jeudi 19 janvier 2023

Pour la réouverture de sa Salle de projection, l’IRCAM entre marteau et enclume

Paris. IRCAM, Salle de projection. Jeudi 12 et mardi 17 janvier 2023 

IRCAM, Salle de projection. Le plateau. Photo : (c) Bruno Serrou

Fermée pendant sept ans pour cause de travaux de rénovation, la Salle de projection de l'IRCAM, inaugurée en 1977 par Pierre Boulez et l'Ensemble Intercontemporain, a été le cadre pour sa réouverture d’un mini-festival de six jours destiné à tous les publics car ouvert à la diversité des formes d’expression musicale, de la plus mercantile et d’jeuns à la plus savante et à finalité audacieuse. C’est ainsi que l’on peut mesurer combien les innovations de l’IRCAM, aussi aventureuses, ingénieuses, porteuses d’avenir soient-elles, peuvent être plus ou moins malheureuses en servant de cache-misère tant elles laissent croire à des non-musiciens qu’ils sont d’authentiques artistes créateurs alors qu’ils ne sont pas même aptes à produire sciemment une harmonie élémentaire, un rythme autre qui binaire et la moindre nuance autre que fortississississimo. Personnellement, je ne pouvais ce premier soir que me remémorer les fantastiques concerts dont j’ai eu la chance d’être l’un des témoins depuis le l’ouverture de la Salle de projection de l’IRCAM en 1977, notamment ceux dirigés et en présence de Pierre Boulez, ou bien encore une fabuleuse soirée consacrée au monumental Sirius de Karlheinz Stockhausen, qui, installé contre l’échelle centrale côté jardin, manipulait tel un Professeur Tournesol chevelu la console son d’où il diffusait l’œuvre inspirée par la super-étoile de la constellation du Grand Chien, tandis que je me bagarrais avec un critique musical exerçant sa plume notamment dans les colonnes du Canard enchaîné sous le pseudonyme de Luc Des Cygnes, qui, assis juste devant moi, ne cessait de hurler « au scandale », traitant Sirius et son auteur de tous les noms d’oiseaux, empêchant la salle entière d’écouter cette œuvre fondamentale dans la création du maître de Cologne.

IRCAM. "Performance" de Tovel x 1024 architecture. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour la soirée inaugurale, se sont bousculés quelques quatre cents jeunes rapidement hypnotisés par l’enfer sonore d’un groupe au nom improbable de « Tovel x 1024 architecture » venu en toute honnêteté de sa part « faire la promo » de son nouvel album CD… Ce premier des rendez-vous de la série était donc fixé à la « jeunesse », avec un concert d’un groupe au nom improbable mais des plus branchouilles auquel très peu de mes confrères se sont aventurés. Avec raison, parce que lorsque je suis sorti de l’IRCAM après être resté stoïquement jusqu’au bout de mon supplice, mes oreilles étaient saturées de décibels, de mélodies basiques sans la moindre trace de créativité d’une vingtaine de secondes chacune, non pas développées mais répétées ad nauseum par des prétendus « musiciens » qui n’ont de toute évidence jamais appris à jouer d’un instrument quelconque autres que des lutheries électroniques pourvues de boutons pression dont ils connaissent plus ou moins l’usage que pour déclencher des sons informatiques diffusés par le biais de haut-parleurs dont les hurlements rendent une batterie et un saxophone soprano (mal joué) acoustiques inaudibles car couverts par des boum-tak rythmiques d’un clavier électronique tirés par la chanteuse du groupe dignes d’un marteau piqueur faisant passer le minimaliste Philip Glass pour un génie… A noter que la bière et les cigarettes électroniques elles aussi (mais non brevetées IRCAM) circulaient à un rythme effréné…

IRCAM. Salle de projection. Ensemble TM+ et Laurent Cuniot

Après avoir échappé au « concert Jean-Michel Jarre » bien évidemment annoncé archi-comble, j’ai assisté au concert de clôture de ces six jours de fête ircamienne qui promettait au public de retourner à ses fondamentaux fixés par son fondateur, Pierre Boulez, avant que l’emportent en dépit de l’Institut les contingences établies par les édiles qui le financent et qui le jugent plus élitiste encore que toutes les institutions musicales réunies car voué à la recherche fondamentale et à la création musicale que ces décideurs démagogues qualifient de « savante » donc selon eux détachée de toute contingence mercantile ou « grand public »…

Le compositeur Florent Caron Darras (né en 1986). Photo : (c) Bruno Serrou
 
L’IRCAM clôturait donc mardi, devant un public plus éclectique que lors des deux rendez-vous évoqués plus haut au sein duquel l’on pouvait remarquer compositeurs, mécènes et fidèles des concerts de créations contemporaines, le court festival organisé pour la réouverture de sa Salle de projection se concluait sur un concert intitulé « Seconde nature » avec deux pages ornithologiques pour piano seul d’Olivier Messiaen, La Rousserolle écarlate et Le Courlis cendré extraits respectivement des septième et treizième Livres du Catalogue d’oiseaux joués par Julien Le Pape sur un piano sobrement relégué contre la paroi du plateau côté jardin, et deux œuvres en 3D élaborées à l’IRCAM, l’une pour « dispositif Ambisonics 3D d’ordre 7 » [sic] peu convaincante, Hidden Values (2011-2012) de la Britannique Natasha Barrett (née en 1972) créée Salle de projection le 28 novembre 2012, et la première mondiale de Transfert de Florent Caron Darras (né en 1986), œuvre mixte conçue en 1922-1923 dédiée à l’Ensemble TM+ et à son directeur fondateur Laurent Cuniot qui en donnaient la création. Cette partition a été composée à partir d’enregistrements de sons forestiers captés plusieurs mois durant à cinq heures du matin et restitués à travers cent des trois cent quatre vingt dix haut-parleurs répartis dans l’enceinte de la Salle de projection disposés en coupole au-dessus du public, qui est ainsi délicieusement plongé dans un cocon de nature authentique mais musicalisé qui, malgré son incontestable réussite, s’avère un peu trop longue car irrésolue.

Bruno Serrou

 

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