Paris, Philharmonie, lundi 9 mars 2015
Münchner Philharmoniker à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
Deux semaines après un premier
concert à la tête du London Symphony Orchestra, dont il est le chef principal
depuis 2007 et jusqu’en 2017, année de la prise de fonction de Sir Simon Rattle
comme directeur musical du LSO, la Philharmonie de Paris a reçu Valery Gergiev
avec le Münchner Philharmoniker (Orchestre Philharmonique de Munich) dont il
prend en main la destinée à partir de la saison prochaine. Une nomination qui
aura suscité quelques remous outre Rhin, en raison des prises de position
politico-sociétales du chef russe qui ne plaisent pas à tout le monde en Allemagne.
Il succèdera donc dans quelques mois à Lorin Maazel, qui en a été le chef
principal de 2012 jusqu’au printemps 2014, peu avant sa mort le 13 juillet
(voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/07/lorin-maazel-est-mort-dimanche-13.html).
Valery Gergiev. Photo : DR
Moins célèbre que le Symphonieorchester
des Bayerischen Rundfunks (Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise)
dont Maazel a également été le directeur musical de 1993 à 2002, le Münchner
Philharmoniker est le plus ancien orchestre symphonique de la capitale de Bavière,
puisqu’il a été fondé en 1893, soit plus d’un demi-siècle avant celui de la
Radio Bavaroise. Il a créé un grand nombre de partitions, dont les Quatrième et Huitième Symphonies de Mahler ainsi que son Chant de la Terre et Camminantes…
Ayacucho de Luigi Nono.
Sol Gabetta, Valery Gergiev et le Münchner Philharmoniker. Photo : (c) Philharmonie de Paris
C’est étonnamment sur le Concerto pour violoncelle et orchestre en si
mineur op. 104 B. 191 d’Antonin
Dvořák que s’est ouvert le concert de lundi. Mais
si Maazel a enregistré une seule fois cette œuvre, avec Yo-Yo Ma comme
violoncelle solo, version qui ne suscite guère l’attention, la soliste invitée
par Gergiev, la Franco-Argentine vivant à Bâle Sol Gabetta, avait su susciter l’intérêt
du chef américain, au point que ce dernier a tenu à enregistrer le Premier Concerto pour violoncelle op. 107 de Dimitri Chostakovitch pour le
label Sony. Dans ce monument concertant, sorte d’Himalaya du violoncelle, le jeu
flamboyant mais d’une limpidité exemplaire de Sol Gabetta, les sonorités
ouatées et charnelles de son violoncelle G.B. Guadagini de 1759, qui manque
néanmoins de puissance - phénomène qui m’est apparu plus prégnant de la place
que j’occupais que Salle Pleyel la saison dernière avec l’Orchestre de Paris, dans
un concerto de Haydn il est vrai -, se sont épanouies dans l’enceinte de la
Philharmonie malgré un orchestre que Gergiev a incité à s’exprimer sans
retenue, faisant ainsi de cette œuvre non plus un concerto mais une symphonie
concertante avec violoncelle obligé.
Sol Gabetta jouant la page de Vasks. Photo : (c) Bruno Serrou
L’ampleur et la luxuriance du son de la
phalange bavaroise instillent au concerto une nostalgie plus brahmsienne que
bohémienne pourtant caractéristique de Dvořák, le
chef russe se montrant étonnamment hermétique à la mélancolie tchèque pourtant
clairement exprimée par le compositeur pragois composant loin de sa terre
natale, alors qu’il vivait encore à New York, avant de peaufiner son concerto
une fois de retour au pays. Comme à Pleyel encore, Sol Gabetta a donné en bis
le deuxième mouvement de Gramata Cellam
(le Livre) pour violoncelle et voix
du compositeur letton Peteris Vasks (né en 1946), avant de s’éclipser avec un
large sourire aux lèvres.
Valery Gergiev et le Münchner Philharmoniker à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
Si l’on pouvait se demander
pourquoi donc Dvořák en ouverture de
programme dans cet hommage à Lorin Maazel, le choix de deux poèmes symphoniques
de Richard Strauss était des plus naturels. L’on sait en effet les affinités du
chef américain pour la musique du compositeur bavarois, grâce notamment à de remarquables
enregistrements de plusieurs poèmes symphoniques du compositeur bavarois, dont Macbeth et Ainsi parlait Zarathoustra avec les Wiener Philharmoniker chez DG, et
Till l’espiègle avec l’Orchestre
Symphonique de la Radio Bavaroise chez Sony/RCA Red Seal. De façon pleinement
justifiée, c’est sur ces deux derniers Tondichtung
que Valery Gergiev a porté son dévolu. Le chef russe est pourtant loin d’en
avoir saisi toutes les subtilités, à en croire du moins ce qu’il a donné à
entendre lundi. Commencée avec l’énergie nécessaire, mais gommant le crescendo
qui sourd du centre de la terre pour éclater au grand jour et partir en fusion
happé par le soleil, Gergiev la faisant quasi d’entrée sonner de façon
tonitruante, la célèbre introduction d’Also
sprach Zarathustra popularisée par
Stanley Kubrick s’est déroulée à un rythme frénétique proche de l’asphyxie, avant
que l’œuvre ne se déploie en une course tempétueuse, à peine entrecoupée de courtes
plages plus apaisées, Gergiev détournant la gourmande sensualité straussienne
pour la tirer vers une épopée russe dans l’esprit de Rimski-Korsakov, compositeur
pourtant abhorré par Richard Strauss. Mêmes impressions de lourdeur et de premier
degré dans Till Eulenspiegels lustige
Streiche op. 28 (Les
joyeuses facéties de Till l'espiègle, d’après l’ancien conte flamand) qui
se situe entre Mort et transfiguration
et Ainsi parlait Zarathoustra. Le gai
luron dépeint par ce rondeau qui peint le personnage principal et narre ses
aventures, suscite une extrême virtuosité nécessitant un très grand orchestre,
ce qui est bien évidemment le cas ici, avec le Münchner Philharmoniker. Mais
Gergiev dessine ici un être plus narquois et un peu balourd qu’espiègle et vif
d’esprit. Pourtant, ces deux œuvres remarquablement orchestrées par un maître
en la matière ont permis de goûter la magnificence des pupitres solistes et des
tutti de la phalange de la capitale de Bavière, du premier violon au timbalier
en passant par les premiers alto, violoncelle, contrebasse, piccolo, flûte, hautbois,
cor anglais, basson, petite clarinette, clarinette, clarinette basse, basson,
contrebasson, cor, trompette, trombone, tuba, percussion (dont une superbe
cloche d’église).
Notons que Sol Gabetta vient de publier chez Sony Classical un très beau disque avec le pianiste Bertrand Chamayou titré The Chopin Album (Sony Classical 88843093012) et, pour les
inconditionnels de Valery Gergiev, que le prochain concert du chef russe à la Philharmonie est
fixé d’ici à dans deux semaines, le jeudi 26 mars 2015, avec le Mariinsky
Stradivarius Ensemble, le pianiste Denis Matsuev et le trompettiste Timur
Martynov (Grieg/Chostakovitch/Tchaïkovski).
Bruno Serrou
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