Paris, Opéra Bastille, mardi 11 mars 2014
Deux jours après la disparition
de Gérard Mortier, son prédécesseur à la tête de l’Opéra de Paris, son actuel
directeur, Nicolas Joël, lui rendait hier hommage avant le lever de rideau,
au nom « de la direction de l’Opéra de Paris et de son personnel », avant
la première représentation de la Flûte
enchantée, un ouvrage que Mortier
avait présenté dans une mise en scène du collectif catalan La Fura del Baus
provoquant l’ire du public et de la critique, qui suspectaient le spectacle d’être
un produit marketing fruit d’une haute trahison. A l’instar de cette Flûte enchantée présentée en janvier 2005
à Bastille, mais conçue en 2003 pour le Festival Ruhr Triennale créé et dirigé par
Mortier, celle proposée depuis hier dans cette même salle trop volumineuse pour
une œuvre du XVIIIe siècle provient du Festspielhaus de Baden-Baden
où elle a été créée voilà tout juste un an, en partenariat il est vrai avec l’Opéra
de Paris.
Plus respectueuse des intentions
des auteurs du plus fameux des opéras de Mozart et de son librettiste Emanuel
Schikaneder, cette Flûte enchantée séduit
dès l’abord. Comme venue d’outre-tombe, avec ses fosses creusées dans l’herbe
fraîchement tondue d’une clairière, le spectacle de Robert Carsen, qui signe
ici sa seconde mise en scène de l’œuvre vingt ans après Aix-en-Provence, chasse
sur les terres d’Ingmar Bergman, qui avait fait, dans son beau film réalisé en
1974-1975 dans le Théâtre de Drottningholm, de la Reine de la Nuit et de son
entourage des êtres doués d’humanité tandis que Sarastro et ses adeptes devenaient
des personnages sectaires et impitoyables jusqu’à ce que la situation se
retourne au milieu du second acte, démontrant ainsi que l’humanité est tout
sauf manichéenne.
Mais à contrario du cinéaste
suédois, le dramaturge canadien respecte l’enchaînement des scènes. Avec les multiples
références que fait le livret, la mort est omniprésente dans la conception de
Carsen, avec des décors funèbres de Michael Levine et ces costumes noirs et blancs
de Petra Reinhardt, qui camoufle trop systématiquement les visages des
protagonistes sous des cagoules, le tout éclairé crument par Peter van Praet et
Robert Carsen avec pour seules tâches de couleurs une vidéo écolo de forêt réalisée
par Martin Eidenberger sur laquelle défilent les quatre saisons et les oiseaux ensorcelés
par Papageno.
Le premier acte se déroule pour l’essentiel
à l’air libre, trois tombes étant creusées sur le sol, l’une destinée à Tamino,
l’autre à Papageno, la troisième à Pamina, tandis que le second se passe sous
terre à la verticale de ces trois mêmes tombes. Aveuglés par des cagoules, affublés
de longs manteaux gris, Sarastro et ses initiés vivent dans des catacombes
auxquelles ils accèdent par de longues échelles et débouchant dans de noires
galeries. Ils précipitent Tamino dans une fosse fraîchement creusée où ce
dernier est attaqué par un énorme serpent. Il y est rejoint plus tard par
Pamina.
En robe de soirée, à l’instar de ses trois Dames qui manient le pistolet comme des tenancières de cabaret de western, et portant des lunettes noires façon diva, la Reine de la Nuit couvre Tamino d’attentions, lui fournissant les instruments nécessaires à sa quête, la flûte, et le glockenspiel qui sortent de la fosse d’orchestre, les trois garçons, etc. Sarastro ne s’y trompe pas, d’ailleurs, l’introduisant parmi les initiés et la faisant participer aux épreuves auxquelles Pamina est soumise, ce qui rend caduque la suggestion qu’elle fait à sa fille d’assassiner Sarastro et qui, de ce fait, devient un test que Pamina réussit en se refusant à passer à l’acte. Les épreuves se déroulent sous terre, au milieu de cercueils d’où surgit une Papagena momifiée vêtue d’une robe de mariée.
Mais « la mort c’est aussi la vie ». Cette dernière qui est donc aussi présente que la première, comme son équivalent positif, sinon sa supérieure, car elle serait plus forte avec l’amour que se portent le prince Tamino et Pamina, mais aussi par le singulier appétit de vie de Papageno qui apparaît pour la première fois dans la salle casquette à l’envers, sac au dos et glacière de pique-nique à la main, et qui n’a que faire de l’ésotérisme ne se préoccupant que des bienfaits de la nature, de l’amour et d’une éventuelle progéniture. D’ailleurs, Carsen use plusieurs fois de l’espace que lui offre le vaisseau Bastille, comme s’il voulait créer une proximité chanteurs/spectateurs impossible à envisager autrement dans une salle de deux mille sept cents places là où il la faudrait quatre fois plus petite. Cette pratique, toujours plus utilisée par les metteurs en scène d’opéra, Carsen l’avait déjà utilisée à Garnier, faisant assister la Comtesse de Capriccio depuis la salle, assise au milieu du public, au sextuor à cordes qui introduit l’ultime ouvrage scénique de Richard Strauss. Du coup, aussi surprenant que cela paraisse, la Flûte enchantée en devient plus proche encore du public.
