une île croate de l’Adriatique, puis à Zagreb où son père dirigeait une salle de cinéma. La guerre conduit la famille à retourner en Autriche, à Graz, où il entre au conservatoire, puis ce sera Vienne dont il retiendra l’insolence raffinée et prend en grippe l’académisme bourgeois. Il se rend à Lucerne, en Suisse, où enseigne Edwin Fischer, le musicien qui aura le plus d’influence sur lui. Pourtant, à 16 ans, il décide de quitter son maître pour suivre des master-classes avec d’autres pianistes et pour les écouter, mais aussi pour explorer seul les possibilités de l’instrument, à tel point qu’il se revendiquera toute sa vie comme autodidacte. « Un enseignant peut être trop influent, jugera-t-il. Etant autodidacte, j’ai appris à me méfier de tout ce que je n’avais pas compris par moi-même. » A 17 ans, en 1948, il donne à Graz son premier récital. Il s’impose très vite comme spécialiste de Franz Liszt, avant de s’ouvrir rapidement aux compositeurs d’Europe centrale, d’abord romantiques (Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt, Brahms (avec Abbado (Concerto n° 1) et Haitink (Concerto n° 2)), Moussorgski) dans un premier temps, puis des XVIII e et XXe siècles, avec J. S. Bach et les deux Ecoles de Vienne (Haydn, Mozart, et Schönberg, Berg, Webern), Ferruccio Busoni. Plutôt que l’exploration des répertoires, Brendel préfèrera toute sa vie se concentrer sur la création de ses compositeurs favoris, dont il ne cessera de creuser les spécificités. Tant et si bien qu’il n’acquiert sa pleine stature internationale qu’à l’âge de 45 ans, enregistrant tout Beethoven, compositeur pour qui son « admiration grandissait de jour en jour, sinon d’heure en heure », notamment quatre intégrales des concertos - la dernière à Vienne avec Simon Rattle en 1999 - et trois des sonates de Beethoven auxquelles il convient d’ajouter les Bagatelles, les Variations Diabelli et le cycle de lieder An die ferne Geliebte op. 78. Outre Beethoven, ce sont ses Schubert qu’il faut à tout prix connaitre, une très large sélection de sonates, mais aussi les Fantaisies, les Impromptus, les Moments musicaux, la Wanderer Fantasie, les Klavierstücke, la Sonate « Grand Duo » op. 140, mais aussi les lieder qu’il a enregistrés avec Dietrich Fischer-Dieskau et Matthias Goerne. Ainsi que ses Franz Liszt de la maturité, indispensables (Concertos, Totentanz, Sonate en si mineur, transcriptions d’opéras de Verdi, Années de pèlerinage, Fantaisie et Fugue sur B.A.C.H., Harmonies poétiques et religieuses, Isoldes Liebestod, La Lugubre Gondole, deux Légendes de saint François, Funérailles, Valse oubliée n° 1, Weinen, Sorgen, Zagen). Ses Mozart (Concertos n° 9, 20,  21, 23 et 24, Sonates, Fantaisie en ut mineur KV. 397) sont tout aussi essentiels, et j’avoue un faible pour ses Schumann (Kinderszenen, Kreisleriana, Fantasiestücke, Fantaisie op. 17, Concerto),  son Concerto pour piano de Schönberg, la Sonate op. 1 de Berg, sa Fantasia Contrappunctistica et sa Toccata de Busoni, ses onze Sonates de Haydn, ses disques de musique de chambre comme le Quintette « La Truite » de Schubert, le Quatuor en sol mineur KV. 478 de Mozart…

Alfred Brendel a donné son dernier concert public en décembre 2008, à Vienne, mettant avec le Concerto n° 9 « Jeunehomme » KV. 271 de Mozart un terme à soixante ans de carrière. En décembre de cette même année, il reçoit à Baden-Baden, ville d’eau de la Forêt Noire, le Prix Herbert von Karajan pour l’ensemble de sa carrière. Peu après, une chaîne de radiotélévision publique allemande révèle qu’il souffre d’une perte auditive et ne perçoit plus que des sons déformés. Il se consacre dès lors à donner dans le monde des conférences, des lectures, et à animer des master-classes.

Son allure dégingandée, ses grosses lunettes de vue, son humour primesautier ne l’empêchaient pas de glorifier les œuvres qu’il interprétait par son jeu raffiné, suprêmement équilibré, brûlant de spiritualité et de sensibilité se distinguant par son intensité émotionnelle et par son évidente empathie avec les intentions des compositeurs, sa maîtrise hors du commun des proportions, la tenue naturelle de ses bras et de ses mains courant sur le clavier l’air de rien, sans jamais donner l’impression d’efforts tant il y mettait d’aisance naturelle, toute note se trouvant à sa juste place chaque fois que les doigts se posaient sur la touche, le visage planant vers l’horizon, ne regardant guère le clavier mais l’intérieur du coffre du piano, où plutôt les marteaux frappant les cordes et les effets des pédales sur le son, le souci du détail primant sur toute chose afin de transmettre davantage encore de vérité et de spontanéité intellectuelle à ses interprétations

Son premier livre d’essais, publié en France Réflexions faites chez Buchet/Chastel en 1979, suivi de Musique côté cour, côté jardin chez Buchet/Chastel en 1994, dix-huit ans après sa publication en Angleterre, Le voile et l’ordre chez Christian Bourgois en 2002, L’abécédaire d’un pianiste : Un livre pour les amoureux du piano en 2014 chez Christian Bourgois, le poète avec son recueil tout simplement intitulé Poèmes paru chez Christian Bourgois en 2001, tendres, drôles, sombres, voire parfois nietzschéens, auxquels s’ajoute un second volume de poèmes paru au Royaume-Uni en 2011 sous le titre Playin the Human Game. Surtout célébré par les mélomanes du monde entier pour ses enregistrements réalisés entre 1969 et 2008 (le dernier, « The Farewell Concerts » réalisé en 2008 a été publié en 2009) sous étiquette Philips désormais distribués sous le label Decca, trois autres éditeurs phonographiques se partagent l’héritage sonore d’Alfred Brendel, Vox, Turnabout et Vanguard, ses disques chez ces trois derniers labels ayant été repris en un coffret Brillant Classics. Decca a réuni pour sa part en un coffret unique de 114 CD la totalité de ses enregistrements Philips et Decca.

