lundi 30 mai 2022

A l'Opéra de Paris Simone Young dirige un Parsifal plus spirituél que la théâtralité de Philippe Jordan

 Paris. Opéra de Paris Bastille. Samedi 28 mai 2022

Richard Wagner (1813-1883), Parsifal. Photo : (c) Emilie Bouchot/OnP

Cette production de Parsifal mise en scène par Richard Jones avait constitué l’un des spectacles les plus attendus de la saison 2017-2018 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2018/05/parsifal-en-chef-de-secte-lopera.html). Elle avait alors suscité quelques polémiques en transformant notamment la compagnie des Chevalier du Graal et le monastère de Montsalvat en secte créée par Titurel et rendue invivable par la faute de son fils Amfortas et dont les adeptes hypnotisés seront finalement libérés par le chaste fol Parsifal, après que celui-ci soit passé par le jardin enchanté du dissident Klingsor et son bataillon de filles-fleurs aux vulves et aux seins saturés de désir.

Richard Wagner (1813-1883), Parsifal. Photo : (c) Emilie Bouchot/OnP

Vue le soir de la deuxième représentation de son retour à Bastille, cette production a étonnamment fait le vide de spectateurs à chaque entracte, des rangs entiers disparaissant aux deux reprises, ce à quoi je n’avais jamais assisté de ma vie de mélomane et de critique pour ce chef-d’œuvre absolu… 

Richard Wagner (1813-1883), Parsifal. Photo : (c) Emilie Bouchot/OnP

Il faut dire que propose le metteur en scène britannique Richard Jones surprend par sa conception qui a tout d’une trahison, tout en suivant quasi littéralement les indications du concepteur de l’œuvre d’art total. Dans ce qui se présente comme une secte dont le grand maître, le nain sénile Titurel à l’article de la mort, souhaiterait passer la main à son fils Amfortas, qui, souffrant d’une blessure inguérissable et de ce fait incapable de lui succéder, est en quête de rachat, l’action se déroule aux deux actes extrêmes dans une même perspective de décors façon Le Corbusier signés ULTZ se déployant de cour à jardin au fur et à mesure de l’action, présentant la façade du monastère (Montsalvat/Montfavet ?), avec en son centre au milieu d’un bassin un buste imposant doré du fondateur de la secte ressemblant naturellement à Richard Wagner, donnant sur le lieu de vie de la communauté équipé d’une bibliothèque où sont déposés d’énormes livres/bibles/règles intitulés Wort (Mot), d’une grande table de réunion, d’une cuisine où bouillent des emplâtres, et des lessiveuses où autres linceuls couverts de sang sont purifiés, puis la chapelle où est célébré le culte et qui jouxte deux cellules de moines superposées. Le deuxième acte se déploie d’abord sur un plateau vide pourvu d’un matériel de généticien fou puis dans un jardin pentu non pas enchanté mais glacial et monstrueux de filles-maïs aux seins et aux vulves saturés de désir réparties sur de froids gradins. Le tour monumental des décors des actes I et III n’est rien, comparé à la saisissante nudité du plateau servant de cadre à l’époustouflant duo Kundry/Parsifal, moment le plus réussi de cette production.

Richard Wagner (1813-1883), Parsifal. Photo : (c) Emilie Bouchot/OnP

Contrairement à Philippe Jordan, qui avait donné une impulsion très tendue et dramatique avec des tempi particulièrement enlevés, Simone Young fluidifie le discours, retrouvant sans les étirer la conformité des timings qui se situent ici dans la moyenne, le premier acte durant un quart d’heure de plus que celui de Jordan, et un autre quart d’heure de plus dans le deuxième acte, soit une grande demie heure au total. Ce n’en est pas pour autant que le temps semble suspendu avec la cheffe australienne. Claire, onctueuse, sa conception emporte l’adhésion tant elle suscite une fluidité envoûtante de l’orchestre, des harmonies à la fois fusionnelles et aérées, chaque pupitre jouant ses lignes telles de la musique de chambre.

Richard Wagner (1813-1883), Parsifal. Photo : (c) Emilie Bouchot/OnP

A l’exception du Titurel de Reinhard Hagen, dont la voix diffusée par des enceintes acoustiques est clairement enregistrée, la distribution est entièrement renouvelée. Marina Prudenskaya est une Kundry de grande beauté, à la voix rayonnante et souple, magistralement conduite jusqu’à l’intensité de la tenue des cris les plus déchirants de la fin de son monologue du deuxième actes. Brian Mulligan est un Amfortas bouleversant jusque dans sa vulnérabilité vocale accomplie, Kwangchul Youn est un Gurnemanz endurant mais fragile, manquant d’épaisseur et de profondeur vocale, et de noblesse qui faisaient la force des grands Gurnemanz finlandais Martti Talvela et autre Matti Salminen, Simon O’Neil est un Parsifal vaillant et nuancé, incarnant avec naturel l’évolution du personnage, surtout celui du premier acte parfaitement enfantin, Falk Struckmann excelle en Klingsor… Les Chœurs de l’Opéra de Paris sont plus en place qu’il y a deux ans, atteignant une réelle homogénéité.

Bruno Serrou

Jusqu’au 12 juin 2022

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