lundi 2 mai 2022

Avec "Fin de partie", son opéra-testament, György Kurtág signe à 90 ans un pur joyau

Paris, Opéra de Paris, Palais Garnier. Samedi 30 avril 2022

György Kurtág (né en 1926), Fin de partie. Leigh Melrose (Clov), Frode Olsen (Hamm). Photo : (c) Ruth Walz

L’Opéra de Paris crée l’événement en programmant en création française l’unique opéra de l’un des plus grands compositeurs vivants, le Hongrois György Kurtág, cadet de trois ans de son compatriote György Ligeti, lui aussi auteur d’un seul opéra, Le grand macabre d’après Ghelderode.

György Kurtág  (né en 1926), Fin de partie. Frode Olsen (Hamm), Leigh Melrose (Clov). Photo : (c) Ruth Walz

Fin de partie d’après la pièce éponyme de Samuel Beckett a été conçu par György Kurtág en 2016 par un compositeur nonagénaire, et créé à la Scala de Milan en 2018 sous le titre Samuel Beckett : Fin de partie – Scènes et monologues. Ce « coup d’essai » est une œuvre-testament véritable « coup de maître » au même titre que Falstaff de Verdi, qui faisait ses adieux à l’opéra à 80 ans avec cet ouvrage comique, ou plus près de nous du New-Yorkais Elliott Carter (1908-2012), qui, avec What Next en 1997, signait à 90 ans son seul opéra, mais en plus court. 


György Kurtág (né en 1926), Fin de partie. Hilary Summers (Nell), Leonardo Cortellazzi (Nagg). Photo : (c) Ruth Walz

Révélé par Pierre Boulez qui inscrivit son opus magnum, Messages de feu Demoiselle R. V. Troussova composé en 1980 pour soprano et petit orchestre au répertoire de l’Ensemble Intercontemporain, György Kurtág est considéré depuis la disparition de György Ligeti en 2006 comme le grand compositeur hongrois de sa génération. Né à Lugos (Transylvanie) en 1926, trois ans après Ligeti, Kurtág ne cesse dans ses partitions, courtes et denses, de rendre hommage à des artistes, des amis et relations. La création de ce virtuose de la petite forme et de l’épure n’est pas sans évoquer celle d’Anton Webern. Elève de Léo Weiner, Sándor Veress et Ferenc Farkas à l’Académie Franz Liszt de Budapest, où il enseigne de 1967 à 1986, il a également suivi les cours d’Olivier Messiaen et de Darius Milhaud au Conservatoire de Paris, tout en s’initiant aux techniques de la Seconde Ecole de Vienne en assistant aux concerts du Domaine musical de Pierre Boulez.

György Kurtág (né en 1926), Fin de partie. Leigh Melrose (Clov), Frode Olsen (Hamm). Photo : (c) Ruth Walz

György Kurtág a réussi là où Pierre Boulez a échoué quand il envisageait un opéra tiré d’En attendant Godot du même auteur en adaptant lui-même une autre de ses pièces emblématiques, Fin de Partie, créée à Londres en 1957. S’il est une langue difficile à mettre en musique tant elle est elle-même musique, c’est celle de Beckett, lui-même musicien et excellent pianiste amateur. Si bien qu’il refusait qu’un compositeur intervienne dans ses pièces et s’en empare, tout en rêvant néanmoins de voir l’un de ses textes inspirer de la musique pure. Pourtant, à l’écoute de l’opéra de Kurtág, il esrt probable que Beckett serait revenu sur son a priori.

György Kurtág (né en 1926), Fin de partie. Frode Olsen (Hamm), Leigh Melrose (Clov). Photo : (c) Ruth Walz

Œuvre pointilliste admirablement orchestrée, et avec une écriture vocale d’une variété rare, mais à laquelle il ne manque que des interludes à l’instar de Debussy ou de Berg tant les changements de scène à rideau fermé s’avèrent fastidieux, ce spectacle de deux heures met en valeur dès les premières mesures de la pantomime en anglais du début le rythme, le timbre vocal, les silences et jusqu’à l’humour propres au dramaturge irlando-français. Dirigés par un chef exceptionnel, l’Allemand Markus Stenz au geste précis d’une souplesse magistrale, magnifié par une indépendance des mains et des doigts phénoménale, les soixante-six musiciens de l’Orchestre de l’Opéra font des prouesses de virtuosité et de retenue. La distribution est exemplaire, avec Frode Olsen, inénarrable hémiplégique aveugle, Leigh Melrose, extraordinaire serviteur éclopé, Hilary Summers et Leonardo Cortellazzi, parents-troncs, animée par une direction d’acteurs au cordeau de Pierre Audi, qui conte dans un décor simple de maison et de cour délabrées de Christof Hetzer la fin de vie… sans fin d’un aveugle paraplégique (Hamm), de ses parents culs-de-jatte vivant dans une poubelle (Nell et Nagg) et de son serviteur souffre-douleur claudiquant (Clov), tous quatre s’exprimant en un excellent français.

Bruno Serrou

Paris, Opéra Garnier, jusqu’au 19 mai 2022. Rens. : 08.92.89.90.90. www.operadeparis.fr


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