Bruno Serrou

Deux témoignages de pianistes

Till Fellner, avril 1998 :

« Brendel essaie toujours d’approcher les œuvres du point de vue du compositeur, il se demande toujours “qu’est-ce que le compositeur a voulu dire avec son œuvre, comment l’œuvre est construite et l’interprète sert l’œuvre. Mais si on regarde très clairement même des morceaux très connus, le résultat est souvent complètement différent de ce que font les autres pianistes, alors même qu’il n’a pas pour objectif premier de se démarquer de ses confrères, contrairement à Glenn Gould, par exemple. » 

Hélène Grimaud, le 17 mars 1997 :

« Un jour que je me produisais avec l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise, un collaborateur de la Herkulensaal, résidence de l’orchestre qui, comme toujours en Allemagne, dispose en permanence de trois excellents pianos, me proposa d’essayer celui réservé à Alfred Brendel. Bien que j’aie toujours eu la chance à Munich de disposer d’un piano magnifique, cette fois je touchais un instrument d’un niveau que je n’avais jamais imaginé, un piano sur lequel on finissait son récital aussi frais qu’avant de le commencer, au point de pouvoir le refaire immédiatement. Tout sortait si facilement... C’était un piano qui avait une rondeur de son, un volume incroyables. Lorsque l’on suggérait une couleur, elle était perceptible, alors que c’est très souvent l’inverse, c’est-à-dire que l’on croit faire quelque chose qui, en fait, ne se passe pas tout à fait. Cet instrument était absolument extraordinaire. Je ne veux pas dire que les interprètes n’ont pas de mérite à bien jouer quand ils bénéficient de tels instruments, mais presque. En fait, il était réglé pour Brendel et en fonction de lui… »

  

dimanche 15 juin 2025

CD : L’opéra « Adriana Mater » de Kaija Saariaho, tragédie lyrique transcendée par le disque

Deuxième opéra de Kaija Saariaho après L’Amour de loin créé en 2000 au Festival de Salzbourg, et avant Emilie pour l’Opéra de Lyon en 2010, Adriana Mater est le fruit d’une commande des Opéras d’Helsinki et de Paris, ce dernier étant alors dirigé par Gérard Mortier, commanditaire de l’Amour de loin, et avec la même équipe artistique réunissant l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf pour le livret français, le chef finlandais Esa-Pekka Salonen à la direction, et le dramaturge états-unien Peter Sellars à la mise en scène. L’enregistrement proposé ici par le label DG a été réalisé à San Francisco quelques jours après le décès de Kaija Saariaho. A l’écoute des deux disques, l’on mesure l’importance de la maturation des œuvres, qui, quand elles sont de qualité comme c’est le cas ici, se révèlent avec le temps, d’autant plus que, considérant les circonstances de sa réalisation - peu après la mort de la compositrice -, la profondeur et la gravité dramatique du sujet enrichi par une musique hors du temps et somptueusement orchestrée lui donnent valeur testimoniale

Créée le 3 avril 2006 à l’Opéra Bastille, l’œuvre, qui requiert un dispositif électronique de spatialisation et d’amplification en temps réel réalisé à l’IRCAM, conte en deux actes et sept tableaux la tragédie universelle et la pérennité de ses tenants et aboutissants du temps de guerre. L’action se déroule dans les Balkans. Tandis qu’Adriana, jeune femme joviale et heureuse, refuse les avances d’un homme d’une vulgarité abjecte qui, devenu soldat, finit par la violer. Se retrouvant enceinte, elle s’interroge sur le devenir de son enfant. Dix-huit ans plus tard, Adriana avoue à son fils les circonstances de sa conception. Fou de colère et de haine, il décide de retrouver son père dans le but de le tuer. Mais lorsqu’Il le retrouve, il s’aperçoit qu’il est devenu aveugle et décide de renoncer à son acte destructeur, optant pour le pardon. Lors de sa création, l’accueil ne fut pas des plus enthousiastes. Moi-même, j’écrivais dans les colonnes du mensuel espagnol Scherzo, que je prends l’initiative de citer ici : « Après l’amour mystique au temps des troubadours, Kaija Saariaho et Amin Maalouf se sont tournés vers un sujet contemporain, associant les thèmes de la guerre, du viol, et de la maternité. Contrairement à l’Amour de loin, dont l’action se situe au XIIe siècle, celle d’Adriana Mater se veut indéterminée. Si tout laisse à penser que nous sommes dans la Bosnie-Herzégovine ou la Tchétchénie des années 1990, ce refus de dater et de situer pour toucher à l’universel conduit au pompeux. Si la parabole du mal vaincu par le bien, de l’homme brisé par la maternité, de la mort écrasée par la vie est une idée généreuse, l’excès de bons sentiments suscite l’overdose. Les poncifs sont nombreux, par exemple « Le sang du monstre coule dans mes propres veines... Qui est cet être que je porte ? Qui est cet être que je nourris ? Mon enfant sera-t-il Caïn ou bien Abel ?», ou l’usage immodéré du mot « comme » (« comme un vêtement sale et vide », « comme si on ne l’avait pas vu », « comme s’ils portaient vers nous la sagesse des enfants morts »…). Même indigence côté mise en scène. Dans une maquette de village néo-balkanique aux coupoles symboliquement arrondies posée cent trente minutes durant sur un fond noir, les quatre personnages, Adriana, Refka, sa sœur, Tsargo, le violeur, et Yonas, le fils, suivent le livret mot pour mot. Sellars signe ainsi une mise en scène d’une étonnante platitude, Tsargo ramassant la « poussière de la guerre », les lumières virant au rouge à l’évocation du viol, de la damnation, du sang versé, etc. Mais le quatuor de chanteurs inconnus s’avère excellent. Dans la fosse, Esa-Pekka Salonen dirige fort consciencieusement cette partition aussi dense que statique dans laquelle Saariaho déploie sa science du spectre sonore dont la sophistication est contredite par une écriture chorale et orchestrale parfois sommaire. Un chœur pourtant spatialisé par l’IRCAM qui tend à l’immatérialité. Mais on se lasse vite de l’orchestre à la pâte inaltérable, se dressant de loin en loin, notamment dans le chaos du viol, puis se plaignant dans des gargouillements de cuivres et des saillies de contrebasses, au point que l’on finit par se demander ce qui est advenu de l’alchimie subtile de l’écriture acoustique combinée aux techniques électroniques qui font la marque de la compositrice finlandaise. »

Kaija Saariaho (1952-2023), Adriana Mater. Photo de la création à l'Opéra de Paris, avril 2006
Photo : (c) François Fogel / OnP

