mercredi 3 décembre 2025

La filiation Schumann-Brahms exaltée par le Rotterdam Philharmonisch Orkest et Lahav Shani, avec Martha Argerich, magicienne du 180e anniversaire de la création du Concerto pour piano de Schumann

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Dimanche 30 novembre 2025 

Martha Argerch, Lahav Shani, Rotterdams Philharmonisch Orkest
Photo : (c) Antoine Benoît-Godet / Cheeese

Concert dirigé par le brio par l’excellent chef israélien Lahav Shani beaucoup moins agité que celui du 6 novembre. Il est vrai que cette fois il n’était pas avec son splendide orchestre de Tel Aviv mais avec le tout aussi remarquable Rotterdams Philharmonisch Orkest. Il faut également dire que le Philharmonie de Paris avait convié les forces de l’ordre, venue en nombre, à veiller à ce que personne ne vienne perturber la soirée. Au final, un splendide concert, avec la merveilleuse Martha Argerich dans le Concerto pour piano op. 54 de Robert Schumann que la grande musicienne argentine a interprété avec un art de la nuance magnétique qui, transcendant ses 84 printemps, a conduit avec flamme à l’apothéose du sublime Allegro vivace finale, suscitant un délire d’applaudissements de la salle entière debout, que le court Schumann du bis n’a pas pu apaiser, au point que la pianiste a dû fermer en souriant le couvercle du Steinway. Après une courte pause (le concert avait commencé avec un quart d’heure de retard), l’Orchestre néerlandais et son directeur musical israélien dirigeant sans baguette comme pour mieux pétrir la pâte sonore ont donné avec un effectif de cordes réduit (14, 12, 10, 8, 6), une admirable Symphonie n° 2 du protégé de Schumann, Johannes Brahms, dans une interprétation bouillonnante, mue par une énergie vitale magnifiant toute la poésie les grandes phrases brahmsiennes au lyrisme intense. Shani est décidément un immense chef !

Martha Argerich, Rotterdams Philharmonisch Orkest
Photo : (c) Antoine Benoît-Godet / Cheeese

Comme de coutume, c’est avec un programme bien pensé que la phalange néerlandaise s’est présentée à Paris en cette fin d’automne 2025. Cette fois à la Philharmonie, associant deux compositeurs que la vie a réunis, d’abord par filiation esthétique, puis par amitié, enfin par l’affection pour une même femme, la pianiste Clara Wieck-Schumann. C’est en effet cette dernière qui créera en soliste le Concerto pour piano en la mineur op. 54 à Dresde le 4 décembre 1845 (voilà donc cent quatre vingts ans tout juste). Il s’agit plutôt d’un poème symphonique en trois parties avec partie de piano obligato, tant Schumann, handicapé par une main droite martyrisée, s’est avant tout préoccupé de musicalité et d’expressivité, l’œuvre puisant son mouvement initia dans un Phantasie préalablement écrite conçue de son propre aveu comme « un juste milieu entre symphonie, concerto et grande sonate ». Tant et si bien que cette partition concertante est la plus jouée du répertoire pianistique, plus encore que celui auquel il est le plus souvent associé au disque, non seulement en raison de sa durée comparable qui permet de remplir un disque entier, mais aussi par son inspiration et par sa tonalité, au concerto que conçut un quart de siècle plus tard Edvard Grieg. Comme disait Nelson Freire, ami de Martha Argerich, le piano de Schumann est avant tout « l’atmosphère, l’émotion, la narration » (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2021/11/mort-dun-geant-nelson-freire-entre-de.html). C’est précisément ce qui caractérise l’interprétation qu’en a donnée Martha Argerich, enrichissant son approche de son toucher exceptionnel qui lui permet de jouer d’une palette sonore sans pareilles, moelleuses, profondes, d’une richesse inouïe, ses doigts courant sir le clavier semblant creuser jusqu’au tréfonds du piano des harmoniques d’une diversité phénoménale et d’une plénitude absolues. Spis la direction aussi attentive que créative de Lahav Shani, l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam a amplifié le son fabuleux de la soliste en les enrichissant de ses harmonies d’une ampleur infinies, à la fois profondes et onctueuses, donnant un appui et une réplique mettant en valeur la soliste tout en fondant ses sonorités dans celles du piano. L’Allegro vivace final à peine conclu, le public se leva comme un seul homme pour une ovation debout à laquelle Martha Argerich ne put que répondre, s’asseyant sans hésitation pour une courte page de Robert Schumann, à l’issue de laquelle, après un salut rapide, elle ferma le couvercle de son Steinway d’un soir pour bien marquer sa décision de ne point revenir.

Lahav Shani, Rotterdams Philharmonisch Orkest
Photo : (c) Antoine Benoît-Godet / Cheeese

La seconde partie était entièrement dévolue au « disciple » de Schumann, « amoureux éperdu » de la femme de ce dernier, Johannes Brahms avec sa Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73 composée et créée en 1877 à Vienne sous la direction de Hans Richter. Œuvre à l’optimisme rayonnant, le compositeur s’étant libéré de ses craintes d’écrire une symphonie après la Neuvième de Beethoven, la Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73, que d’aucuns comparent néanmoins à la « Pastorale » du maître de Bonn, tandis que d’autres rapprochent de Mozart, reste typiquement brahmsienne, avec ses longues phrases au souffle infini d’une beauté et d’une richesse époustouflantes, ses sonorités graves et rondes soulignées par les trois trombones et le tuba comme résonnant constamment dans des timbales, à l’instar e la totalité de l’orchestre. Le tout a été vaillamment mis en valeur par un Orchestre Philharmonique de Rotterdam vivifié par la direction lyrique, dynamique, épanouie de son directeur musical qui fait chanter cette partition avec délectation, une fraicheur à la fois vigoureuse et enchanteresse, tous les pupitres seraient à citer, depuis les violoncelles qui ouvrent l’œuvre, jusqu’au timbalier, mais aussi altos, violons, petite harmonie, magnifique, notamment le flûte solo tenue par Juliette Hurel, et surtout le cor somptueux de David Fernández Alonso.

Bruno Serrou

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