lundi 24 décembre 2012

Croquefer et l’Île de Tulipatan, deux désopilants opéras-bouffes d’Offenbach repris par Les Brigands au Théâtre de l’Athénée en ces fêtes de fin d’année



Paris, Athénée Théâtre Louis Jouvet, jeudi 20 décembre 2012


Croquefer, ou le dernier des paladins. De gauche à droite : Emmanuelle Goizé (Boutefeu), Flannan Obé (Croquefer), Olivier Hernandez (Ramasse-ta-tête), Lara Naumann (Fleur-de-soufre) et Loïc Boissier (Mousse-à-mort). Photo : (c) Claire Besse


Cette année encore, la Compagnie Les Brigands n’a pas manqué son rendez-vous parisien de fin d’année, attirant à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet une foule d’amateurs épris d’ouvrages rares et de joyeuses études de mœurs musicales. C’est en effet un spectacle particulièrement festif comme de coutume à pareille époque que propose la Compagnie Les Brigands. Cette fois, elle retrouve son compositeur favori, Jacques Offenbach, dont elle exhume deux petits ouvrages qui ont fait le bonheur du Second Empire et la gloire du « Petit Mozart des Champs-Elysées ». 


Jean-Philippe Salério a porté de fait son dévolu sur deux opéras-bouffes en un acte et neuf numéros composés à onze ans de distance pour le même Théâtre des Bouffes Parisiens qui sont autant d’études de mœurs de tous les temps. Jouant de miroirs conçus par le décorateur Thibaut Fack, le metteur en scène réalise un spectacle leste et drôle mais sans vulgarité, fait si rare aujourd’hui qu’il convient de le souligner.


Croquefer, ou le dernier des paladins. Lara Naumann (Fleur-de-soufre) et Oliver Hernandez (Ramasse-ta-tête). Photo : (c) Claire Besse


La soirée s’ouvre sur Croquefer, ou le dernier des paladins sur un livret d’Adolphe Jaime et Etienne Tréfeu créé le 12 février 1857. Dans ce délire médiéval qui a pour cadre la plateforme d’un château-fort à Charenton (célèbre de 1641 à 1973 pour son asile psychiatrique, désormais sur le territoire de la commune de Saint-Maurice sous le nom d’hôpital Esquirol) où guerroient un chevalier incomplet, un paladin sans morale, un gentilhomme prénommé Ramasse-ta-tête et une infortunée princesse qui « pince du luth comme Paganini et se résigne à devenir assassin », les auteurs défient la censure qui interdisait les pièces chantées par plus de quatre personnages hors des maisons d’opéra, en rendant de l’un d’eux muet, suite à des supplices de sarrasins. Dans le duo « Comment c’est vous, un gentilhomme », Offenbach moque l’Opéra de Paris, citant Meyerbeer, Donizetti et Halévy. Façon fabliau médiéval, Offenbach raille les comportements humains à travers le conflit de deux hobereaux qui lui permet de se gausser de la rudesse des mentalités du moyen-âge qui perdurent encore, des ravages du port des armes sur les corps, du courage et de son contraire, la lâcheté. 


L'Ile de Tulipatan. Flonnan Obé (Hermosa) et François Rougier (Romboïdal). Photo : (c) Claire Besse



Sur un livret d’Henri Chivot et Alfred Duru, créé le 30 septembre 1868, L’île de Tulipatan est des plus actuels. Cette comédie de quiproquos à cinq personnages se déroulant dans un isolement total - à 25 000 km de Nanterre et 473 ans avant l’invention du crachoir, sous le règne de Cacatois XXII -, permet en effet d’explorer sans retenue la confusion des genres et la revanche de la nature sur les éducations manquées, le féminin l’emportant haut-la-main sur le masculin : le roi souhaite devenir père d’un garçon pour assurer sa descendance. Pendant qu’il guerroie, son épouse met au monde une fille, qu’elle fait passer pour un fils prénommé Alexis, afin de sauver la monarchie. De son côté, Théodorine, l’épouse du grand sénéchal Romboïdal, fait la démarche inverse. Par crainte de le perdre un jour à la guerre, elle prétend que le garçon qui vient de naître est une fille qui répond au prénom d’Hermosa. 


Jean-Philippe Salério donne à ces deux farces la dimension d’œuvres de portée universelle, et évite non sans tact la grivoiserie, même dans les scènes les plus scabreuses, comme celle du laxatif de Croquefer ou avec les travestis de Tulipatan. Les artistes se livrent dans les deux pièces sans retenue, si bien que la salle se laisse volontiers porter par ce spectacle burlesque au rythme enragé. Le quintette de chanteurs, qui sont autant de comédiens-danseurs, s’en donne à cœur joie, et l’on rit de bonne grâce avec eux des situations les plus loufoques. Flannan Obé brille autant en châtelain névrosé qu’en garçon manqué, et Emmanuelle Goizé excelle successivement en écuyer omnipotent et en fille manquée. A leurs côtés, Lara Neumann est une ineffable écervelée, François Rougier un délectable insouciant, et Loïc Boissier un déjanté guilleret. Dans la fosse, Christophe Grapperon dirige avec vitalité un ensemble coloré réduit à neuf musiciens par Thibault Perrine, fidèle arrangeur des Brigands. Au sein de cet ensemble instrumental, se distingue le contrebassiste des Ensembles Intercontemporain et Multilatéral Nicolas Crosse, venu s’encanailler un temps avec Offenbach. 

Bruno Serrou

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