Capté durant les trois représentations au Davies Symphony Hall de San Francisco en juin 2023 dans la mise en scène parisienne de Peter Sellars, cet enregistrement n’a de la distribution originelle que le chef d’orchestre Esa-Pekka Salonen, l’orchestre et le Chœur étant ceux du San Francisco Symphony dont le chef finlandais est le directeur musical, et le cast de chanteurs entièrement renouvelé. Une équipe non francophone, à l’exception du rôle-titre confié à la mezzo-soprano Fleur Barron, et de la soprano Axelle Fanyo, tant et si bien que le texte n’est pas toujours compréhensible. Ce qui est regrettable, car musicalement l’œuvre a gagné en maturité et apparaît de ce fait grâce au disque peut-être bien que les effets de la spatialisation soient forcément réduits du fait de la seule stéréophonie. Le San Francisco Symphony, remarquablement préparé par Salonen, est en effet étincelant, servant brillamment l’écriture scintillante et la limpidité qui caractérise l’orchestration de la compositrice sont admirablement restituées ici. Un Salonen, fidèle partenaire depuis leurs études communes au Conservatoire d’Helsinki de la compositrice franco-finlandaise disparue il y a eu deux ans le 2 juin dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/06/hommage-la-compositrice-la-plus.html), qui déclarait à la veille de ces représentations californiennes d’Adriana Mater : « Le moment choisi pour cette production est déchirant, mais je suis heureux de retrouver cette partition mystérieuse et puissante. »

A l’écoute des deux CD publiés par DG, ces représentations sont incontestablement empreintes de la douleur suscitée par le décès de la compositrice sur une équipe artistique qui lui était proche. Cette douleur imprègne l’enregistrement entier. A commencer par le quatuor vocal, entre le fils d’Adriana, Yonas, brillamment campé par le ténor états-unien Nicholas Phan, et sa tante Refka, qui a caché à son neveu les circonstances de sa conception et l’identité de son père, Tsargo, tenu par le baryton-basse britannique Christopher Purves - les deux hommes ayant des difficultés avec la langue française. La soprano Axelle Fanyo, timbre solaire à la diction parfaite qui se sera notamment illustrée en janvier 2024 à Genève lors de la création de l’opéra Justice d’Hèctor Parra où elle était la mère de l’enfant mort, est une Yonas déchirante. A l’instar du rôle-titre, confié comme les premières représentations à Fleur Barron, mère inconsolable et anéantie dont le chant bouleversant se déploie comme de la lave en fusion, jusqu’à la longue et captivante scène finale emplie d’une charge émotionnelle agrégée deux heures durant où chacun des protagonistes exprime une amertume persistante jamais admise, tandis que le fils miséricordieux épargne son père violeur, délivrant ainsi sa famille du cycle cauchemardesque dans lequel elle est enfermée depuis plus de trois lustres.

Mais c’est l’orchestre Symphonique de San Francisco dont Salonen est le directeur musical qui fait tout l’attrait de cet enregistrement, distillant quasi à lui seul le flux naturellement âpre et tragique de l’écriture instrumentale de Kaija Saariaho qui  transcende les faiblesses d’un livret initialement conçu pour la seule narration littéraire et non pas pour la scène et auquel son auteur, Amin Maalouf, n’a pas pu donner la vie. La texture harmonique, extrêmement riche et dense de la partition, la caractérisation de l’action et des situations par le seul concours des instruments de l’orchestre, onirique, introspectif, sombre et tragique, toujours d’un intimisme expressif cauchemardesque jusqu’à la violence la plus brutale, une douloureuse fatalité emportent chaque personnage dont la partie d’orchestre exprime les sentiments ultimes, la véhémence des confrontations, l’enfer des sentiments, une instrumentation qui creuse jusqu’au moindre recoin de l’âme tourmentée des protagonistes.

Bruno Serrou

2 CD DG 486 6675. Enregistré en 2024. Durée : 2h 06mn 16s. DDD

 

 

samedi 14 juin 2025

Rafał Blechacz a clôt de somptueuse façon la saison 2024-2025 de la série Piano****

Paris. Piano4étoiles. Théâtre des Champs-Elysées. Vendredi 13 juin 2025 

Rafał Blechacz. Photo : (c) Bruno Serrou

Extraordinaire Mazurka en la mineur op. 17/4 en forme d’interrogation, de réponses affirmées mêlées de douloureuse nostalgie offerte ce soir par Rafał Blechacz au Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre de Piano4étoiles, avec un programme permettant au vainqueur du Concours Chopin de Varsovie 2005 à la silhouette longue et filiforme au profile de compositeur pianiste romantique de démontrer sa musicalité prodigieuse magnifiée par une virtuosité magnétique, un art de la nuance affûté, un toucher d’une variété prodigieuse, une intelligence du texte extraordinaire, une « Clair de Lune » de Beethoven vivifiante, des Impromptus op. 90 de Schubert d’orfèvre, puis un tout Chopin de poète, enchaînant les infinies évocations de la Barcarolle op. 60, de la Ballade n° 3 op. 47, les quatre Mazurkas op. 17 et le Scherzo n° 3 op. 39. Salle comble de connaisseurs pour l’ultime concert de Piano4etoiles de la saison 2024-2025. Magistral ! 

Rafał Blechacz. Photo : (c) Bruno Serrou

En 2005, à l'âge de 20 ans, le pianiste polonais Rafał Blechacz triomphait au Concours international Frédéric Chopin de Varsovie. Depuis lors, le virtuose s’est imposé dans la diversité de son répertoire. Revendiquant pour filiation deux de ses compatriotes, Krystian Zimerman, vainqueur du même Concours Chopin trente ans plus tôt (1975) entendu à la Philharmonie de Paris une semaine plus tôt (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/06/krystian-zimerman-le-piano-sur-les.html), et Arthur Rubinstein, qu’il a désormais rejoints parmi les maîtres de l’instrument-roi, à l’instar d'un autre Polonais, Piotr Anderszewski, de seize ans son aîné mais allergique aux concours (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/03/entretien-avec-piotr-anderszewski-la.html). Si, comme pour ses pairs, l’œuvre de Chopin occupe une place privilégiée dans son répertoire, il n’en est pas moins un interprète inspiré de J. S. Bach, J. Haydn, Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt, mais aussi de Fauré, Debussy et Szymanowski, son compatriote. Comme le programme de son récital du 13 juin l’a confirmé, Rafał Blechacz se situe dans la lignée des pianistes-penseurs, de Wilhelm Kempff et Rudolph Serkin à Alfred Brendel et Murray Perahia, par la profondeur de son jeu, sa sonorité lumineuse, sa conception globale des œuvres qu’il interprète.

