Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 10 janvier 2023
« On n’a pas tous les jours vingt ans », chantait Berthe Sylva (1885-1941) en 1935, année de la mort de Paul Dukas et deux ans avant celle de Maurice Ravel et d’Albert Roussel…
Vingt ans, c’est précisément
l’âge de l’un des orchestres les plus originaux au monde, Les Siècles, fondé en
2003 par François-Xavier Roth, fils de l’organiste Daniel Roth 32 ans, fils de
l’organiste Daniel Roth… Et c’est avec un sens du contexte aiguisé que le chef
d’orchestre polymorphe a choisi de célébrer cette double décennie, avec un
programme de musique française des années 1882-1930 née de l’imaginaire de
compositeurs nés entre 1823 et 1875 et morts entre 1892 et 1937…
Jouant devant un Théâtre des Champs-Elysées comble sur des instruments historiquement informés, Les Siècles s’était doté pour l’occasion d’instruments français utilisés au tournant des XIXe et XXe siècles (bassons et non pas fagotts, trompettes à pistons, timbales, etc.), et une disposition des pupitres avec premiers et seconds violons se faisant face, encadrant les violoncelles et les altos, et les contrebasses alignées a fond du plateau veillant sur l’orchestre entier. Regrettons néanmoins qu’il n’y ait eu aucune indication sur les musiciens constituant l’orchestre, et plus regrettable encore, sur ceux participant au concert, tant et si bien qu’il est impossible de saluer les prestations ce chacun des solistes, pas même du premier violon… du moins par moi… Honte sur moi donc.
Mais le plus émouvant à mes yeux, et surtout à mes oreilles, restera le programme choisi pour l’occasion, qui ne pouvait qu’attirer l’attention du Palazetto Bru Zane, centre de recherche musicologique français curieusement implanté à Venise, qui en a assuré la coproduction avec le théâtre de l’avenue Montaigne. L’émotion est venue des œuvres sélectionnées qui m’ont rappelé ma petite enfance, alors que mes parents mélomanes avertis, qui avaient décelé très tôt mon penchant pour la musique, m’emmenaient aux concerts de l’Orchestre Colonne dont le patron était le fameux Paul Paray (1886-1979), l’un des plus grands chefs d’orchestre français de l’Histoire, et dont les œuvres retenues par François-Xavier Roth constituaient le fonds du répertoire.
C’est avec Claude Debussy
(1862-1918) et son célèbre Prélude à
l’après-midi d’un fane (1892-1894) que Les Siècles ont ouvert la soirée,
œuvre qui a bien évidemment permis de mettre en valeur les bois et les harpes
de l’orchestre, particulièrement la flûte et ses magnifiques arabesques, préférant sans doute mettre l'accent sur le collectif.
Infiniment moins connu mais admiré par Emmanuel Chabrier, qui en réalisa une réduction pour piano, et Claude Debussy, entre autres, le ballet en deux actes d’Edouard Lalo, Namouna, commande de l’Opéra de Paris, conspuée à sa création le 6 mars 1882 - il a fallu attendre sa reprise sous le titre Suite en blanc dans une adaptation de Serge Lifar en 1943 pour que l’œuvre trouve enfin son public -, se fonde sur un livret de Charles Nuitter et Lucien Petipa tiré des Mémoires de Casanova et se déroule à Corfou au XVIIe siècle. Lalo en a tiré deux suites d’orchestre, chacune comptant cinq numéros, la première, qu’a choisie Roth, réunit en vingt-cinq minutes Prélude, Sérénade, Thème varié, Parade de foire, Danse de Namouna et Fête foraine. Cette suite a été créée le 14 janvier 1883 sous la direction de Charles Lamoureux. Cette musique aux élans exotiques où l’on trouve l’inspiration hispanique, marocaine, est surtout marquée par Richard Wagner tout en restant originale. Les Siècles en ont donné une interprétation dramatique à souhait, en restituant la variété des thèmes et de l’écriture de Lalo.
Autre commande de l’Opéra de Paris à un siècle de distance, tout aussi négligé aujourd’hui que Namouna, le ballet lui aussi en deux actes Bacchus et Ariane op. 43 d’Albert Roussel (1869-1937). Créé le 22 mai 1931 avec une chorégraphie de Serge Lifar sur un argument d’Abel Hermant, il évoque l’enlèvement d’Ariane de son île de Naxos par le dieu Bacchus, à l’instar de l’acte de l’opéra Ariadne auf Naxos de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal créé vingt ans plus tôt à Stuttgart. A l’instar de la seconde qui se fonde sur le second acte, les cinq numéros de la Suite n° 1 (Prélude, Danse des Ephèbes et des Vierges, Lute de Thésée et du Minotaure, Apparition de Bacchus, Danse du songe), créés le 2 avril 1933 par l’Orchestre Symphonique de Paris dirigé par Charles Munch, se concentrent sur l’acte initial du ballet. L’éblouissante orchestration de Roussel, qui réalise ici un authentique chef-d’œuvre, a été remarquablement servie par Les Siècles, qui a brillé dès le Prélude avec une fanfare étincelante et sûre.
Moins couru encore depuis des décennies, le poème symphonique de Jules Massenet (1842-1912) Scènes alsaciennes pour lesquelles le compositeur s’inspire de souvenirs de la nouvelle Alsace ! Alsace ! puisés dans le recueil des Contes du lundi d’Alphonse Daudet. Ecrite en 1882, l’œuvre compte quatre mouvements, Dimanche matin avec en introduction un choral de Luther confié aux cors, Au cabaret, Sous les tilleuls et Dimanche soir. A l’orchestre du plateau, le compositeur ajoute une fanfare en coulisse (Roth a choisi de la placer en fond de corbeille), quatre cors, six trompettes/cornets, trois tambours militaires et une cloche en fa. Un peu longue, cette partition recèle quelques moments de toute beauté, particulièrement le dialogue entre la clarinette et le violoncelle solos dans le mouvement lent (une fois encore je m’en veux d’être dans l’incapacité de citer les noms des chefs de pupitres).
Malgré son immense célébrité, due notamment au dessin animé du même nom de Walt Disney, l’Apprenti sorcier composé en 1897 par Paul Dukas (1868-1935), est beaucoup moins programmé que le poème symphonique dont il s’inspire plus ou moins ouvertement quant à la forme et à l’orchestration de Till Eulenspiegel que Richard Strauss (1864-1949) composa en 1894-1895. Formidablement évocatrice, cette œuvre est pourtant un trésor d’inspiration thématique, dramaturgique et d’orchestration dont on ne se lasse pas. François-Xavier Roth en a brossé une lecture colorée et quasi cinématographique, les images se bousculant dans la tête des auditeurs, le chef se délectant des timbres boisés et tranchés des instruments et de l’énergie communicative des musiciens de son orchestre.
Pour conclure ce concert aux contours chorégraphique, Les Siècles a donné un vertigineux poème chorégraphique La Valse conçue en 1919-1920 par Maurice Ravel (1875-1937), donnant à cette soirée festive un tour cataclysmique de fin du monde, comme si son directeur musical-fondateur tenait à plonger ses auditeurs dans les abysses d’un avenir pour le moins inquiétant…
Impression de tragique intensifiée par le bis offert en résonnance avant qu’apparaisse sur le plateau une gigantesque (fausse) pièce montée couronnée de ballons de foire, l’Adagietto de L’Arlésienne (1872) de Georges Bizet (1838-1875).
Rendez-vous dans cinq ans pour le
quart de siècle de l’orchestre Les Siècles ?...
Bruno Serrou
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