mardi 17 mai 2022

Retour à l’Opéra Bastille d’Elektra de R. Strauss de Robert Carsen embrasée par la direction rutilante de Semyon Bychkov et l’incandescente Electre de Christine Goerke

Paris. Opéra de Paris-Bastille. Lundi 16 mai 2022

Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Bruno Serrou

L’Opéra de Paris-Bastille reprend judicieusement la remarquable production d’Elektra de Richard Strauss que Robert Carsen avait conçue pour le Festival du Mai Musical Florentin 2008.

Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Emilie Brouchon/Opéra national de Paris

A l’Opéra de Paris, le drame des Atrides se déroule dans le théâtre entier. Révélant ce qu’éprouve chacun des protagonistes, l’Orchestre de l’Opéra est d’une ardente voluptuosité, répondant avec allégresse à la moindre sollicitation de Semyon Bychkov, qui, avec une expressivité de braise, suscite des fortissimos flamboyants, mais aussi des moments de grâce oniriques renversants, un sens aigu de la métaphore sur lesquelles les musiciens rebondissent avec délectation, attisant des couleurs d’une ductilité et d’une sensualité enivrantes. Il faut dire que Bychkov excelle dans la musique de Richard Strauss. C’est avec elle qu’il s’était produit pour la première fois à la tête de l’Orchestre de Paris au Festival d’Aix-en-Provence dans le Chevalier à la rose en juillet 1989 avant d’en être nommé chef titulaire, et pour sa pénultième apparition en tant que directeur musical de l'Orcherstre de Paris, en mai 1998 Salle Pleyel avec une Elektra de feu…

Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Charles Dupart/Opéra national de Paris

Neuf ans après sa première apparition à Bastille, la mise en scène de Robert Carsen toujours aussi lisible et chorégraphique s’est dynamisée, prenant une tournure plus théâtrale, vivante, tragique. Ce spectacle à l’esthétique de belle facture se déroule dans un décor monumental de Michael Levine qu’il éclaire magnifiquement, un cylindre de béton aux parois suffocantes symbolisant à la fois la claustration et le granit brun de Mycènes. Au sol, une terre battue noire au milieu de laquelle une trappe d’où émergera le corps décharné d’Agamemnon tel un Christ sortant du tombeau, servira aussi de rampe d’accès pour les protagonistes aux appartements royaux. L’arrivée de la reine couverte d’une tenue de nuit blanche portée sur un grand lit blanc tel un linceul par des servantes est un grand moment, surtout lorsqu’il est renvoyé vers les dessous de scène. Mais l’idée force du spectacle est une Elektra reproduite vingt-quatre fois à la façon d’un jeu de miroirs par autant de coryphées calquant ses moindres faits et gestes, l’écrasant parfois sous leurs corps ou la portant tel un trophée. Avec une direction d’acteur plus travaillée et brûlante qu’en 2013, le metteur en scène canadien s’adonne au hiératique, les protagonistes s’avérant davantage comme des personnages de chair et de sang en lieu et place des allégories d’il y a neuf ans. Carsen évite la danse fatale finale et préserve sa conception de toute hystérie, faisant de Clytmnestre non pas un monstre mais une femme splendide éperdue, maître de son destin, tandis qu’Elektra semble rêver le sien, endormie au début comme à la fin de l’ouvrage. A noter aussi que tous les personnages sont vêtus de noir, à l'exception du couple meurtrier d’Agamemnon, Clytemnestre et Aegisth vêtus de blanc.

Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Charles Dupart/Opéra national de Paris

La distribution est splendide et de grande cohésion, sans le moindre point faible, tous les protagonistes passant la rampe de l’orchestre sans forcer, Bychkov s’avérant il est vrai constamment à l’écoute de ses chanteurs, veillant à ne jamais les couvrir. Moins féline et polymorphe qu’Evelyn Herlizius vue à la Monnaie de Bruxelles en janvier 2010 lors de sa prise de rôle avant de devenir la fascinante Electre de Chéreau, la soprano étatsunienne Christine Goerke est d’une musicalité ahurissante, ne forçant jamais sa voix, au point que l’on oublie un vibrato un peu large qui se resserre cependant peu à peu. Bien qu’annoncée « souffrante », la soprano sud-africaine Elza van den Heever est une Chrysothemis perdue mais énergique et spontanée, d’une incandescente sensualité, au timbre lumineux et à la ligne de chant d’une pureté absolue. Angela Denoke compose une Clytemnestre de grande beauté, à la voix somptueuse et au souffle infini. Une voix si belle que la soprano allemande en incarne un personnage plus humain et complexe que ce qu’en font les grandes sopranos dramatiques en fin de carrière à qui ce rôle est généralement dévolu. L’Egisthe du ténor de caractère allemand Gerhard Siegel excelle en folie et en vaillance. Oreste statufié par sa sœur, le baryton islandais Tomas Tomasson frémit de l’intérieur, brossant de sa voix noble mais fragile un personnage un peu froid et distant, ce qui amoindrit l’effet d’exaltation de la scène de la reconnaissance, que seule Elektra vit intensément. Les rôles secondaires sont fort bien distribués, avec Philippe Rouillon en percepteur d’Oreste, Stéphanie Loris en confidente de Clytemnestre, Marianne Croux en porteuse de traîne, Lucian Krasznec en jeune serviteur, Christian Tréguier en vieux serviteur, Madeleine Shaw en surveillante, et les onze servantes (Katharina Magiera, Florence Losseau, Marie-Luise Dressen, Sonja Saric et Lura Wilde, Sophie Claisse, Rocio Ruiz Cobarro, Caroline Bibas, Yasuko Arita, Ddaniela Entcheva et Caroline Petit). A noter également que le jeune et talentueux pianiste Tanguy de Williencourt est l’un des deux chefs de chant de la production.

Bruno Serrou

Opéra de Paris-Bastille, jusqu’au 1er juin 2022

 

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