Rafał Blechacz. Photo : (c) Bruno Serrou

Ses moyens techniques et sa musicalité exceptionnels servis par une virtuosité sans failles mais jamais ostentatoire, permet à Rafał Blechacz d’offrir du très grand piano et d’exprimer sa sensibilité de poète à toute épreuve servie par une expressivité fabuleuse, quoique mesurée en tous points, sans sentimentalisme ni maniérisme d’aucune sorte, le musicien jouant clairement dans son jardin, tant ses Chopin sonnent avec une grâce et une profondeur naturelles, comme si le compositeur et l’interprète ne faisaient qu’un. Son Beethoven est lyrique et mélancolique dans le mouvement initial de la Sonate pour piano n° 14 en ut dièse mineur op. 27/2 « Quasi una fantasia », « lamentation » selon Hector Berlioz, intime, noble et sombre, à laquelle Rafał Blechacz donne la juste coloration de douleur sourde mais sans traîner, ce qui donne à l’Adagio sostenuto un relief d’autant plus pathétique, puis se faisant de plus en plus vertigineux dans le déploiement des deux mouvements suivants, d’abord l’Allegretto Rafał Blechacz se fait d’un coup joyeux, soulignant le caractère éperdument insouciant, conduisant au Presto agitato, emporté et violent, qui reprend le thème du mouvement initial et auquel Blechacz donne le caractère haletant d’une tornade mais jamais suffoquant, le toucher du pianiste polonais, limpide et aérien, servant à merveille la partition qui reste d’une totale lisibilité.

Rafał Blechacz. Photo : (c) Bruno Serrou

Des quatre Impromptus op. 90 D 899 de Franz Schubert composés en septembre 1827, soit six mois après la mort de Beethoven, Rafał Blechacz construit un véritable cycle, et, en chantre suprêmement inspiré, lui donne le caractère de lieder sans paroles, en concordance avec leur structure tripartite et la concentration des sentiments inclus dans chacun, climat, couleur, affect, contenu psychologique en conformité avec la pensée de Schubert. Comme la Sonate « Clair de lune » de Beethoven, le premier Impromptu de Schubert, tout imprégné de sombre fatalité, commence à la manière d’une marche funèbre constamment renouvelée dans son expression comme une litanie incantatoire. Le deuxième Impromptu forme lui aussi un climat parallèle à la Sonate n° 14 de Beethoven, avec son expression légère et fluide exposée sur toute la largeur du clavier du début du XIXe siècle, tandis que dans l’épisode central, Blechacz s’est fait avec a propos plus violent et saccadé, formant un judicieux contraste avec le troisième Impromptu, Andante, dont il magnifie le chant sublime exposé en de délicats pianissimi qui donnent à cette page somptueuse le caractère d’un nocturne aux effusions d’une féerique beauté, qui forme un saisissant contraste avec le dernier Impromptu du recueil, fluide et léger, dans lequel Blechacz joue à merveille des vagues de sentiments et de couleurs, se faisant tour à tour ardent, élégiaque, grave, inquiet, abattu, blessé, avant de conclure dans un océan de lumière.

Rafał Blechacz. Photo : (c) Bruno Serrou

Rafał Blechacz a consacré la seconde partie de son récital au seul Frédéric Chopin, dont il a donné quatre opus publiés entre 1834 et 1846, commençant par l’un des toud derniers, la célébrissime Barcarolle en fa dièse majeur op. 60 composée entre l’automne 1845 et l’été 1846 dédiée à la baronne Margarethe de Stockhausen née Schmuck (1803-1877) cantatrice et épouse du dédicataire de la Ballade op. 23 Franz Stockhausen (1792-1868) - qui, sauf erreur ou omission, n’a rien à voir avec notre cher Karlheinz -, tandis que la création était donnée par le compositeur chez son facteur de pianos favori, l'ami Camille Pleyel (1788-1855), le 16 février 1848. Chopin se fonde dans le rythme et le ton des chansons de gondoliers vénitiens, tandis que la structure est analogue à nombre de ses Nocturnes en trois parties, la dernière étant la reprise légèrement modifiée de la première. Blechacz, de sa sensibilité profonde et rayonnante, en a donné toute la magie célébrée par Maurice Ravel, qui y vantait le « thème en tierces, souple et délicat, constamment vêtu d’harmonies éblouissantes. La ligne mélodique est continue. Un moment, une mélopée s’échappe, reste suspendue et retombe mollement, attirée par des accords magnifiques. L’intensité augmente. Un nouveau thème éclate, d’un lyrisme splendide, tout italien. Tout s’apaise. Du grave d’élève un trait rapide, frissonnant, qui plane sur des harmonies précieuses et tendres. On songe à une mystérieuse apothéose. » Souverain dans le déploiement des lignes, le polonais se situe dans la ligne interprétative d’un Maurizio Pollini, autre vainqueur du Concours Chopin de Varsovie en 1960, vocalité captivante du piano, séduction envoûtante des sonorités, équilibre entre le deux mains, la gauche portant le son sans jamais le forcer, clarté, élégance, sobriété du jeu qui n’empêche pas la théâtralité de l’expression enjolivée par une spontanéité irradiante. Œuvre suivante, la Ballade n° 3 en la bémol majeur op. 47 composée à Nohant durant l’été de 1841 et dédiée à son élève Pauline de Noailles (1823-1844) qui aurait été inspiré par le poème Ondine d’Adam Mickiewicz (1798-1855). Sa structure est celle du quinzième des Préludes op. 28 publiés en 1839, celui en ré bémol majeur dit « La goutte d’eau », ses sonorités reflétant le temps pluvieux de Majorque où il a été conçu. Blechacz a mis subtilement en relief la forme en arc, soulignant le double caractère du thème initial, à la fois et tour à tour chantant et dansant, engageant l’œuvre avec une délicieuse délicatesse pour mieux en souligner les tensions croissantes, entrecoupées de sections contrastantes, du mezza voce poétique et rêveur, au furioso au tumulte frémissant. Retour au début des années 1830 avec les Quatre Mazurkas op. 17 dédiées à la cantatrice Lina Freppa, professeur de chant amie de Chopin composées en 1832-1833 et publiées chez Pleyel en janvier 1834. Contemporaine des Polonaises op. 26, il s’agit de la première série de mazurkas écrite par Chopin à Paris, où il est arrivé à l’automne 1831 avant d’y donner ses premiers concerts en 1832. Reflets des impressions ressenties par le compositeur après l’écrasement par les Russes de l’insurrection polonaise de 1830, ces pièces, à l’exception de la première, plus joviale, sont toute imprégnées de tristesse, et atteignent dans la quatrième un désespoir inégalé jusqu’alors dans l’œuvre de Chopin. Après le Vivo e risoluto de la courte Mazurka en si bémol majeur tripartite mélodiquement colorée et radieuse et rythmiquement d’une juvénile vitalité, Blechacz plonge dans abysses de l’âme du compositeur dans la deuxième, en mi mineur, Lento ma non troppo est d’une langueur onirique aux contours insolites, tandis que le troisième, en la bémol majeur « legato assai » allie tensions dramatiques et nostalgie profonde du temps passé, avant que s'impose la mélancolie désespérée de la quatrième, en la mineur « Lento ma non troppo », poème aux vastes proportions empli de douleur et de mystère nocturne qui s’achève en un cri déchirant suspendu un temps avant la coda qui conclut l’œuvre sur un accord non résolu que Blechacz a maintenu un moment avant de baisser les bras tandis que le public retenait son souffle. Le pianiste polonais a conclu son récital sur le Scherzo n° 3 en ut dièse mineur op. 39 esquissé en janvier 1839 dans la cellule du monastère abandonné de Valldemossa à Majorque et achevé à Marseille dans une chambre de l’hôtel Beauvau au retour du séjour désastreux aux Baléares auprès de George Sand. Dédié à Adolphe Gutmann (1819-1882), son ami et élève ainsi que de Franz Liszt, ce Scherzo est le plus concis, héroïque et solidement charpenté des quatre Scherzi de Chopin, qui atteint ici une grandeur quasi beethovénienne, ce qui permet à Blechacz de boucler la boucle de son récital en revenant au plus près de la manière du début de son programme. Ce Presto con fuoco, qui n’a rien de divertissant contrairement à ce que laisse croire le terme scherzo, est d’une terrible difficulté technique tant il y faut de précision et de vélocité dans l’exécution alerte des motifs en octaves, mais aussi d’aptitude au cantabile pour exprimer l’émotion dramatique, brièvement mise entre parenthèses dans un trio plus serein, avant que la partition se conclut de façon abrupte au terme d’une véritable course à l’abîme et au néant, comme l’écrit joliment Michel Le Naour dans le programme de salle. Pour répondre aux rappels du public venu en nombre, Blechacz a donné deux autres pages de Chopin en bis.

