Paris, Philharmonie, mercredi 25 mars 2015
Valery Gergiev. Photo : (c) Philharmonie de Paris
Après une première prestation en
février avec le London Symphony Orchestra, dont il est le Premier chef invité jusqu’en
2016 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/02/london-symphony-orchestra-et-valery.html)
suivie d’une deuxième début mars à la tête du Münchner Philharmoniker dont il
vient d’être nommé directeur musical (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/le-munchner-philharmoniker-dirige-par.html),
Valery Gergiev est revenu cette quatrième semaine de mars à la Philharmonie
avec l’orchestre dont il a fait la réputation, forgée en vingt-six ans à l’aune
de sa propre volonté pour qu’il puisse répondre précisément à sa conception du
son et du répertoire. Directeur artistique et musical du Théâtre Mariinsky de
Saint-Pétersbourg, il a fait de cette auguste institution fondée au début du XVIIIe
siècle l’une des plus grandes maisons d’opéra du monde, dépassant en réputation
et en exigence artistique son rival direct, le Théâtre Bolchoï de Moscou.
C’est avec un programme cent-pour-cent
russe, après un concert monographique consacré au russo-américain Serge
Rachmaninov, puis à Antonin Dvořák et Richard Strauss, Gergiev a
présenté pour sa troisième apparition dans cette salle un programme russe de
moins d’une heure (plus quarante minutes d’entracte sans doute dues en partie à
un fort contingent diplomatique dont les de limousines noires
aux plaques vertes « CD » encombraient l’esplanade de la Philharmonie
réservé aux piétons), centrée sur Modest Moussorgski.
Rodion Chtchedrine (né en 1932). Photo : DR
Néanmoins, la première pièce de
neuf minutes de durée, est caractéristique de l’esprit russe, sarcastique et d’un
humour grinçant et fataliste. A lui seul le titre vaut son pesant d’or : Concerto pour orchestre n° 1 « Couplets
polissons ». Cette œuvre est de Rodion Chtchedrine (né en 1932). Peu
joué en France, Chtchedrine a succédé à Dimitri Chostakovitch, son protecteur,
à la présidence de l’Union des compositeurs de la Fédération de Russie en 1973.
Pourtant, d’après Vladimir Spivakov, qui l’affirme dans un texte écrit en 2002,
si « Chtchedrine a présidé l’Union des compositeurs russes
toutes ces années, peu de gens savent le nombre de jeunes talents, réprouvés et
chassés par le pouvoir, qu’il a finalement soutenus »… Avec une célèbre danseuse
pour épouse, Maïa Mikhaïlovna Plissetskaïa, Chtchedrine ne pouvait que s’intéresser
au ballet auquel il a consacré cinq partitions, autant que d’opéras. Autre
centre d’intérêt, le music-hall, qui lui a inspiré une comédie musicale
japonaise… Tout cela se retrouve dans ses « Couplets
polissons » dont Guennadi Rojdestvenski a dirigé la création à la
Radio de Moscou en septembre 1963 dans le cadre du Festival Automne de
Varsovie. Il s’agit d’une musique
de foire associant en outre la musique afro-cubaine, le jazz façon George Gershwin
et la chanson-blague russe connue sous le nom tchastouchka. Dans cette pièce tonitruante et virtuose, le
compositeur use étonnamment de bruits blancs (cuivres frappant de la main sur
les embouchures), de cordes jouées avec l’archet frappant sur la touche avec le
bois, etc. Les musiciens de l’Orchestre du Théâtre Mariinsky se sont
donnés à fond dans ces pages qui permettent à tous les pupitres de s’illustrer soit
à tour de rôle, soit ensemble.
Anastasia Kalagina, Valery Gergiev et l'Orchestre du Théâtre Mariinsky à la Philharmonie. Photo : (c) Bruno Serrou
Modeste Moussorgski (1839-1881) a laissé fort peu d’œuvres achevées.
Parmi elles, trois cycles de mélodies. C’est le premier que Gergiev a retenu, les Enfantines composées en 1868-1872
sur des textes de Moussorgski lui-même. Dédiées à la voix et au piano, les six
mélodies de ce recueil, données dans leur version orchestrée, mais sans que
soit précisé dans la notice programme qui est l’auteur de cet arrangement -
serait-ce Rimski-Korsakov ? -, sont écrites sur des tirades d’enfant,
ponctuées de brèves interventions de la mère ou de la nourrice, puisées dans la
vie quotidienne. Chanteuse avenante sachant
se faire tour à tour puérile et mure avec sa voix tour à tour douce, chaleureuse
et colorée mais manquant légèrement de puissance, la soprano russe Anastasia
Kalagina est dans son élément naturel, son interprétation se faisant lumineuse
tout en restant dans le ton de la confidence.
Beaucoup
plus courus, autant au piano qu’à l’orchestre, les Tableaux d’une
exposition de Modeste Moussorgski ont
été proposés par Gergiev dans la somptueuse orchestration de Maurice Ravel. Cette
version coule de source, tant cette ample partition de trente-cinq minutes se
présente tel un grand poème pianistique en dix saynètes soudées par le superbe
thème russe richement harmonisé de la Promenade
qui se présente à quatre reprises dans le développement de la pièce. En fait de
piano, c’est bel et bien un orchestre symphonique entier que le compositeur
russe déploie dans son ouvrage sans équivalent dans le répertoire pour clavier,
tant l’évolution harmonique est riche et polymorphe, les résonnances infinies,
la palette sonore d’une richesse inouïe. Gergiev a donné de la version pour
orchestre de Ravel une lecture imposante et colorée, abordée par les musiciens
de sa phalange avec autant d’
avec des
sonorités acides et rudes, incroyablement timbrées, exaltant la diversité des
voix aux riches contrastes d’un l’orchestre pétersbourgeois extrêmement
contrasté et d’une solidité confondante, avec un saxophone et des bois chauds
et rêches, des cuivres incroyablement tannés, dont un tuba soliste fort
évocateur, le nuancier large et épanoui. Gergiev et ses musiciens chantent assurément
dans leur jardin. Mais il y manque la sensualité fruitée, la progression
dramatique que peut y mettre son confrère Marris Jansons.
Bruno
Serrou
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