Paris. Opéra de Paris-Bastille. Lundi 16 mai 2022
Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Bruno Serrou
L’Opéra de Paris-Bastille
reprend judicieusement la remarquable production d’Elektra de Richard Strauss que
Robert Carsen avait conçue pour le Festival du Mai Musical Florentin 2008.
Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Emilie Brouchon/Opéra national de Paris
A l’Opéra de Paris, le
drame des Atrides se déroule dans le théâtre entier. Révélant ce qu’éprouve
chacun des protagonistes, l’Orchestre de l’Opéra est d’une ardente voluptuosité,
répondant avec allégresse à la moindre sollicitation de Semyon Bychkov, qui,
avec une expressivité de braise, suscite des fortissimos flamboyants, mais
aussi des moments de grâce oniriques renversants, un sens aigu de la métaphore
sur lesquelles les musiciens rebondissent avec délectation, attisant des couleurs
d’une ductilité et d’une sensualité enivrantes. Il faut dire que Bychkov
excelle dans la musique de Richard Strauss. C’est avec elle qu’il s’était
produit pour la première fois à la tête de l’Orchestre de Paris au Festival d’Aix-en-Provence
dans le Chevalier à la rose en juillet 1989 avant
d’en être nommé chef titulaire, et pour sa pénultième apparition en tant que directeur musical de l'Orcherstre de Paris, en mai
1998 Salle Pleyel avec une Elektra de
feu…
Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Charles Dupart/Opéra national de Paris
Neuf ans après sa première apparition à Bastille, la mise
en scène de Robert Carsen toujours aussi lisible et chorégraphique s’est dynamisée, prenant une
tournure plus théâtrale, vivante, tragique. Ce spectacle à l’esthétique de
belle facture se déroule dans un décor monumental de Michael Levine qu’il
éclaire magnifiquement, un cylindre de béton aux parois
suffocantes symbolisant à la fois la claustration et le granit brun de Mycènes.
Au sol, une terre battue noire au milieu de laquelle une trappe d’où émergera
le corps décharné d’Agamemnon tel un Christ sortant du tombeau, servira aussi
de rampe d’accès pour les protagonistes aux appartements royaux. L’arrivée de
la reine couverte d’une tenue de nuit blanche portée sur un grand lit blanc tel
un linceul par des servantes est un grand moment, surtout lorsqu’il est renvoyé
vers les dessous de scène. Mais l’idée force du spectacle est une Elektra
reproduite vingt-quatre fois à la façon d’un jeu de miroirs par autant de
coryphées calquant ses moindres faits et gestes, l’écrasant parfois sous leurs
corps ou la portant tel un trophée. Avec
une direction d’acteur plus travaillée et brûlante qu’en 2013, le metteur en
scène canadien s’adonne au hiératique, les protagonistes s’avérant davantage comme
des personnages de chair et de sang en lieu et place des allégories d’il y a
neuf ans. Carsen évite la danse fatale finale et préserve sa conception de
toute hystérie, faisant de Clytmnestre non pas un monstre mais une femme splendide
éperdue, maître de son destin, tandis qu’Elektra semble rêver le sien, endormie
au début comme à la fin de l’ouvrage. A noter aussi que tous les personnages
sont vêtus de noir, à l'exception du couple meurtrier d’Agamemnon, Clytemnestre
et Aegisth vêtus de blanc.
Richard Strauss (1864-1949), Elektra. Production de Robert Carsen. Photo : (c) Charles Dupart/Opéra national de Paris
La distribution est splendide et de grande cohésion,
sans le moindre point faible, tous les protagonistes passant la rampe de l’orchestre
sans forcer, Bychkov s’avérant il est vrai constamment à l’écoute de ses
chanteurs, veillant à ne jamais les couvrir. Moins féline et polymorphe qu’Evelyn
Herlizius vue à la Monnaie de Bruxelles en janvier 2010 lors de
sa prise de rôle avant de devenir la fascinante Electre de Chéreau, la soprano
étatsunienne Christine Goerke est d’une musicalité ahurissante, ne forçant
jamais sa voix, au point que l’on oublie un vibrato un peu large qui se
resserre cependant peu à peu. Bien qu’annoncée
« souffrante », la soprano sud-africaine Elza van den Heever est une Chrysothemis
perdue mais énergique et spontanée, d’une incandescente sensualité, au
timbre lumineux et à la ligne de chant d’une pureté absolue. Angela Denoke
compose une Clytemnestre de grande beauté, à la voix somptueuse et au souffle infini.
Une voix si belle que la soprano allemande en incarne un personnage plus humain
et complexe que ce qu’en font les grandes sopranos dramatiques en fin de
carrière à qui ce rôle est généralement dévolu. L’Egisthe du ténor de caractère
allemand Gerhard Siegel excelle en folie et en vaillance. Oreste statufié par sa sœur, le baryton islandais Tomas
Tomasson frémit de l’intérieur, brossant de sa voix noble mais fragile un
personnage un peu froid et distant, ce qui amoindrit l’effet d’exaltation de la
scène de la reconnaissance, que seule Elektra vit intensément. Les rôles
secondaires sont fort bien distribués, avec Philippe Rouillon en percepteur d’Oreste,
Stéphanie Loris en confidente de Clytemnestre, Marianne Croux en porteuse de
traîne, Lucian Krasznec en jeune serviteur, Christian Tréguier en vieux
serviteur, Madeleine Shaw en surveillante, et les onze servantes (Katharina
Magiera, Florence Losseau, Marie-Luise Dressen, Sonja Saric et Lura Wilde,
Sophie Claisse, Rocio Ruiz Cobarro, Caroline Bibas, Yasuko Arita, Ddaniela
Entcheva et Caroline Petit). A noter également que le jeune et talentueux
pianiste Tanguy de Williencourt est l’un des deux chefs de chant de la
production.
Bruno Serrou
Opéra de Paris-Bastille, jusqu’au 1er juin 2022
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