Bruno Serrou

mardi 10 juin 2025

Krystian Zimerman, le piano sur les cimes et une Philharmonie de Paris transcendée

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Vendredi 6 juin 2025 

Krystian Zimerman
Photo : (c) Bartek Barczyk - DG

Quel récital au souffle profondément lyrique et généreux ! Et pourtant, le pianiste souffrait clairement de la main gauche ! Krystian Zimerman est vraiment unique ! Un vrai magicien ! Au point que la Philharmonie de Paris allait s’avérer comme tétanisée par cet authentique moment de grâce. Tout en Krystian Zimerman est musique. Il joue autant de ses doigts, de ses mains, de son cœur, de son âme, de sa sensibilité que de son corps. Il se projette dans le clavier tout entier, de la tête aux pieds, et les partitions qu’il a sous les yeux, il les regarde si peu qu’elles sont là de toute évidence pour le rassurer. Un programme magnifique, avec en première partie des compositeurs avec des œuvres composées quasi simultanément, trois Nocturnes de Chopin d’une tendre et ardente poésie, suivis d’une Sonate n° 2 op. 2 de Brahms sonnant telle une symphonie toujours renouvelée. Après la Pologne face à Vienne, la Pologne face à Paris. Trois Estampes de Debussy sonnant ample et coloré d’un Debussy de chair et de sang, très incarné, ce qui faisait plaisir à entendre, enfin les Variations sur un thème folklorique polonais de Karol Szymanowski de la même année que les Debussy. Des pages magnifiques, formant un véritable poème symphonique pour orchestre jouées avec passion, le pied gauche battant l’élan. Prodigieuse soirée ! Pas de bis, comme très souvent avec Zimerman, mais cette fois sa main gauche souffrant trop, de toute évidence, l’excuse était recevable 

Le Steinway joué par Krystian Zimerman le 6 juin 2025 à la Philharmonie
Photo : (c) Bruno Serrou

Les apparitions à Paris de Krystian Zimerman constituent toujours un véritable événement. Non seulement en raison de leur rareté, à l’instar de ses disques, peu nombreux (1), mais aussi et surtout pour leurs extraordinaires qualités, autant pianistiques qu’intellectuelles, spirituelles, poétiques. Pour ma part, j’essaye à chacun de ses passages d’être présent dans la salle. Un pianiste de ma génération qui me marque autant qu’un Maurizio Pollini, de la génération précédente, qui ont tous deux remporté le plus grand des concours de piano au monde, le Concours Frédéric Chopin de Varsovie à quinze ans de distance et au même âge (18 ans), l’Italien en 1960, le Polonais en 1975, avant de se retirer tous deux pendant plus d’un an du circuit pianistique pour remettre leur métier sur l’ouvrage et diversifier leur répertoire, trop centré sur Chopin dans un premier temps. Par la suite, tous deux seront des artistes exclusifs du « label jaune » Deutsche Grammophon. Les deux artistes se retrouvent également sur les particularités de leurs programmes, toujours subtilement conçus et interprétés avec le plus haut degré d’exigence technique et musicale. Cette fois, devant une salle comble à la qualité d’écoute saisissante, Krystian Zimerman a choisi de mettre en regard deux des plus grands compositeurs polonais face à deux de leurs pairs de leur temps, l’un germanique, l’autre français mais tous deux admirateurs de leur aîné né en Pologne et mort en France, Frédéric Chopin. Ce dernier - ou plutôt ce premier -, étant mis en résonance avec Johannes Brahms, tandis que son compatriote du XXe siècle, Karol Szymanowski, était mis en regard de son propre contemporain, Claude Debussy, qu’il a plus ou moins pris pour référent.

