Paris, Salle Pleyel, jeudi 6 mars 2014
Ingo Metzmacher. Photo : DR
Entre
deux volets du Ring de Richard Wagner
à Genève (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/03/avec-un-das-rheingold-onirique-ingo.html,
http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/11/ingo-metzmacher-et-dieter-dorn-donnent.html
et http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/02/ingo-metzmacher-et-dieter-dorn.html),
Inge Metzmacher est venu se « détendre » Salle Pleyel avec l’Orchestre
de Paris, qui n’en demandait pas tant au point de se retrouver dans le même
état d’esprit que le chef allemand dans un programme festif composé
exclusivement d’œuvres de compositeurs états-uniens emplies de rythmes fulgurants
puisés dans les musiques traditionnelles, du gospel, du jazz et des musiques
amérindiennes.
L'Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris, DR
C’est sur l’Ouverture cubaine de George Gershwin, page célèbre en Amérique mais
encore boudée en Europe, que se sont ouvertes les réjouissances post-carnavalesques,
suscitant allégresse et bonne humeur, avec cette percussion exotique luxuriante
comprenant maracas et bongos qui ont permis de mettre généreusement en avant
les percussionnistes de l’Orchestre de Paris qui s’en sont donné à cœur joie,
comme dans la totalité du programme qui allait suivre.
George Gershwin (1898-1937). Photo : DR
La clef de voûte du programme a été la
Symphonie n° 4 de Charles Ives qui a
suivi cette mise en bouche.
Composée
entre 1910 et 1916 et révisée au milieu des années 1920, cette œuvre de
trente-cinq minutes se caractérise par un effectif orchestral aux normes des
plus grandes pages orchestrales de Gustav Mahler, Richard Strauss et Arnold
Schönberg de ces années-là, réparti en deux groupes nécessitant pour sa mise en
place jusqu’à trois chefs d’orchestre afin de coordonner l’ensemble. Lors de sa
création en 1965 au Carnegie Hall de New York, onze ans après la mort de son
auteur, Leopold Stokowski était assisté par Jose
Serebrier et David Katz.
Charles Ives (1874-1954). Photo : (c) Schott Music, DR
L’écoute de cette symphonie n’est pas de tout repos pour l’oreille. L’effectif
instrumental est colossal, avec deux piccolos, trois flûtes, deux hautbois,
trois clarinettes, trois bassons, trois saxophones (alto, ténor, baryton),
quatre cors, six trompettes, deux cornets à pistons, quatre trombones, tuba, orgue,
célesta, harpe, trois pianos dont un soliste à l’avant-scène, dextrement tenu
hier par Romain Descharmes, un joué à quatre mains et un autre réglé en quarts
de ton, un orgue, huit percussionnistes jouant aussi dans les coulisses dans
les troisième et quatrième mouvements, les cordes en proportion, auxquels il
convient d’ajouter cinq violons, un alto et deux harpes placés au-dessus de l’orchestre.
Il faut associer au tout une partie vocale assurée par un grand chœur mixte dans
les premier, Prélude : Maestoso,
et quatrième mouvements, Very slowly - Largo maestoso, l’un hymnique l’autre
introspectif, ce dernier étant introduit par l’orchestre selon une écriture
type choral. A noter que dans le troisième mouvement, Fugue : Andante moderato, un superbe dialogue entre le
deuxième alto et le deuxième chef d’attaque des seconds violons placés chacun
au dernier pupitre de sa famille d’instruments dialoguant tendrement avec le
piano solo. Publié dès 1929 et comptant des pages parmi les plus téméraires et
porteuses d’avenir de l’histoire de la musique américaine, le caustique et
chaotique deuxième mouvement, Comedy :
Allegretto, est un impressionnant tuilage polyphonique dont la puissance
frise la cacophonie générale et nécessite la participation de deux chefs
supplémentaires Julien Masmondet, chef assistant de l'Orchestre de Paris, et Lionel Bord, basson de l’Orchestre
de Paris. La puissance qui résulte de ce morceau est telle qu’un certain nombre
d’instrumentistes de l’Orchestre de Paris se sont bouchés les oreilles assommés
par la vigueur des tutti. La mise en
place de Metzmacher, dirigeant posément et avec assurance des rythmes
foisonnants, a été magistrale. Sous sa direction précise, ferme et généreuse,
l’œuvre a sonné fier ménageant des contrastes saisissants qui ont scotché les auditeurs
au fond de leurs fauteuils, autant dans les passages les plus hallucinés que
dans les moments de poésie pure et de spiritualité intimiste, l’Orchestre de
Paris s’avérant à la fois polymorphe et soudé, exaltant toujours des sonorités
de bronze.
George Antheil (1900-1959). Photo : DR
C’est sur A Jazz Symphony pour
piano et orchestre de George Antheil, principalement connu en France par cette œuvre
seule, que l’Orchestre de Paris a lancé la seconde partie du concert, avec en
soliste Romain Descharmes. Cette œuvre brève qui tient davantage de la
rhapsodie que de la symphonie a été créée en 1927 au Carnegie Hall de New York
par un orchestre de jazz (d’où des effectifs réduits : cordes - 7-6-5-4-3
-, bois par deux sans hautbois ni basson, et, côté cuivres, pas davantage de
cors mais quatre trompettes et deux trombones), et donne la part belle à la
batterie et au marimba enrichis des timbales. Cette œuvre, qui rappelle en de
nombreux points la Création du monde
de Darius Milhaud, a été remarquablement servie par l’Orchestre de Paris, dont
les couleurs et la sensualité des timbres se sont avérées en parfaite osmose
avec le climat de cette pièce de huit minutes. Conquis par la prestation des
musiciens de l’orchestre et du soliste, Ingo Metzmacher s’est discrètement éclipsé
pour laisser Romain Descharmes et deux de ses brillants comparses de la section
percussion de l’Orchestre de Paris, Eric Sammut et Nicolas Martynciow, offrir au public un rutilant ragtime de
Scott Joplin pour piano, marimba et rappe métallique.
Leonard Bernstein (1918-1990) en 1955. Photo : DR
Les célébrissimes « Danses
symphonique », suite que Leonard Bernstein tira en 1960 de son West Side Story, ont réuni
pour conclure l’Orchestre de Paris au grand complet, mené par un chef qui sait remarquablement
swinguer, dansant au propre comme au figuré sur son estrade, gestes clairs, corps
extraordinairement mobile mais sans les excès d’un Bernstein, emportant dans un
même élan la phalange parisienne entière qui s’investit sans réserve dans cette
musique de feu, tutti et soli s’exprimant fièrement sans faiblir.
Emporté par le flamboyant flux sonore et rythmique ménagé par les interprètes,
une partie du public qui n’y tenait plus a tenté d’applaudir mais a été
aussitôt refrénée par un geste discret mais ferme de la main droite du chef qui
est resté face à l’orchestre pour lancer la douce mélopée finale de ces Danses aux accents nostalgiques et
graves confiée aux cordes, bois et quelques instruments à percussion.
Bruno Serrou
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