Cracovie, Filharmonia im. Karola Szymanowskiego, vendredi 30 mars 2012
Capitale culturelle de la
Pologne, miraculeusement préservée de la ruine durant toute la Seconde Guerre
mondiale, bien qu’elle fût le siège du Gouvernement général des territoires
polonais non intégrés au Reich placé sous l’autorité du « bourreau de la
Pologne » Hans Frank, qui établit dans les environs de la ville des camps
de concentration et de mort à Plaszow et Oświęcim (Auschwitz), centre intellectuel majeur, avec la célèbre
Université Jagellone, et son centre inscrit en 1978 sur la liste du patrimoine
mondial de l’Unesco, Cracovie est aussi le centre d’activité de l’un des trois grands
orchestres symphoniques polonais, l’Orkiestra Filharmonii Krokowskiej ou
Orchestre Philharmonique de Cracovie. Fondée en 1945, cette formation de 96 musiciens
est dirigée par les chefs polonais et internationaux les plus éminents, de
Witold Rowicki à Henryk Czyz pour les premiers, d’Otto Klemperer à Georg Solti
pour les seconds. Il est aussi l’un des rares orchestres au monde à avoir un
compositeur en résidence, actuellement Agata Zubel (née à Cracovie en 1978).
Disposant d’une salle à l’acoustique idéale, la Filharmonia im. Karola
Szymanowskiego w Krakovie (Philharmonie Karol Szymanowski de Cracovie), à la
forme d’une boîte à chaussure, la phalange peut exalter à loisir ses sonorités
d’une élasticité et d’une transparence exemplaires. Son public est incroyablement
jeune, ce qui pour la musique classique est extrêmement prometteur en regard de
la France où la population mélomane se fait toujours plus âgée. Il faut dire
que le prix des places, réparties en deux catégories, est modique (8,75 euros
en première, 6,25 euros pour les secondes ; 3,75 euros pour les étudiants
et les retraités le samedi soir). En outre, l’atmosphère des concerts est particulièrement
concentrée grâce à des auditeurs à l’écoute exceptionnelle et particulièrement
connaisseurs. Malgré le froid et la pluie aussi drue que glaciale, pas la
moindre quinte de toux, le plus petit raclement de gorge, ni même un début de
sonnerie de téléphone ne se sont fait entendre. Bref, Cracovie est un vrai
paradis pour la musique, les musiciens et les mélomanes.
Autre particularité du concert de
vendredi, le programme monté à l’envers de ce qui se fait habituellement, le
morceau de résistance en première partie, le concerto en début de seconde
partie et la pièce la plus courte à la fin. Il s’agissait il est vrai pour
cette dernière de l’œuvre la plus instrumentée du programme. C’est avec la Symphonie n° 8 en sol majeur op. 88 d’Antonín Dvořák que le concert a commencé.
Une symphonie trop rare et pourtant si belle, avec son atmosphère allégée et apaisante,
son climat poétique chantant l’homme face à la Création. L’élan vivifiant, les
contours populaires, le souffle généreux, la magnificence mélodique, la
ductilité de l’orchestration de cette symphonie ont été exaltés par des
musiciens qui semblaient chanter dans leur jardin, portés par la direction
chaleureuse à la gestique limpide et franche d’Antoni Wit (né à Cracovie en
1944), l’un des chefs les plus sûrs et inspirés de sa génération étonnamment et
inexplicablement absent de la scène française, alors que chacun de ses disques,
dont les ventes atteignent à ce jour les 5 millions d’exemplaires, constitue
une référence, surtout qu’ils sont généralement accessibles au plus grand
nombre, car publiés par le label Naxos. Peut-être est-ce d’ailleurs à cause de
cela qu’il n’a pas acquis en France la notoriété que son talent mérite
amplement… Pourtant, ses intégrales Szymanowski, Lutoslawski, ses Messiaen, Weber,
Richard Strauss, Smetana, Penderecki dont il a été l’élève ainsi que de Nadia
Boulanger et Pierre Dervaux, puis de Stanisław
Skrowaczewski et Seiji Ozawa, sont des jalons de toute discothèque.
Olga Kern a été la soliste du Concerto n° 1 en fa dièse mineur op. 1
de Serge Rachmaninov. Jouant avec une économie de gestes et une introspection
dont beaucoup de ses confrères devraient s’inspirer, la pianiste russe a imposé
son jeu brillant et vigoureux qui concorde à la perfection avec le foisonnement
mélodique, la virtuosité aérienne de l’écriture pianistique de son compatriote.
Antoni Wit ne s’est pas contenté d’accompagner sa soliste mais au contraire s’est
avéré un authentique partenaire en lui sertissant un tissu orchestral d’une
rondeur et d’un panache éblouissant. Avec Till
Eulenspiegels lustige Streiche op. 28 de Richard Strauss, grinçant, coloré,
porté jusqu’à la fusion par un Antoni Wit en osmose totale avec le court mais
dense poème straussien, c’est l’orchestre au complet qui a brillé de tous ses
feux, répondant à la moindre sollicitation de son chef invité. Un concert d’abonnement
de très grande classe.
Bruno Serrou
Photos : (c) Bruno Serrou
Je connais Antoni Wit grace effectivement au remarquable label de musique classique: Naxos. Avant de diriger l'Orchestre Philharmonique de Cracovie, il a enregistré me semble t-il avec l'Orchestre symphonique national de la radio polonaise. Ce label est vraiment formidable, il explore des tas de pays. J'ai pu me faire une idée sur la musique Anglaise (Bax, Walton...), les états-unis et même la musique française dite post-romantique. Une série "Patrimoine" aujourd'hui épuisée, avec des œuvres de Vincent d'Indy, Paul Le Flem...
RépondreSupprimerOn doit quand même reconnaître qu'on voyage pas en première classe sur ce label mais après tout les paysages sont les mêmes.
Antoni Wit se produisait vendredi à Cracovie en tant que chef invité. Il est depuis janvier 2002 directeur artistique de l'Orchestre Philharmonique de Varsovie.
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