Krystian Zimerman
Photo : (c) Bruno Serrou

Ainsi, c’est avec Frédéric Chopin (1810-1849) que Krystian Zimerman a ouvert son récital, avec trois des Nocturnes les plus représentatifs de l’art du compositeur franco-polonais dont il a donné la quintessence, à la fois poétique, méditative, réfléchie et tendre, le Nocturne en la dièse majeur op. 15/2, l’une des premières œuvres composées par Chopin à son arrivée à Paris en 1831, suivi du Nocturne en mi bémol majeur op. 55/2 de 1842-1844 dont le pianiste met merveilleusement en évidence le caractère improvisé donnant à chaque note un poids qui lui est propre, une ductilité continue de mélodie infinie souvent à deux voies, voire trois qui se répondent à la main droite. Enfin, le Nocturne en mi majeur op. 62/2 de 1845-1846, avec ses moments de fébrilité, l’un des sommets du corpus des nocturnes de Chopin auquel Zimerman donne dans les dernières mesures la nostalgie d’un adieu au monde. Ecrite six ans après l’opus 62 de Chopin, la Sonate pour piano n° 2 en fa dièse mineur op. 2 par un Johannes Brahms (1833-1897) de 19 ans, est en fait la toute première œuvre du maître de Hambourg, qui préféra voir attribuer par l’éditeur recommandé par Robert Schumann, Breitkopf & Härtel, le numéro d’opus 1 à sa deuxième sonate en ut majeur conçue en 1853. Bien qu’il s’agisse d’une partition de jeunesse, l’on trouve déjà dans ses quatre mouvements ce qui fait la particularité de l’écriture pianistique de Brahms, qui donne au clavier la consistance, les chatoiements et l’ampleur sonore de l’orchestre au grand complet, obtenus par une technique exigeante et au caractère dramatique. Le mouvement initial rattache l’œuvre à Beethoven, avec son premier thème renvoyant à l’opus 106 « Hammerklavier », tandis que l’Andante adopte la forme thème et variations sur une vielle chanson d’amour « Verstoholen geht der Mond auf » (La lune se lève furtivement) dont Zimerman souligne de sublime façon la délicatesse magnifiée dans les trois dernières variations vers la grandeur qui conduit au Scherzo dont le Trio dégage une touchante mélancolie, tandis que le finale est un rondo en forme de palindrome dont le thème est modulé à chaque exposition, ce qui demande à l’interprète une technique imparable, ce qu’atteste le jeu de Zimerman qui coule avec une souplesse et une facilité déconcertantes.  

Krystian Zimerman
Photo : (c) Bruno Serrou

Seconde mise en perspective de la soirée, le Français Claude Debussy (1862-1918) face au Polonais Karol Szymanovski (1882-1937). Les trois Estampes du premier sont les premières grandes pages pour piano de leur auteur. Composées en 1903 et créées le 9 janvier 1904 par Ricardo Vines, elles sont de véritables invitations au voyage spirituel et intime pour l’interprète, qui doit faire preuve d’une infinie délicatesse, comme pour l’auditeur, avec ses couleurs de gamelan javanais dans Pagodes avec ses motifs courts et répétitifs se superposant, le thème de habanera nonchalante, avec la mélodie flamenca et les allusions au tango dans La Soirée dans Grenade d’où surgissent des fragrances de fête, et deux comptines populaires, Dodo, l’enfant do et Nous n’irons plus au bois, qui, dans Jardins sous la pluie, éveillent la mélancolie des souvenirs enfouis dont le caractère varie en fonction des variations de la météorologie. Le toucher céleste de Krystian Zimerman et ses immenses qualités de poète-musicien convergent pour donner de ce triptyque rêveur les sonorités immatérielles mais sans excès, à la fois douces, sensuelles, poétiques, expressives et dénuées d’affectation mais judicieusement très incarnées, ce qui faisait plaisir à entendre. Mais le moment le plus attendu de la soirée était les Variations sur un thème folklorique polonais op. 10 de Karol Szymanowski composées au même moment que les Estampes de Debussy, entre 1900 et 1904. Né en Ukraine, à Tymochivka, le 3 octobre 1882 dans une famille d’aristocrates polonais, Szymanowski se situe tout d’abord dans le sillage de Chopin, mais aussi de Scriabine, ainsi que de Wagner, de Brahms et de Max Reger. C’est à la croisée des chemins au sein de cette diversité d’imprégnations que se situe cette série de dix variations sur un thème folklorique polonais, associant confession et élans dramatiques, exposé Andante, dolorosa rubato, dédiée au pianiste compositeur polonais Zygmunt Noskowski (1846-1909) et créée par Heinrich Neuhaus (1888-1964), cousin de Karol Szymanowski, le 6 février 1906 à Varsovie. L’écriture fougueuse de la quatrième variation, la force passionnelle de la sixième, la richesse d’invention, les ruptures de climats de l’admirable Marche funèbre de la huitième,  et quantité de pages d’une extrême délicatesse, le tout couronné par l’Allegro vivo final noté « trionfado », véritable démonstration de panache jubilatoire à l’écriture digne de Chopin, avec arpèges fébriles, vagues torrentielles de notes, d’accords compacts, de syncopes de grande mobilité, porteurs du Szymanowski de la maturité, qui associera Debussy, l’Afrique du Nord et la tradition populaire polonaise (2). Ecouter cette musique touchante et d’une richesse confondante sous les doigts de Krystian Zimerman, qui chantait dans son jardin, restera comme une expérience parmi les plus marquantes qu’il m’ait été donné de partager, tant il a donné la quintessence du compositeur, associant jeunesse et maturité, vaillance et affliction, tendresse et fièvre, insouciance et doute, le tout avec exprimé avec une virtuosité et un nuancier transcendant, tandis que, clairement, la main gauche semblait de toute évidence de plus en plus souffrir. Tant et si bien que le pianiste prévint en montrant et secouant ladite main gauche le public qu’il ne pouvait pas répondre positivement à leurs rappels, alors même qu’il n’est guère prolixe en la matière.

Bruno Serrou

1) Vient de paraître chez DG un double album consacré aux Quatuors avec piano opp. 26 & 60 de Johannes Brahms avec Maria Nowak (violon), Katarzyna Budnik (alto) ses compatriotes, et le Japonais Yuya Okamoto (violoncelle) - CD 486 4650

2) Pour en savoir davantage sur Karol Szymanowski, voir sur ce site les deux textes que je lui ai consacrés début avril 2012 après être parti la semaine précédente sur les terres du compositeur durant un séjour en Pologne : https://brunoserrou.blogspot.com/2012/04/deux-ouvrages-rares-vus-lopera-de.html et https://brunoserrou.blogspot.com/2012/04/un-concert-dabonnement-de-haute-tenue.html

 

 

 

dimanche 8 juin 2025

Fin de saison triomphale de l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä avec une Symphonie avec orgue de Saint-Saëns grandiose et Yunchan Lim dans le 4e Concerto de Rachmaninov

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Jeudi 5 juin 2025 

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris
Photo : (c) Mathias Benguigui

