mercredi 17 avril 2013

Hänsel und Gretel de Humperdinck fait à Garnier une belle entrée au répertoire de l’Opéra de Paris dans une passionnante production de Claus Peter Flor et Mariame Clément



Paris, Opéra national de Paris, mardi 17 avril 2013

 
Enormément d’enfants, hier mardi veille de coupure de mi-semaine, dans l’enceinte du Palais Garnier. Elégamment vêtus et coiffés de près, tous étaient saisis par le décorum du théâtre Second Empire où ils mettaient pour la plupart pour la première fois les pieds, contemplant émerveillés les statues ornant l’immense vestibule, et effleurant le pied tendu des parques au bas du grand escalier. Ces enfants n’auront malheureusement pas pu découvrir le foyer de l’Opéra Garnier, fermé pour cause de réception…

Anne-Catherine Gilet (Gretel) et Daniela Sindram (Hänsel). Photo : (c) Opéra national de Paris Monica Rittershaus

Accompagnés de leurs parents, ils sont venus en nombre découvrir l’un des rares ouvrages lyriques directement écrits pour eux, reflet de leurs rêves et de leur quotidien voilà plus d’un siècle et dont le succès ne se dément pas depuis. Du moins dans les pays anglo-saxons. Car, en France, il est plutôt rare. Une unique production dans les deux dernières décennies dans sa forme originelle, celle de Christoph von Dohnanyi et Yannis Kokkos en novembre 1997. Cette production sera reprise trois ans plus tard dans ce même Théâtre du Châtelet avec une distribution légèrement différente et Philippe Jordan au pupitre. Puis plus rien depuis douze ans. Or, soudain, à quatre mois de distance, Paris se voit offrir deux productions nouvelles, l’Opéra de Paris l’inscrivant enfin à son répertoire en ce mois d’avril, après que La Péniche Opéra en eut donné une version française arrangée pour petit orchestre en décembre dernier (http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/01/hansel-und-gretel-de-humperdinck-pour.html).

Engelbert Humperdinck (1854-1921). Photo : DR

Comme je l’écrivais en janvier, longtemps confondu avec l’emprunt de son nom par une pop’ star britannique qui sévit dans les années 1960-1970, Engelbert Humperdinck (1854-1921) est l’auteur d’une œuvre qui reste confidentielle en France, où il a longtemps été considéré comme un simple épigone de Richard Wagner, qu’il rencontra en 1879 et dont il fut un proche au moment de la genèse de Parsifal, réalisant la réduction pour piano sous l’autorité de l’auteur. C’est avec le seul opéra Hänsel und Gretel qu’Engelbert Humperdinck - qui en signa pourtant sept autres, dont Königskinder exhumé au Festival de Radio France et de Montpellier par René Koering en 2005 -, est passé à la postérité. 

Jacob Ludwig (1785-1863) et Wilhelm Karl (1786-1859) Grimm

Le conte éponyme des frères Grimm qui s’inspire du Petit Poucet de Charles Perrault mis en musique par Humperdinck réjouit les publics de tout âge, dans tous les théâtres germaniques depuis plus d’un siècle, surtout au moment des fêtes de Noël. Richard Strauss, qui en a dirigé la création au Théâtre de Weimar le 23 décembre 1893 avec sa future épouse, Pauline de Ahna, dans le rôle de Gretel, révérait cet ouvrage qu’il jugeait « original, nouveau et vraiment allemand ». Même le critique viennois Eduard Hanslick, pourtant ennemi proclamé de Richard Wagner, concéda qu’il s’agissait-là de l’opéra allemand le plus significatif depuis Parsifal, créé onze ans plus tôt. Ainsi, cet opéra pour petits et grands forme-t-il à l’Opéra Garnier en cette année du bicentenaire du Sorcier de Bayreuth un contrepoint bienvenu avec l’Anneau du Nibelung, cycle de trois opéras précédés d’un prologue également pour grands enfants actuellement présenté à l’Opéra Bastille.

Composé à Francfort-sur-le-Main en 1891 sur un livret de la sœur du compositeur, Adelheid Wette, qui destinait son texte à ses propres enfants après l’avoir adapté d’un conte des frères Grimm, Hänsel und Gretel ordonnance avec brio des chants traditionnels allemands à une orchestration et des leitmotive d’essence wagnérienne qui évoquent surtout Siegfried et la « Scène de la forêt » dans le deuxième des trois tableaux, le Crépuscule des dieux et Parsifal. L’on retrouve d’ailleurs clairement de courtes citations de ces ouvrages. Le travail de la librettiste gomme l’aspect subversif du conte initial. Ainsi, là où chez les Grimm la mère décidait de perdre les enfants qu’elle jugeait impossibles dans la forêt pour se débarrasser de deux bouches inutiles à nourrir, ceux-ci s’y égayent dans l’opéra de leur propre chef en quête de quelques fraises des bois. Dans la version originale, utilisant la technique du Petit Poucet, Hänsel semait tout d’abord des cailloux pour retrouver le chemin de la maison, et c’est à la seconde tentative d’abandon de la mère que réussit Hänsel, qui n'avait pourtant trouvé que des miettes de pain à semer mais que les oiseaux ont dévoré. Dans l’adaptation de Humperdinck, les personnages sont tous charmants. Les enfants sont un peu turbulents mais légèrement capricieux, plus gourmands qu’affamés. Malgré leur jeune âge, fille et garçon sont déjà fondus dans leur rôle social, Gretel en coquette, Hänsel en héros, tous deux plus adultes qu’indociles. Les parents sont justes et sages, et ils ne s’irritent que lorsque leurs enfants font des bêtises, et regrettent vite les dangers qu’ils sont amenés à leur faire courir…

