dimanche 22 avril 2012

Gustavo Dudamel enthousiasme l’Orchestre Philharmonique de Radio France mais laisse le public de marbre dans des symphonies de Brahms singulières


Paris, Salle Pleyel, Vendredi 20 avril 2012
 Photo : DR
A trente et un ans, Gustavo Dudamel fait à chacune de ses apparitions parisiennes toujours davantage penser à Leonard Bernstein. Le chef vénézuélien n’a de cesse d’enthousiasmer les foules et de transcender les orchestres qu’il dirige, les siens comme ceux dont il est l’invité. Ainsi, l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles semble acquérir une vitalité qui lui était inconnue avant son arrivée comme directeur musical en 2009, tandis que l’Orchestre Philharmonique de Berlin se plaît à l’inviter fréquemment comme en quête d’adrénaline. Depuis sept ans, l’Orchestre Philharmonique de Radio France bénéficie régulièrement de son aura et, surtout, de sa flamme, de sa vigueur, de sa jeunesse, de sa fougue, de son extraordinaire musicalité. Les musiciens français le lui rendent bien, d’ailleurs, jouant sous son empreinte avec un plaisir non feint et pour le moins communicatif, les pupitres rivalisant de virtuosité et de précision tout en sonnant de façon homogène, comme il ne le fait qu’occasionnellement, y compris avec son chef titulaire, et félicitant ce chef qu’il aime de toute évidence à la fin de chaque concert en l’applaudissant avec la une ferveur partagée par le public. Au point que les musiciens français rêvent de sa nomination à la tête de cet orchestre dont les qualités intrinsèques tendent hélas à s’affaiblir, à de trop rares exceptions près.
Pour leur second concert de leur intégrale des quatre symphonies de Johannes Brahms conçues en moins d’une décennie (1876-1885), Gustavo Dudamel et le Philharmonique de Radio France ont donné une impulsion inaccoutumée à cette musique qui sonne comme venue du plus profond de la terre, des abîmes de l’âme, grondante enracinée dans les graves de l’orchestre, l’assise du son semblant émaner des timbales, tandis qu’un doux chant s’exhale de phrases aux contours insondables se renouvelant de façon continue, respirant large et aux élans d’une générosité infinie. Consacré aux deux symphonies paires, le concert de vendredi s’est avéré singulier. En effet, le chef vénézuélien a fait fausse route, à commencer par la Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73, née dans la sérénité après la genèse longue et particulièrement difficile de la Première. Si bien que l’œuvre est l’une des plus chatoyantes de Brahms, dont le sombre caractère reste néanmoins indéniablement sous-jacent. Or, Dudamel en a fait une œuvre allant de l’ombre à la lumière en quatre étapes successives, à la façon de la deuxième des symphonies de Mahler. Ainsi, la première partie du mouvement initial a été exposé avec une lenteur excessive, toute en retenue et en introspection, la sublime phrase des cors instaurant non pas une atmosphère paisible et olympienne mais plutôt une nostalgie déliée qui irrigue l’ensemble du morceau, dont le chef met cependant en évidence la diversité d’une orchestration d’une mobilité extrême. L’Adagio chante avec une profondeur toute méditative, à l’instar de la mélodie des violoncelles, d’une beauté incandescente, tout comme les bois et l’ensemble des cordes, qui soulignent avec brio la complexité de l’écriture et la force émotionnelle qui en émane. Dynamique et vif, l’Allegretto grazioso qui semblait a priori correspondre à l’opulence jaillissante de la direction de Dudamel, a curieusement manqué d’exubérance, le chef se montrant au contraire retenu et pondéré, restant sur son quant-à-soi, sans pour autant éteindre tout-à-fait l’allant caractéristique de ce morceau, même dans les deux ardents Presto. Le finale, en revanche, a été un moment de lumière, respirant large et guilleret, bien dans le « sang mozartien » exalté ici par le critique viennois proche de Brahms, Eduard Hanslick.
La Symphonie n° 4 en mi mineur op. 98 est à la fois la plus classique des symphonies de Brahms, se concluant à l’instar des Variations sur un thème de Haydn op. 56a sur une grandiose chaconne puisée dans le chœur final de la Cantate BWV.150 de Jean-Sébastien Bach qui donne lieu à de magistrales variations, et la plus crépusculaire et exacerbée. Proposant une lecture fluide, énergique et aux reliefs marqués, dirigeant avec élan et instaurant un climat conquérant et particulièrement dynamique, Dudamel a ici aussi pris ses distances par rapport à l’esprit de l’œuvre. Cette approche originale s’est néanmoins révélée passionnante, surtout dans les deux mouvements extrêmes, le chef exaltant le charme du  premier et de conclure avec une énergie vertigineuse sur le majestueux finale. L'Orchestre Philharmonique de Radio France s’est illustré par une virtuosité au service d’une orchestration inlassablement renouvelée.
Bruno Serrou

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