Dernier concert de la saison de l’Orchestre de Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris. Cette soirée dédiée à Pierre Audi, directeur du Festival d'Aix-en-Provence décédé le 3 mai dernier à Pékin à l’âge de 67 ans, a été polymorphe, ne présentant aucun lien évident entre les œuvres, même le Dies Irae fort utilisé par deux des compositeurs, Saint-Saëns et Rachmaninov, mais présent dans une seule des œuvres choisies, celle du premier. Ces pages d’orchestre ont permis à la phalange parisienne de briller de tous ses feux, tant sur le plan du son que sur celui de l’unité et de la virtuosité, mais aussi de l’élan, avec le délicieux Tombeau de Couperin de Ravel un peu trop trainant cependant, puis le Quatrième Concerto pour piano de Rachmaninov par Yunchan Lim à la technique d’airain, impressionnant de tenue et de digitalité, mais cette fois un peu monochrome et trop distant, tandis que l’orchestre scintillait. Le pianiste coréen a donné deux pages de JS Bach en bis. Seconde partie, une magistrale Symphonie n° 3 « avec orgue » de Saint-Saëns, parfaitement dosée par Mäkelä, avec un premier mouvement d’une tendresse et d’un charme singuliers, et un final majestueusement triomphal dans un espace jamais saturé  

Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä
Photo : (c) Mathias Benguigui

L’Orchestre de Paris a ouvert son ultime prestation à la Philharmonie de la saison soir à son public venu en nombre assister à un concert pour le moins alléchant. Ainsi, en cette année du cent-cinquantenaire de la naissance de Maurice Ravel, l’Orchestre de Paris a rendu hommage au plus universel des compositeurs français avec Le Tombeau de Couperin dans une interprétation élégante mais un peu plane malgré les chatoiements des pupitres de l’Orchestre de Paris, la conception de Klaus Mäkelä apparaissant un rien froide et manquant de tonus. Et même si l’on sait que le compositeur a dédié chacun des quatre volets de sa suite à un soldat mort au combat sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, Ravel réinvente surtout le classicisme français à travers la figure de Couperin et, surtout, celle de Jean-Philippe Rameau. Or, la vision de Klaus Mäkelä évoquait davantage la gravité du tombeau que la grâce fruitée du baroque, tandis que la direction n’a pas manqué d'énergie dans le menuet.

Yunchan Lim, Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris
Photo : (c) Mathias Benguigui

Vainqueur du Concours Van Cliburn 2022 avec le Troisième Concerto de Serge Rachmaninov, Yunchan Lim a indubitablement tous les atouts pour s’illustrer dans l’œuvre du compositeur-pianiste russe.  C’est avec le dernier concerto que Rachmaninov consacra à son instrument, le Concerto n° 4 pour piano et orchestre en sol mineur op. 40 de 1925-1926 mais ébauché en Russie en 1911, et créé le 18 mars 1927 par son auteur en soliste, l’Orchestre de Philadelphie étant dirigé par Leopold Stokowski. Un concerto polymorphe auquel Rachmaninov eut le plus grand mal à donner une unité qui le satisfasse, puisqu’il le révisa par deux fois après sa création, en 1928 puis en 1941, et qu’il reste aujourd’hui encore le moins programmé des quatre concertos du Russe. Loin ici d’un Daniil Trifonov et ses longs doigts courant sur le claviers sans le toucher vraiment, les effleurant pour en tirer des sonorités pleines, charnues, ardentes comme de la braise, ce qui enchanta le public de la Philharmonie en octobre 2023 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/11/dirige-par-yannick-nezet-seguin-le.html), Yunchan Lim a saisi par sa maîtrise technique imparable, la facilité de son jeu, mais sans parvenir à entrer dans le fond de l’œuvre et tirer du clavier la polychromie sensuelle de son aîné russe. Certes, le jeune pianiste sud-coréen a donné à ces pages une unité peu évidente à trouver, et le fait que tout soit apparu propre mais linéaire sans être néanmoins atone, tandis que Klaus Mäkelä donnait le maximum de la riche palette de timbres en sollicitant les riches et denses sonorités de l’Orchestre de Paris, au risque parfois de donner trop d’éclat, tandis que Yunchan Lim se plaisait à souligner l’extrême diversité rythmique, y compris la pulsation puisée dans le jazz, dans un dialogue manquant légèrement de fougue lyrique en réponse aux soli et aux tutti de l’orchestre dirigé avec délectation par son directeur musical qui s’est plu à un échange enjoué avec son soliste. Ce dernier a donné en bis deux courtes pages de Johann Sebastian Bach.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris, Lucile Dollat
Photo : (c) Mathias Benguigui

Pour sa troisième programmation depuis l’inauguration de l’orgue de la Philharmonie, l’Orchestre de Paris a fait appel à la jeune organiste titulaire du Cavaillé-Coll de l’église Saint-Maurice de Bécon à Courbevoie, Lucile Dollat, élève entre autres d’Olivier Latry, Thierry Escaich et Marc-André Dalbavie, comme soliste de la Symphonie n° 3 en ut mineur « avec orgue » op. 78 de Camille Saint-Saëns. Installée côté cour entre les contrebasses et le tuba à la même hauteur que le piano, placé à jardin derrière les seconds violons, la console de l’orgue blanc émail au design digne de Jacob Delafon était fondue au sein de l’orchestre, soulignant ainsi qu’il s’agit bien d’une symphonie, donc une œuvre d’orchestre, « avec orgue », donc pas d’un concerto « pour orgue et orchestre » ni d’une œuvre d’orgue avec orchestre. La partition de Saint-Saëns est la plus emblématique de ce répertoire. Sous l’impulsion de Klaus Mäkelä, qui a semblé se délecter de cette œuvre scintillante dont il a su souligner la diversité des atmosphères tout en suscitant une transparence et une fluidité des pupitres et des voix, sans en affecter les climax funèbres dont la symphonie est toute imprégnée avec le leitmotiv du Dies Irae, exacerbant les contrastes et les vagues de sons qui parcourent l’orchestre tout au long de l’œuvre, rivalisant dans la seconde partie de puissance avec l’orgue, qui n’a jamais écrasé l’orchestre malgré des moments où les plein-jeux s’expriment, bien que Lucile Dollat ne se soit pas privée d’imposer aux oreilles du public une puissance qui aura semblé sans limites. En revanche, Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris ont offert une remarquable première partie d’une retenue et d’une variété d’intonation exemplaires, dont le sommet a été le mouvement lent, Poco adagio, galvanisant un chant d’une pureté onirique conduit par un nuancier d’une ampleur singulière, particulièrement dans les pianissimi d’une douceur ineffable.

