Fontainebleau, Théâtre municipal, samedi 7 mars 2015
Jean-Pierre Drouet, Michel Pozmanter, Abdul Alafrez, Nomos ensemble de violoncelles. Photo : (c) Bruno Serrou
Il est bien agréable de pouvoir
assister à un concert à quelques minutes de chez soi. Voilà en tout cas trop
longtemps que cela ne m’était pas arrivé. C’est en effet dans le charmant
Théâtre municipal de Fontainebleau au style néobaroque qu’était présenté un
concert de musique contemporaine devant un parterre quasi plein. Ce théâtre a
mis en résidence Nomos ensemble de violoncelles, qui célèbre cette année ses
dix ans, et le compositeur percussionniste Jean-Pierre Drouet.
Photo : (c) Bruno Serrou
Créé en 2005 sous l’impulsion du
violoncelliste Christophe Roy, son directeur artistique qui lui a donné son nom en hommage à la somptueuse pièce pour violoncelle solo Nomos Alpha d'Iannis Xenakis dont il est l'un des plus grands interprètes, dirigé par Michel
Pozmanter, Nomos ensemble de violoncelles est, comme son nom l’indique - qui
vient du titre de la pièce éponyme d’Iannis Xenakis pour violoncelle seul dont
Roy est le champion -, uniquement constitué de violoncellistes, qui sont au
nombre de quatorze. Une telle formation engendre bien évidemment des sonorités
charnues et au large ambitus. Tant et si bien que l’ensemble n’a aucune
difficulté pour susciter des œuvres nouvelles, d’autant que ses membres sont
particulièrement aguerris dans le domaine de la création la plus ambitieuse,
avec ou sans électronique, non seulement musicale mais aussi dans les domaines
de l’image, de l’architecture et des arts plastiques.
Abdul Alafrez, Nomos ensemble de violoncelles et, à droite, Jean-Pierre Drouet. Photo : (c) Bruno Serrou
Nomos ensemble de violoncelles a
conçu un programme entièrement nouveau réunissant deux œuvres qui se présente en fait
comme un véritable spectacle sous le titre Nomos
raconte. L’épicentre est le compositeur percussionniste Jean-Pierre Drouet, qui aura 80 ans en octobre prochain, qui signe la première partie de la soirée, et l’arrangement pour
quatorze violoncellistes d’une partition particulièrement ludique de Mauricio
Kagel (1931-2008), qui correspond précisément à la personnalité facétieuse de
Drouet.
Jean-Pierre Drouet est l’un des musiciens les plus respectés dans le monde de la musique contemporaine. Son travail avec les percussions de Strasbourg et le percussionniste africain Adama Dramé, ou sa rencontre avec son complice Georges Aperghis, ont à jamais marqué les festivaliers. Né le 30 octobre 1935, il a été contraint de renoncer au piano à la suite d'un accident, et a choisi de se tourner vers la percussion puis vers la composition. Il étudie cette dernière avec René Leibowitz, Jean Barraqué et André Hodeir, part en tournée aux Etats-Unis avec Luciano Berio et Cathy Berberian, traîne dans les clubs de jazz, cherche la musique dans de multiples directions : création de nombreuses œuvres contemporaines (Luciano Berio, Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, etc.), étudie les musiques extra-européennes (zarb perse, tabla indiens), improvise en solo ou avec des amis (Fred Frith, Vinko Globokar, Michel Portal, Louis Sclavis, Henri Texier…). Il compose pour l’opéra (Grand-Théâtre de Bordeaux), théâtre (Jean-Louis Barrault, Jean-François Régy), la danse (Brigitte Lefèvre, Théâtre du Silence, Jean-Claude Gallotta, Farber, Aubin), le concert (Atem, Ensemble Aleph, Festival Musica, 38e Rugissants, Orchestre de Paris). Le théâtre musical, qu’il découvre à travers de nombreuses collaborations avec Mauricio Kagel et Georges Aperghis, le conduit à une pratique de la scène où il rencontre notamment les machines musicales de Claudine Brahem, compose des musiques pour les hommes-chevaux de Bartabas, et l’univers inclassable du chorégraphe François Verret.
Jean-Pierre Drouet (né en 1935). Photo : DR
Jean-Pierre Drouet est l’un des musiciens les plus respectés dans le monde de la musique contemporaine. Son travail avec les percussions de Strasbourg et le percussionniste africain Adama Dramé, ou sa rencontre avec son complice Georges Aperghis, ont à jamais marqué les festivaliers. Né le 30 octobre 1935, il a été contraint de renoncer au piano à la suite d'un accident, et a choisi de se tourner vers la percussion puis vers la composition. Il étudie cette dernière avec René Leibowitz, Jean Barraqué et André Hodeir, part en tournée aux Etats-Unis avec Luciano Berio et Cathy Berberian, traîne dans les clubs de jazz, cherche la musique dans de multiples directions : création de nombreuses œuvres contemporaines (Luciano Berio, Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, etc.), étudie les musiques extra-européennes (zarb perse, tabla indiens), improvise en solo ou avec des amis (Fred Frith, Vinko Globokar, Michel Portal, Louis Sclavis, Henri Texier…). Il compose pour l’opéra (Grand-Théâtre de Bordeaux), théâtre (Jean-Louis Barrault, Jean-François Régy), la danse (Brigitte Lefèvre, Théâtre du Silence, Jean-Claude Gallotta, Farber, Aubin), le concert (Atem, Ensemble Aleph, Festival Musica, 38e Rugissants, Orchestre de Paris). Le théâtre musical, qu’il découvre à travers de nombreuses collaborations avec Mauricio Kagel et Georges Aperghis, le conduit à une pratique de la scène où il rencontre notamment les machines musicales de Claudine Brahem, compose des musiques pour les hommes-chevaux de Bartabas, et l’univers inclassable du chorégraphe François Verret.