 Anne-Catherine Gilet (Gretel) et Daniela Sindram (Hänsel). Photo : (c) Opéra national de Paris Monica Rittershaus

Dans la mise en scène de Mariame Clément, l’intrigue est moins machiavélique et misérabiliste encore. A l’inverse de ce qu’elle a proposé à l’Opéra du Rhin en juin dernier dans le Chevalier à la rose de Richard Strauss qu’elle a placé sur le plateau d’un théâtre de tréteaux (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/strasbourg-marko-letonja-dirige-un.html), la metteuse en scène situe l’action de Hänsel und Gretel dans un appartement bourgeois, avec décors et costumes réalistes Biedermeier de la Vienne des faubourgs dessinés avec goût par Julia Hansen. Quatre cubes, deux côté jardin, le monde réel des adultes, deux côté cour, le monde onirique des enfants. Point non plus de maison de Grignote en pain d’épice, mais une énorme et affriolante religieuse couverte de crème et de fraises. Chacun de ces deux mondes voit s’activer parents et enfants. Comme dans un jeu de miroirs, les deux univers sont scindés au centre du plateau par une forêt plongée dans une nuit noire d’où émergera bientôt la citadelle pâtissière de la sorcière. L’action commence dès la première note de l’ouverture, où l’on voit à l’étage, à jardin, parents et enfants dans leur quotidien - mère faisant son tricot, père faisant ses comptes, fils faisant héroïquement ses devoirs, fille faisant la coquette -, jusqu’à ce que le père s’emporte, agacé par sa comptabilité. 

 Anne-Catherine Gilet (Gretel) et Daniela Sindram (Hänsel), à gauche, et leurs double, à droite. Photo : (c) Opéra national de Paris Monica Rittershaus

Dans la lecture que fait Mariame Clément de Hänsel und Gretel, plutôt que les envoyer dans la forêt de Hexenritt, la mère enferme ses deux enfants dans leur chambre. Elle les met ainsi face à leurs terreurs nocturnes intimes : monstre du placard, fantômes sous le matelas, main noire passant par la fenêtre, araignée géante surgie du plafond venue de la Métamorphose de Kafka… Inversement, pour la metteuse en scène, la sorcière symbolise, à l’instar des animaux vindicatifs de L'Enfant et les sortilèges de Ravel, le mauvais parent que nous craignons d’être, « favorisant un enfant plutôt qu’un autre, laissant naître chez eux un sentiment de culpabilité… » (Mariame Clément dans Le Figaro). Cette approche psychanalytique, fort tentante lorsqu’il s’agit de conte de fée, est remarquablement servie par la mise en scène, et l’on se plaît à trouver attachante cette conception d’un ouvrage qui s’adresse en fait aux enfants de tous les âges. Ainsi, le dédoublement de Hänsel et de Gretel, à la fois tenus par deux chanteuses adultes et par deux mimes enfants, apporte-t-il une dimension psychologique supplémentaire au conte qui abonde dans le sens de la partition-même, d’un poids et d’un art surdimensionné en regard du sujet. Grâce à la sensibilité de Mariame Clément, le spectateur, jeunes et adultes confondus, est catapulté dans ses rêves, ses fantasmes, ses souvenirs.  

Chacun des membres de la distribution a endossé son personnage avec grand naturel. Chaque rôle est parfaitement interprété, même les plus petits, Elodie Hache et Olga Seliverstova campant respectivement une attendrissante Marchande de sable et un charmant Petit bonhomme rosée. Anne-Catherine Gillet est une Gretel d’une exquise fraîcheur, la voix est pleine, lumineuse et sûre, infiniment à l’aise dans l’aigu. Daniela Sindram est un Hänsel spontané mais faussement téméraire, vocalement à l’aise et le mezzo fruité. Irmgard Vilsmaier incarne une mère Gertrud aimante et protectrice, mais ferme, qui impressionne par sa puissance sonore et sa musicalité. Jochen Schmeckenbecher conforte la belle impression faite à l’Opéra de Lyon en 2011 dans Kurwenal de Tristan und Isolde, en brossant un père Peter au timbre de bronze. Enfin Anja Silja, qui, avec ses 78 printemps et le peu de notes qu’il lui reste mais fort acérées, est une éblouissante sorcière toute de paillettes vêtue, aussi effrayante que sensuelle meneuse de revue tyrannique dirigeant sa troupe de danseuses de cancan dignes de la Vie parisienne de Jacques Offenbach. Il convient d’ajouter à l’ensemble la Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, qui inonde la scène de ses rires et de se chants à la fin du spectacle. Etonnamment hué dans le fond de la salle par quelques râleurs, Claus Peter Flor chante ici dans son jardin, mettant fort bien en relief tout ce que la partition de Humperdinck doit à Wagner, sachant souligner les passages qui évoquent le plus ce dernier, tissant un tissu sonore d’une sensualité captivante, tout en ménageant des plages d’une rare évanescence. L’Orchestre de l’Opéra National de Paris répond avec allant et générosité aux sollicitations du chef allemand, avivant des sonorités tout en rondeurs et en délicatesse. 

Bruno Serrou

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