Bruno Serrou

 

samedi 7 juin 2025

Le musicien-poète Nelson Goerner a de nouveau enchanté Piano4Etoiles au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Piano4Etoiles. Mercredi 4 juin 2025 

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Récital magistral mercredi soir au Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre de Piano4Etoiles de l’Argentin Nelson Goerner. Jouant avec beaucoup d’humilité mais sortant du clavier des sonorités inouïes de plénitude et de chaleur au service d’un nuancier infini, il a donné de l’opus 101 de Beethoven une lecture aux élans de feu, suivie des Six Pièces op. 118 de Brahms d’une continuité et d’une variété d’expression, de couleurs et de toucher qui en a fait un véritable livre de douleurs et d’humanité. Puis ce furent les Dix Préludes op. 23 de Rachmaninov d’une éloquence et d’une mobilité passionnée, avant de finir avec un éblouissant Beau Danube Bleu de Johann Strauss Jr dans un arrangement de Schulz-Evler époustouflant de virtuosité et de chant, comme parcouru par un banc de truites toutes plus joueuses et insouciantes les unes que les autres. Deux bis, Nocturne de Chopin et une berceuse de Rachmaninov 

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Les programmes de Nelson Goerner sont toujours remarquablement conçus. Pour sa troisième prestation de la saison dans le cadre de Piano****, le pianiste argentin a proposé un parcours au cœur du romantisme, des aurores beethovéniennes au crépuscule avec Rachmaninov, en passant par l’apothéose, Johannes Brahms et celui plus solaire de celui que Brahms considérait comme l’un des plus grands compositeurs de son temps, Johann Strauss Jr. Précédent la grande Hammerklavier op. 106 de quelques mois, la Sonate pour piano n° 28 en la majeur op. 101 composée en quatre mouvements durant l’été 1816 est la première des cinq « sonates tardives » de Beethoven que le compositeur André Boucourechliev dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance, décrivait comme la première œuvre dans laquelle la forme sonate « entre dans sa longue phase crépusculaire », tandis que Beethoven la présentait comme « une série d’impressions et de rêveries ». C’est dire combien cette partition convient au poète du piano qu’est Nelson Goerner, qui en a exalté d’entrée la profondeur et les infinies beautés de cantabile et polyphonies, à la façon d’un peintre à la sensibilité exacerbée. Ecrit au cours de l’été 1893 parallèlement aux quatre Klaviertücke op. 119, l’opus 118 est constitué de six pièces, assemblant quatre intermezzi, une Ballade en troisième position et une Romance en cinquième. Sa dédicataire, Clara Schumann, déclara y percevoir « une multitude d’émotions dans le cade le plus restreint », tandis que deux des pages du recueil sont les miniatures les plus célèbres du compositeur, l’Intermezzo en la majeur (n° 2, Andante teneramente) et la Romance en fa majeur (n° 5, Andante).

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Si Rachmaninov a bien écrit vingt-quatre Préludes pour piano correspondant aux tonalités majeures et mineures, il les a répartis en deux volumes, op. 23 et op. 32, respectivement formés de dix et de quatorze pièces. Le premier auquel s’est attaché Goerner date de 1903, à l’exception du cinquième composé en 1905, tandis que le second volume est de 1910. Le compositeur russe entendait répondre aux 24 Préludes de Frédéric Chopin, dans la continuité des Variations sur un thème de Chopin op. 22 tirées du vingtième Prélude de l’aîné polonais, et le prélude qui ouvre ce recueil, lento en ut dièse mineur, se réfère ouvertement à l’opus 28/2 de Chopin. Les pièces de ce recueil dans lesquelles les pianistes ont pour habitude de prendre quelques extraits, aucune n’ayant de lien structurel entre elles, et cela à l’exemple-même de l’auteur qui les jouait indépendamment les unes des autres, a été donné en son intégralité par Nelson Goerner, ce qui a permis à l’auditeur de s’imprégner de l’univers de Rachmaninov, les Préludes constituant le sommet des pages pour piano solo du compositeur lui-même pianiste virtuose. D’autant plus virtuoses sont ces pages qu’elles ont té dédiées à Alexandre Siloti, cousin germain du compositeur, disciple de Franz Liszt et lui-même transcripteur de renom, comme le rappelle Michel Le Naourt dans son texte de présentation toujours aussi riches en informations et remarquablement écrits. Dès l’abord, Goerner est clairement dans le registre de la nostalgie, n’hésitant pas se donner à l’ascétisme, pour mieux faire contraste avec le prélude suivant au ton héroïque, puis fantasque dans le Tempo di minuetto aux sonorités franchement viriles qui se conclut dans un murmure exalté par un toucher immatériel qui prépare à l’Andante cantabile élégiaque mais sans excès, qui prépare au plus célèbre des Préludes de Rachmaninov, le cinquième, alla marcia en sol mineur auquel Goerner donne avec onirisme autant d’énergie que de lyrisme, qui se retrouvent en plus douloureux dans l’Andante en mi bémol mineur au ton contemplatif et sentimental mais sans affect. Le septième Prélude est l’occasion pour le pianiste argentin de déployer sa virtuosité naturelle, toujours concentré et le geste défait de tout maniérisme, avant de donner au huitième Prélude de son toucher aérien et fluide la consistance d’un ruisseau courant à travers champs et qui, dans le Prélude suivant, Presto en mi bémol mineur, atteint une torrentielle énergie servie par une technique au panache irrésistible, avant de conclure sur la longue méditation du Largo en sol bémol majeur dans lequel le Steinway atteint sous les doigts de Goerner une vocalité nettement humaine.

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Pour donner un tour un peu plus optimiste à son récital, Nelson Goerner a choisi de clore le programme sur l’Arabesque de concert op. 12 sur le « Beau Danube bleu » de Johann Strauss Jr du pianiste pédagogue polonais Adolf Schulz-Evler (1852-1905), qui serait l’une des œuvres fétiche de Nelson Goerner. Il faut dire que cette partition donne au pianiste argentin toutes les opportunités pour jouer de ses infinies qualités d’interprète saisissant avec un rare discernement tout ce que contiennent les œuvres qu’il interprète, intelligence du texte, sensibilité d’une profonde humanité, technique sans défauts, nuancier infini, touche à la fois puissant et aérien, élégance du jeu, que la facilité apparente avec laquelle Goerner se plonge dans ces pages pétillantes transcende, au point que l’auditeur sans fermer les yeux voient défiler en lui les paysages parcourus par le plus long fleuve d’Europe, ainsi que la diversité de ses courants et de ses habitants. Un véritable délice sonore qui présente l’avantage inouï sous les doigts de Nelson Goerner de titiller tous les sens de l’auditeur.

Photo : (c) Bruno Serrou

Le public ébloui par le chant captivant de cette Arabesque qu’il venait d’écouter avec délice, n’a pas voulu en rester là de cette ensorcelante soirée, demandant à l’enchanteur, qui ne s’est pas fait prier, un premier bis, le plus célèbre des Nocturnes de Chopin, puis un second, plus court, une berceuse de Rachmaninov…

Bruno Serrou