Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 25 janvier 2023
Etait proposé un programme placé sous le signe de la lettre S, avec deux symphonies et une sinfonia de trois compositeurs dont le nom commence par la quatorzième consonne de l’alphabet, Salonen, Sibelius et Stravinski.
Esa-Pekka Salonen avait choisi d’entourer sa propre partition qu’il donnait cette semaine en création française, de deux de ses compositeurs et œuvres de prédilection. C’est avec de remarquables Symphonies d’instruments à vent d’Igor Stravinski (1882-1971) qu’il ouvrait ce concert, mettant ainsi en valeur les pupitres de bois et de cuivres de l’Orchestre de Paris. Œuvre plurielle dont il faut prendre le titre dans son sens étymologique de simple rassemblement de musiciens jouant ensemble qui renvoie au XVIe siècle vénitien, l’œuvre a été achevée le 20 novembre 1920 à la suite d’une commande de la Revue Musicale pour son numéro de décembre 1920 « à la mémoire de Claude-Achille Debussy ». Comme à son habitude, constamment en quête de droits d’auteur, Stravinski révisa sa partition en 1947, un quart de siècle après la création le 10 juin 1921 au Queen’s Hall de Londres sous la direction de Serge Koussevitzky. « Chez Stravinski, dans Les Noces comme dans les Symphonies d’instruments à vent, écrivait Pierre Boulez, il y a une succession de différentes vitesses, polarisation successive sur des pulsations définies les unes par rapport aux autres. La phrase se développe au moyen d’une technique où prédomine la répétition des figures mélodiques, absolument inchangées, ou subissant des variations ornementales minimes ancrées solidement - s’il y a variation - dans des clausules initiales et terminales immobiles. » Précision du rythme, transparence limpide des voix, magnificence des timbres, luminosité du son, les pupitres des instruments à vent par trois, à l’exception des cors (quatre) et du tuba, de l'Orchestre de Paris ont enchanté les oreilles du public de leurs sonorités radieuses et voluptueuses.
Une somptueuse Symphonie n° 2 en ré majeur op. 43 de Jean Sibelius (1865-1957) occupait la seconde partie entière du concert. Intense et profonde comme les forêts et les lacs de Finlande, l’interprétation qu’en a donné Esa-Pekka Salonen a fait que l’auditeur a eu le sentiment d’entendre l’Orchestre de Paris chanter dans son propre jardin. Conçue en 1901, la plus longue des sept symphonies du maître finlandais est aussi la plus célèbre, au point d’être considérée par les Finlandais, au côté du poème symphonique Finlandia op. 26, comme un hymne à la résistance contre l’occupant russe - l’on ne pouvait que penser au contexte d’actualité avec la tentative d’invasion de l’Ukraine par son voisin russe. La brièveté de ses thèmes, l’alliage peu couru des divers groupes d’instruments donnent l’impression d’une œuvre évoluant continuellement, comme une course au renouveau d’une extrême expressivité, la narration tenant l’auditeur en haleine jusqu’à l’immense crescendo final de l’orchestre entier qui conduit à une courte et exaltante coda triomphale dominée par les cuivres. La vision globale de Salonen et l’attention soutenue des musiciens de l’Orchestre de Paris, qui a brillé du début à la fin de l’œuvre, s’exprimant pleinement dans l’incisif et tumultueux scherzo et respirant large dans le dense Allegro moderato conclusif, ont si intensément bouleversé qu’après un instant de silence les ovations ont fusé de toutes parts trahissant combien le public, extrêmement concentré durant l’exécution, exprimait une véritable libération.
Entre les deux œuvres, en fin de première partie, Esa-Pekka Salonen (né en 1958), qui aura chanté dans son jardin durant la soirée entière, dirigeait la première exécution en France de sa dernière œuvre à ce jour, la Sinfonia concertante pour orgue et orchestre. Commande de six institutions musicales mondiales - Orchestre Symphonique national de la Radio polonaise, Orchestre Philharmonique de Berlin, Orchestre Symphonique de la Radio finlandaise, Philharmonie de Paris, Orchestre Philharmonique de Los Angeles et la Philharmonie NDR de l’Elbe de Hambourg -, cette partition d’une demie heure requiert la participation d’un grand orchestre (bois par trois - flûtes/deux aussi piccolo, hautbois/un aussi cor anglais, deux clarinette, clarinette basse, deux bassons, contrebasson) -, quatre cors, trois trompettes, trois trombones, tuba, timbales, cinq percussionnistes, célesta, harpes, cordes (16-14-12-10-8)), et d’un orgue symphonique solo, instrument que le compositeur chef d’orchestre finlandais considère comme un « caméléon ». Composée entre 2020 et 2022, suite à la demande conjointe des organistes lettone Iveta Apkalna, titulaire de l’instrument de la Philharmonie de l’Elbe, et français Olivier Latry, titulaire de la tribune de Notre-Dame de Paris, structurée en quatre mouvements avec une longue cadence du soliste, la Sinfonia a été créée sous la direction de son auteur le 13 janvier dernier à Katowice dans le cadre de l’inauguration du grand orgue de la salle de concert de l’Orchestre Symphonique national de la Radio polonaise avec en soliste Iveta Apkalna. Un instrument de treize mètres de hauteur conçu sur les modèles des orgues des cathédrales Notre-Dame de Rouen et de Paris doté de sept mille tuyaux, cent huit jeux et deux consoles. Le gageure à laquelle s’est confronté Salonen tient au fait que l’orgue symphonique est un grand orchestre à lui tout seul. Tant et si bien que la confrontation entre les deux instruments que sont l’orchestre et l’orgue est extrême, voire violente, au point que l’auditeur en prend souvent plein les oreilles, malgré des plages pianissimi.
Dans cette Sinfonia, le compositeur se plonge dans l’histoire de la musique, de l’Ecole Notre-Dame, particulièrement de maître Pérotin (1160-1230), au romantisme le plus exacerbé en passant par la Renaissance et l’ère baroque. « La longue histoire de l’orgue, écrit Salonen, m’a incité à imaginer une musique ‘’ancienne’’ d’un monde hypothétique, un univers alternatif, toujours mien mais un peu étranger. » La partition qui en résulte s’avère un rien trop longue, avec son demi-tour d’horloge, et pesante, avec ses harmonies et son tour tonal façon Hollywood.
Le succès a néanmoins été au rendez-vous, au point qu’Olivier Latry, de toute évidence heureux de sa prestation et de se produire à l’orgue de là la Philharmonie, a offert en bis l’impressionnante Toccata finale de la Suite Gothique op. 25 de l’Alsacien Léon Boëllmann (1862-1897) mettant parfaitement en valeur l’imposant instrument de la Philharmonie.
Bruno Serrou
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