Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Dimanche 22 janvier 2022
Au terme d’une tournée européenne, l’Ensemble Intercontemporain et son directeur musical Matthias Pintscher ont donné à la Philharmonie de Paris un programme parfaitement rodé et mis en place. Avec en guise d’accroche promotionnelle l’œuvre emblématique du second XXe siècle, Déserts d’Edgard Varèse, l’ensemble instrumental créé par Pierre Boulez en 1976 a attiré la foule dans la grande salle de la Philharmonie, permettant ainsi à la majorité du public la découverte d’un immense chef-d’œuvre, Jagden und Formen de Wolfgang Rihm.
Déserts d’Edgard Varèse (1883-1965), ce pourquoi l’essentiel du public est venu à la Philharmonie, apparaît avec le recul du temps comme un classique. Tant et si bien que l’on se demande aujourd’hui ce qui a bien pu susciter l’énorme chahut de sa création Théâtre des Champs-Elysées le 2 décembre 1954 par l’Orchestre National de France dirigé par Hermann Scherchen dont Radio France et l’INA ont opportunément préservé la soirée dans leurs archives. Avec les quatorze instruments à vent (deux flûtes/piccolos, clarinette/clarinette en mi bémol, clarinette/clarinette basse, deux cors, trois trompettes - la première en ré -, trois trombones, deux tubas - le second trombone basse), les cinq percussionnistes et le piano - auxquels s’ajoute la bande magnétique - de l’Ensemble Intercontemporain, et Matthias Pintscher, l’œuvre devient un véritable poème pour orchestre dont l’on apprécie particulièrement l’instrumentation, tandis que le passage dédié à la seule bande magnétique apparaît comme une respiration.
Si bien que l’on se délecte tant de l’exécution avivée par Matthias Pintscher que l’on finit rapidement par l’écouter les yeux fermés, le film de Bill Viola (dont le travail est très présent ces jours-ci à Paris, puisque l’on peut aussi voir une autre de ses vidéos à l’Opéra de Paris avec la reprise de la production de Tristan und Isolde mise en scène par Peter Sellars) n’apportant rien de particulier à l’œuvre mythique de Varèse qui créa le scandale à sa création et qui apparaît aujourd’hui bien sage.
Le moment-phare de ce dimanche après-midi à la Philharmonie de Paris aura été le fabuleux Jagden und Formen (Chasses et Formes), immense chef-d’œuvre de Wolfgang Rihm (né en 1952) incroyablement volubile et inventif commençant sur un claquement de mains des musiciens suivi par l’exposition du matériau thématique et rythmique par les deux violons rejoints par l’alto et le violoncelle puis la contrebasse, enfin par la harpe et le piano… De magistraux alliages sonores entre les pupitres (cor anglais, flûtes, basson, trombones, clarinettes, trompettes, cors, guitare, percussion, piano), magnifient une première partie virtuose et une seconde singulièrement dramatique.
Dix ans après l’avoir donné à la Cité de la Musique sous la direction de Cornelius Meister, le chef-d’œuvre du XXe siècle qu’est Jagden und Formen de Wolfgang Rihm a été donné par le même Ensemble Intercontemporain devant un public venu en nombre dans la grande Salle Pierre Boulez, sans doute attiré par l’œuvre fondatrice Déserts de Varèse, cela contrairement au concert du 12 janvier 2013 joué dans un Cité de la Musique au public clairsemé, ce qui m’était apparu stupéfiant, car laissant envisager une curiosité racornie du public mélomane parisien.
A la différence du concert d’il y a dix ans, l’Ensemble Intercontemporain a retenu non pas la version créée à Bâle le 15 novembre 2001 par l’Ensemble Modern de Francfort dirigé par Dominique My, mais celle considérée à ce jour comme définitive de 2007-2008. Cette ultime version de cette partition de tout premier plan entreprise en 1995 et créée sous sa forme primitive le 18 novembre 1999 Théâtre du Châtelet dans le cadre du Festival d’Automne par l’Ensemble Fa dirigé par Dominique My, amène ce chef-d’œuvre à se déployer sur un tour complet d’horloge.
Wolfgang Rihm reprend dans Jagden und Formen le concept et le matériau de Gejagte Form (Forme chassée, 1995-1996/2002), plus notablement rythmes et mélodies. Le déploiement de l’œuvre qui se présente telle une arche gigantesque reflète l’idée de chasse, de poursuite haletante, de cavalcade jubilatoire, ce que rend plus sensible encore la superposition des mouvements, tandis que l’apparition de chaque instrument agit sur le groupe comme un stimulant. Du motif fondamental exposé d’entrée, après le claquement de mains de l’orchestre entier, par un superbe duo de violons en léger décalage, dérive une texture qui gagne peu à peu en densité jusqu’à l’apparition d’un ensemble constitué du quintette à cordes (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse), des deux flûtes, des deux clarinettes et de la harpe, avant de passer à la totalité des bois puis aux cors et aux trompettes enfin aux trombones et au tuba. Le thème réapparaît par la suite dans une page avec cors et trompettes puis une dernière fois dans un unisson du quatuor à cordes avec le piano. L’effectif orchestral donne la part belle aux instruments à vent (six bois - deux flûtes, cor anglais, deux clarinettes/clarinette contrebasse, basson/contrebasson -, sept cuivres - deux cors, deux trompettes, deux trombones, tuba/tuba contrebasse) et à la percussion (trois musiciens sont requis), tandis que le quintette à cordes s’enrichit d’une harpe, d’une guitare remplacée à la fin par une guitare basse électrique, et d’un piano. L’entrée des différents pupitres se fait par paliers, chaque instrument ou groupe d’instruments étant traité d’une façon qui lui est spécifique. Ainsi, le cor anglais incite le compositeur au lyrisme, tandis que le marimba suscite un ostinato rythmique et des contretemps qui plongent l’auditeur à la fois dans l’univers du jazz et dans le groove de la musique répétitive américaine.
L’extrême virtuosité requise par l’écriture
prodigieuse de Wolfgang Rihm et la structure singulière de Jagden und Formen ont été magistralement restitués par tous les musiciens
de l’Ensemble Intercontemporain emportés par la dynamique, la tension et le lyrisme
attisés par la direction rayonnante et sûre de son directeur musical Matthias
Pintscher au service de cette œuvre majeure de la musique du XXe
siècle.
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