La fusion artistique et
intellectuelle était de toute évidence parfaite en principauté de Monaco entre
un orchestre fondé en 1856 et son brillant directeur musical russe quinquagénaire,
Yakov Kreizberg. En moins de deux ans d’une riche alliance, le mariage entre
ces deux entités humaines s’est imposé dans son évidence. Entre septembre 2009, date de son arrivée à
Monaco, et le 15 mars 2011, date de sa mort brutale en Principauté, le chef
pétersbourgeois a élevé la phalange monégasque sur les cimes. Ceux qui n’ont
pas eu la chance d’écouter « live » leurs concerts communs peuvent
heureusement en prendre toute la mesure grâce au disque et à l’initiative de l’Orchestre
Philharmonique de Monte-Carlo d’une l’autoédition par le biais de son propre
label discographique, OPMC Classics, lancé à l’automne 2010.
Ainsi, trois mois après une
édifiante Symphonie n° 11 « l’Année
1905 » de Dimitri Chostakovitch (voir ce blog en date du 8 mars 2012),
le Philharmonique de Monte-Carlo vient de publier l’ultime grand moment des
dix-huit mois de la fructueuse collaboration de la phalange monégasque avec Yakov
Kreizberg. C’est en effet avec le Symphonie
n° 5 en ut dièse mineur de Gustav Mahler que Kreizberg a fait ses adieux à
son public et à ses musiciens, lors de deux mémorables concerts donnés en l’Auditorium
Rainier III de Monaco les 26 et 27 septembre 2010, et qui font l’objet du
présent CD enregistré le lendemain. Il s’agit donc d’un disque-testament.
Quarante ans après une première
version sous la direction d’Antonio de Almeida, disque qui ne laisse pas de
souvenir impérissable, ce que donne à entendre cet orchestre est d’une qualité
exceptionnelle. Galvanisés par la direction enflammée de Yakov Kreizberg, les
musiciens offrent l’une des exécutions les plus stimulantes de l’abondante
discographie de cette œuvre composée en 1901-1902 rendue célèbre par son Adagietto utilisé par Luchino Visconti
dans son film tourné en 1968, La Mort à
Venise, sorti en salles en 1971.
L'OPMC Auditorium Rainier III de Monaco
La vision ardente, vigoureuse et
tendue cheminant lentement mais de façon prégnante de l’ombre vers la lumière du
chef russe, qui peut se permettre de foudroyants moments de frénésie tant l’Orchestre
Philharmonique de Monte-Carlo, concentré, puissant, homogène, répond promptement
et s’avère particulièrement virtuose ici. Cette approche singulièrement
dramatique, dès les mesures initiales avec ses hallucinants appels de trompette
qui ouvre la Marche funèbre initiale de cette symphonie en
cinq mouvements regroupés en trois parties qui tétanise l’auditeur, heureusement
ponctuée de passages plus élégiaques, et se poursuit dans le Stürmig bewegt (Violemment agité) qui suit, à la dynamique impressionnante et qui débouche
sur un fascinant Scherzo, mouvement
le plus développé de la symphonie occupant à lui seul sa deuxième partie. Kreizberg
enflamme ländler et valse au ton grinçant et parodique amplifié par la
précarité des attaques des violons, qui se font en revanche délectables, précis
et luxuriants dans l’Adagietto pour
cordes seules qui introduit la troisième partie, moment pourtant difficile à
négocier de la symphonie tant son climat peut prêter à confusion pour sombrer
dans un larmoyant pathos contraire à la mission introductive au Rondo-Finale Allegro, que les musiciens monégasques enlèvent à bras le corps
pour conclure en apothéose dans une épiphanie de sonorités foisonnantes
traduisant à la perfection le tour dionysiaque et la joie de vivre aux
fragrances de gravité sous-jacente qui disent combien Mahler est ici ironique
et sarcastique, voire inquiet, le climat des mesures conclusives annonçant le
tragique de la symphonie suivante. Tout cela est admirablement suggéré par l’orchestre
et le chef, qui avaient trouvé un équilibre artistique évident et une
communauté d’esprit que la maladie à violemment et injustement brisés. Reste à
espérer que l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo gardera la force et l’unité
pour faire perdurer le niveau atteint.
Bruno Serrou
1 CD OPMC Classics 006
(distribution Codaex, ou par Internet www.opmc.mc)
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