vendredi 27 avril 2012

Concert de grande beauté de l’Orchestre National de France, jusqu’à ce que, soudain, Kurt Masur s’effondre…


Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jeudi 27 avril 2012
 Photo : DR
Programme russe, violemment interrompu hier soir, pour l’Orchestre National de France, qui retrouvait pour la seconde semaine consécutive, son ex-directeur musical, Kurt Masur (1), aujourd’hui son directeur musical honoraire à vie. Le pas mesuré, le dos légèrement voûté, la silhouette amincie mais toujours noble et droit de stature, le grand chef allemand a à quatre vingt quatre ans toujours fière allure. En bras de chemise et pantalon noirs, dirigeant sans partition, Masur a lancé l’air de ne pas y toucher la Symphonie n° 1 en fa mineur op. 10, œuvre qui lança en 1926 la carrière internationale d’un artiste âgé d’à peine 20 ans, Dimitri Chostakovitch. L’ironie qui allait caractériser la création du compositeur sa vie durant y est déjà clairement imprimée, ce que dit d’ailleurs sans ambages le titre « Symphonie grotesque » que lui accola tout d’abord son auteur, qui envisageait alors à la présenter pour son diplôme de fin d’études au Conservatoire de Leningrad.

Commençant dans un climat d’une fraîcheur toute juvénile qui baigne les deux mouvements initiaux, l’œuvre se tend progressivement dans un Lento dont la douleur et le tragique relèvent déjà de la personnalité de Chostakovitch, et éclate dans l’Allegro molto final où alternent grotesque, lyrisme exacerbé, violence tellurique. L’orchestration, d’abord fine et légère, s’étoffe et s’opacifie pour devenir extrêmement dense, mais elle demeure continuellement claire et contrastée, avec de riches solos de cordes et de bois. Kurt Masur, qui dirige par cœur cette partition qu’il fréquente depuis le début des années 1950, en souligne les particularités les plus secrètes, laissant respirer l’orchestre en limitant souvent ses indications à un regard vers un pupitre soliste, ce qui n’empêche pas certains instrumentistes de partir un peu tôt et de se faire par trop sonores du côté des cuivres.
Plus lumineuse et apaisée que de coutume, tout en gardant son urgence et sa gravité implacable, ce qui lui confère une dimension crépusculaire d’autant plus émouvante qu’elle est contenue, la Symphonie n° 6 en si mineur « Pathétique » op. 74 de Tchaïkovski s’est avérée d’une noblesse et d’une grandeur trahissant une grande maturité. Le thème lugubre du basson à l’entrée de l’Adagio initial a imposé d’entrée à la salle entière une émotion soutenue, puis haletante lors de sa reprise au tout début de l’Allegro non troppo qui s’est déployé dans un vacarme plus tenu que de coutume, le lyrisme plutôt que le fatum emportant le mouvement initial entier. Dans l’Allegro con grazia, Masur a bien mis en exergue la souplesse et la légèreté de la valse à cinq temps qui pulvérise l’angoisse qui a précédé en l’emportant dans un tourbillon d’élégance insouciante tempérée par un retour d’un tragique pressentiment. Le geste plus marqué et le corps bougeant davantage que dans les pages précédentes, comme porté par l’allant de ce qui allait suivre, Masur oublia de ménager son corps et lança l’Allegro molto vivace du Scherzo avec une vitalité de feu, l’orchestre suivant sans tergiverser le chef qui l’encourageait dans un élan continu à porter le son aux limites de la déchirure, jusqu’à ce que, se retournant soudain vers les premiers violons, Kurt Masur croise machinalement le bas des jambes, son grand corps se mette à chanceler et, malgré une tentative d’un violoniste de le retenir, tombe lourdement de son pupitre pour choir pesamment sur le dos au centre du premier rang d’orchestre à un mètre cinquante au-dessous du plateau. Après quelques secondes d’hésitation, médecins et pompiers furent appelés, tandis que le public était prié de dégager un espace autour du Maestro pour qu’il puisse respirer. Quelques minutes plus tard, la salle était évacuée, le concert définitivement interrompu, des nouvelles du chef se voulant rassurantes étaient données dans le hall du théâtre, tandis que les secours préparaient l’évacuation de Kurt Masur vers l’hôpital Georges Pompidou. 

Ce vendredi midi, un communiqué de presse de l'Orchestre National de France indique que « après des examens approfondis rassurants, Kurt Masur se repose à l’hôpital. Il a fait quelques pas ce matin et devrait sortir sous peu ».
Bruno Serrou

1) L’Orchestre National de France vient de publier son premier disque avec son directeur musical actuel, l’Italien Daniel Gatti, le successeur de Kurt Masur. Il s’agit d’un disque monographique consacré à Debussy réunissant trois partitions pour orchestre, la Mer, Prélude à l’après-midi d’un faune et Images (1 CD Sony Classical 88697974002)

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