jeudi 2 juin 2022

Richard Strauss, le Genwandhausorchester de Leipzig et Andris Nelsons dans tous leurs éclats

Paris. Philharmonie. Salle Boulez. Lundi 30 et mardi 31 mai 2022

Andris Nelsons dirige le Gewandhausorchester Leipzig. Photo : (c) Gewandhausorchester Leipzig

Entendre l’œuvre de Richard Strauss jouée par le Gewandhausorchester de Leipzig s’est avéré une expérience passionnante. En effet, le célèbre orchestre saxon est depuis toujours le rival de l’orchestre straussien par excellence d’un cité distante de cent vingt kilomètres, la Staatskapelle de Dresde, qui est aux deux Richard, Wagner et Strauss, ce qu’est Leipzig à Mendelssohn-Bartholdy et Schumann, sans parler de J.S. Bach…

Parallèlement à la publication d’un coffret Richard Strauss de sept CD (1) de musique d’orchestre avec les deux phalanges dont il est le chef titulaire, le Boston Symphony Orchestra et le Gewandhausorchester de Leipzig, Andris Nelsons a consacré deux programmes à Richard II (comme se présentait Richard Strauss lui-même en renvoyant à son aîné Richard I, Wagner) dans le cadre d’une tournée européenne qui s’achevait à la Philharmonie de Paris les deux premiers de cette semaine. L’orchestre étant en tournée, afin de faire participer tous les titulaires de l’orchestre, les pupitres ont changé pendant les entractes, non seulement les solistes mais aussi parmi les tuttistes.

A 43 ans, le chef letton, compatriote et disciple de l’immense Mariss Jansons disparu beaucoup trop tôt, excelle dans l’exécution des grandes fresques. La somptueuse formation saxonne, qui est aussi celle de l’Opéra de Leipzig, confirme sous sa direction sa position parmi les leaders dans la hiérarchie des plus grands orchestres symphoniques internationaux. L’écoute de Nelsons est immense et sa gestique économe, répondant en cela à l’un des dix commandements établis par Richard Strauss à l’intention de ses jeunes confrères, « ce n’est pas à toi de suer mais au public ». Nelsons donne quant à lui l’impression de laisser une grande latitude de liberté à ses musiciens, qui regardent cependant avec attention le moindre signe, le plus petit geste de sa part.

Ce qui fascine avec ce duo chef/orchestre est la plastique extraordinaire de la pâte sonore, la qualité fantastique des alliages de timbres, avec des instruments fort éloignés dans leurs sonorités qui parviennent à fusionner dans leurs couleurs et dans leur pâte au point que l’on ne distingue plus lequel conclut sa phrase et lequel prend le relais entre bois et cuivres, cuivres et cordes, cordes et bois, et au sein même de chaque famille entre les plus aigus et les plus graves. L’on goûte à tout instant la beauté inouïe de la phalange leipzigoise, dans le premier programme avec un Don Juan d’après Lenau de braise au sein duquel le duo d’amour saisit par sa bouleversante sensualité, tandis que le célèbre Also sprach Zarathustra (Ainsi parlait Zarathoustra) ouvert par de flamboyantes trompettes aux sonorités charnues de l’instrument à palettes, et conclu sur un pianissimo s’éteignant comme à regret jusqu’à un long silence, avec en son centre le merveilleux solo du Concertmaster, le tout emportant l’auditeur sur les cimes grâce à l’exceptionnelle onctuosité de la palette sonore d’une richesse et d’un diversité proprement prodigieuse. Entre les deux poèmes symphoniques était programmée la plus rare Burleske pour piano et orchestre, partition de jeunesse dans laquelle Strauss a eu l’ingénieuse idée d’exposer d’entrée le thème moteur, non pas au piano mais aux timbales et sur lequel repose l’œuvre entière et qui sert d’assise aux interventions du clavier. Magistral de simplicité virtuose, Rudolf Buchbinder en a exalté les sonorités éblouissantes de lumière et de puissance. En bis, le pianiste allemand a donné une transcendante paraphrase des Soirées de Vienne de Johann Strauss Jr.

Le second concert a été tout aussi remarquable. Le trop rare et pourtant somptueux et dramatique premier vrai poème symphonique de Richard Strauss, Macbeth d’après Shakespeare, a atteint l’auditeur tel un coup de poing dans l’estomac par sa violence exacerbée. Pour apaiser son public, Andris Nelsons a proposé l’une des Suites du « Rosenkavalier » réalisée par le compositeur dont il a proposé une interprétation flamboyante, au risque dans les tutti fortissimi de saturer l’espace au point de rendre impossible la distinction des voix de l’orchestre, mais donnant une pulsion dynamique et foisonnante aux valses et une poésie envoûtante à la transcription pour orchestre seul du trio final que l’on eut souhaitée sous cette forme aussi plus développée, à l’instar de ce que reprochait Pauline Strauss à son génial époux pour la forme originelle... Ce second concert s’achevait sur l’immense poème symphonique autobiographique Ein Heldenleben (Une Vie de Héros) à couper le souffle, éblouissante d’ardeur, de fougue, de tendresse, de brio et de brillant d’un orchestre de feu d’une fantastique ductilité.

Mais pour quelles raisons les salles n’ont-elles pas été combles ? Surtout, au nom de quoi nombre de spectateurs sont-ils partis le premier soir dès la fin de la prestation du pianiste allemand, qui remplaçait la pianiste chinoise Yuja Wang, sans attendre l’exécution de Zarathoustra, pourtant la plus populaire des partitions de Richard Strauss ?...

Bruno Serrou

1) 7 CD DG

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