En robe de soirée, à l’instar de ses trois Dames qui manient le pistolet comme des tenancières de cabaret de western, et portant des lunettes noires façon diva, la Reine de la Nuit couvre Tamino d’attentions, lui fournissant les instruments nécessaires à sa quête, la flûte, et le glockenspiel qui sortent de la fosse d’orchestre, les trois garçons, etc. Sarastro ne s’y trompe pas, d’ailleurs, l’introduisant parmi les initiés et la faisant participer aux épreuves auxquelles Pamina est soumise, ce qui rend caduque la suggestion qu’elle fait à sa fille d’assassiner Sarastro et qui, de ce fait, devient un test que Pamina réussit en se refusant à passer à l’acte. Les épreuves se déroulent sous terre, au milieu de cercueils d’où surgit une Papagena momifiée vêtue d’une robe de mariée.
Mais « la mort c’est aussi la vie ». Cette dernière qui est donc aussi présente que la première, comme son équivalent positif, sinon sa supérieure, car elle serait plus forte avec l’amour que se portent le prince Tamino et Pamina, mais aussi par le singulier appétit de vie de Papageno qui apparaît pour la première fois dans la salle casquette à l’envers, sac au dos et glacière de pique-nique à la main, et qui n’a que faire de l’ésotérisme ne se préoccupant que des bienfaits de la nature, de l’amour et d’une éventuelle progéniture. D’ailleurs, Carsen use plusieurs fois de l’espace que lui offre le vaisseau Bastille, comme s’il voulait créer une proximité chanteurs/spectateurs impossible à envisager autrement dans une salle de deux mille sept cents places là où il la faudrait quatre fois plus petite. Cette pratique, toujours plus utilisée par les metteurs en scène d’opéra, Carsen l’avait déjà utilisée à Garnier, faisant assister la Comtesse de Capriccio depuis la salle, assise au milieu du public, au sextuor à cordes qui introduit l’ultime ouvrage scénique de Richard Strauss. Du coup, aussi surprenant que cela paraisse, la Flûte enchantée en devient plus proche encore du public.
Animée par la vision colorée et
riche en allusions que le spectateur se plaît à identifier, la distribution
réunie pour cette Flûte enchantée s’avère
d’une grande cohérence. Julia Kleiter est une Pamina étincelante, d’autant plus
spontanée et troublante que la voix est charnue, lumineuse et déliée, Sabine
Devieilhe, qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris, est une Reine de la Nuit éblouissante
d’agilité et de naturel. La voix aux coloratures incroyablement maîtrisées est
belle et aérienne, la ligne flexible et sûre, le timbre pur, les aigus
rayonnants, et le potentiel est énorme, car elle peut indubitablement gagner en
épaisseur et en volume. Pavol Breslik est un élégant et subtil Tamino, Franz-Josef
Selig campe de sa voix égale de l’aigu de son registre jusqu’au grave le plus abyssal
un Sarastro impressionnant et magnanime, Daniel Schmutzhard un Papageno impulsif
et plein d’abatage - timbre et intonation renvoient à Hermann Prey. Les autres
rôles sont impeccablement tenus, des trois Dames (Eleonore Marguerre, Louise
Callinan, Wiebke Lehmkuhl) aux trois jeunes garçons (solistes des Aurelius Sängerknaben
Calw), en passant par Monostatos (François Piolino), l’Orateur (Terje Stensvold),
Papagena (Regula Mühlemann), et les deux hommes armés (Eric Huchet, Wenwei
Zhang).
Philippe Jordan anime le tout depuis
la fosse avec l’allant que suscite la partition de Mozart d’une énergie
vertigineuse et d’une poésie primesautière, occupant magistralement l’espace
sonore avec une constance qui rend une fois n’est pas coutume dans cette
musique d’une subtilité sans égale l’orchestre très présent et rutilant alors
que le chef suisse veille intelligemment à ne jamais couvrir les chanteurs. Particulièrement
actif et concerné par la direction d’acteur de Carsen et par la vision de Jordan,
le Chœur de l’Opéra de Paris s’est illustré tout au long de la représentation,
brillamment préparé par Patrick Marie Aubert.
Bruno Serrou
Photos : DR
Brillante « critique », Maestro. Sans concession comme d'habitude - ce trait que j'aime par dessus tout. L'expérience de l'âge, du passé récent, illustre avec précision cette production. Merci Bruno…
RépondreSupprimerBravo pour votre critique, extrêmement détaillée et très juste à mon avis. J'ai, quant à moi, été un peu déçue, le soir où j'ai assisté à la représentation, par certains airs, qui ne semblaient pas tout à fait calés. La direction de Philippe Jordan était cependant très précise. La scénographie, très belle, n'était cependant pas très inventive...
RépondreSupprimerhttp://lamaisonenverre.com/2014/03/16/la-flute-enchantee-de-robert-carsen-a-lopera-bastille-ou-la-fascination-de-la-mort/