Michel Pozmanter, Jean-Pierre Drouet (percussion) et Nomos ensemble de violoncelles. Photo : (c) Bruno Serrou
Jean-Pierre Drouet et Christophe
Roy étaient des interprètes favoris de Mauricio Kagel. De leur commune collaboration
suivie avec le compositeur argentin a émergé l’idée de ce spectacle en deux
parties dans lequel ils opposent l’univers de Drouet, celui de la magie
blanche, du music-hall et du cirque, à celui de Kagel, fait de magie noire et
de tradition orale autour du Diable et de ses multiples aspects. Dans Le goût des plumes, Drouet s’inspire de
la tradition orientale qu’il a puisée dans un conte qui lui a été transmis
voilà une quarantaine d’années au cours de l’un de ses très nombreux séjours en
Orient. Il y mêle théâtre, musique et magie avec un humour chaleureux propre au
clown triste qu’est le compositeur, qui joue de percussions en bois au milieu
des violoncelles qui l’entourent en arc de cercle, face au public, contant l’histoire
de deux oiseaux, l’un merveilleusement coloré, l’autre noir, campé par le
magicien Abdul Alafrez, qui virevolte autour des violoncellistes.
Mauricio Kagel (1931-2008) au milieu de son jardin instrumental. Photo : DR
La seconde partie de soirée est
occupée par une œuvre emblématique de Mauricio Kagel, la Tradition orale, où se manifeste pleinement la fine ironie du
compositeur argentin. Cette « ballade ethnique » d’après les Evangiles du Diable selon la croyance
populaire recueillis par Claude Seignolle dans les légendes et comptes
rendus de procès en sorcellerie composée en 1981-1983 sous le titre Der mündliche Verrat, repose sur la
tradition démoniaque dans la culture occidentale sous ses divers aspects, naïfs
ou savants, grotesques ou inquiétants, la beauté de ses apparitions et la force
des situations qu’elle fait surgir. Kagel renoue avec la fantaisie qui lui est
coutumière avec la conception de l’art comme magie, de l’esthétique comme analogie,
racontant avec des histoires sans âge où les mots et les sons retentissaient
comme par magie pour transformer la réalité. Originellement conçue pour trois
voix non spécifiées (récitants-chanteurs), un tuba, trois percussionnistes, un piano/orgue
électrique, un violon/alto, une contrebasse, instruments et claviers
électroniques - d’autres formations peuvent être utilisées, associant notamment
saxophone, guitare, harpe, etc. -, la Tradition
orale a été arrangée pour douze violoncelles et un magicien par Jean-Pierre
Drouet, qui n’a en rien trahi Mauricio Kagel, puisqu’il en a respecté les
lignes de force et l’esprit. C’est d’ailleurs tandis qu’il travaillait sur l’arrangement
de cette œuvre pour douze violoncelles et magicien que Drouet a eu l’idée de
compléter la soirée avec une pièce entièrement née de sa main, Le Goût des plumes.
Photo : (c) Bruno Serrou
Ainsi, comme c’est souvent la cas
chez Kagel, les instrumentistes sont également comédiens et chanteurs. Mis en scène et éclairés par Jean Grison, ils viennent à
tour de rôle ou en binômes sur le devant de la scène avec leur instrument,
conversant entre eux ou avec les divers personnages campés par Abdul Alafrez, qui
les titille et les rabroue, et le facétieux chef d’orchestre, Michel Pozmanter,
au crâne garni des cornes du diable plantées sur une volumineuse touffe de
cheveux frisés, jouant de nombreuses allusions sur les croyances populaires
chrétiennes et sur des propos anticléricaux avec un gouaille communicative auxquelles
le public a pris un évident plaisir. A l’instar des treize musiciens de l’ensemble
Nomos (Frédérique Aronica, Clément Biehler, Stéphane Bonneau, Eglantine
Chaffin, Lucie Chevillard, Nathalie Jacquet, Naomi Mabanda, Anaïs Moreau,
Martina Rodriguez, Emilie Rose, Christophe Roy, Philippe Straszewski et Anouk
Viné), tous merveilleux violoncellistes, de leur chef et du magicien aux tours insolites
qui non seulement ont tous rivalisé de virtuosité, mais ont aussi usé de leurs
corps et de leurs voix avec un naturel confondant, trahissant ainsi un plaisir
de jouer singulièrement particulièrement communicatif. Les enfants, qui étaient
venus en nombre accompagnés de parents, se sont laissés de bon gré porter par
ces histoires musicales tendrement moqueuses et d’une riche musicalité.
Bruno Serrou
Prochaines représentations : les 17 mars à Evry-Essone (Théâtre de l'Agora), 17 mai à Vendoeuvre-lès-Nancy (Centre Culturel André Malraux), 29 mai à Beauvais dans le cadre du Festival de violoncelle de Beauvais (Théâtre de Beauvais) et 8 juillet Théâtre de Cluny
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