Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Lundi 22 septembre 2025
Concert
d’une énergie singulière fort communicative du London Symphony Orchestra dirigé
par sir Antonio Pappano à la Philharmonie de Paris, avec en soliste la flamboyante
Janine Jansen. Cinquantième anniversaire de la mort de Dimitri Chostakovitch
oblige, ouverture vigoureuse par l’humble mais dynamique « petite neuvième »
symphonie, évitant judicieusement les trivialités inhérentes à la partition,
suivie du rare mais remarquable Concerto pour violon de Benjamin Britten magnifié par l’extrême
musicalité de la soliste hollandaise, enrichie des sonorités de braise de son
violon, suivie d’un extrait de Passacaille du Cantor. Enfin, feu d’artifice vertigineux avec une Symphonie n° 5
de Beethoven au cordeau, vive, chantante, virevoltante, scotchant l’auditeur au
fond de son fauteuil jusqu’à la « libération » finale où tous, public et
musiciens confondus, ont été emportés par un vertige enchanteur. Enfin bis,
pour « apaiser l’atmosphère », une saisissante Valse Triste de Jean Sibelius
Le London Symphony Orchestra est bel et bien l’une des phalanges les plus souples et malléables au monde. Il excelle dans tous les répertoires qu’il fait profiter de ses sonorités de braise, brillantes et veloutées à la fois, la précision du jeu de tous les pupitres, les relations charnelle et fusionnelles des sonorités. Que ce soit dans la musique qui lui est naturelle, la britannique, où la russe, dont il sait restituer les sécheresses fauves auxquelles il associe judicieusement son velours naturel, où le classicisme viennois dans l’une des œuvres les plus courues du répertoire.
Année du cinquantenaire de la mort de
Dimitri Chostakovitch, décédé le 9 août 1975 à l’âge de 68 ans, signataire de
quinze symphonies oblige, Antonio Pappano et le LSO ont ouvert le concert de
lundi avec l’une de ces dernières, retenant la plus courte des pages du genre
du compositeur russe, sa Neuvième
Symphonie en mi bémol majeur op. 70. Composée
en août 1945, deux mois après la fin du second conflit mondial, créée le 3
novembre de la même année sous la direction d’Evgueni Mravinski, cette
partition de moins d’une trentaine de minutes est l’une des plus insouciantes
et joyeuses de Chostakovitch, qui a ainsi pris le régime communiste à
contre-pied, au grand dam de Staline, qui en a conçu une profonde et
irrévocable amertume. Le « petit père des peuples » attendait en
effet une œuvre grandiose avec solistes, chœur et grand orchestre comparable à
la seule Symphonie n° 9 en ré mineur
de Beethoven levée à sa gloire et célébrant la victoire de l’armée rouge sur le
nazisme. Or, il n’en fut rien, le compositeur saisissant l’opportunité pour se
jouer des attentes du régime communiste, et l’œuvre reçut un accueil pour le
moins mitigé. Chostakovitch avait en effet décidé d’éviter la grandiloquence et
la pompe au profit de la bonne humeur et de l’exaltation, sans parvenir pour
autant à masquer son inquiétude personnelle sous l’éclat circonstancié de sa musique. Néanmoins,
seul le Largo est d’essence
dramatique, avec de graves sonneries de trompettes et de séduisants récitatifs
de basson qui sont les moments les plus significatifs de cette symphonie
remarquablement servis par les musiciens du LSO, qui ont réussi à amoindrir les
aspérités frisant le prosaïsme de la globalité de la pièce.
Plus rare
encore en concert quoique bouleversant et de grande beauté, le Concerto pour violon et orchestre op. 15 de
Benjamin Britten (1913-1976). Cette œuvre, qui connut plusieurs remaniement
jusqu’en 1965, a été composée en 1938-1939 sous l’impulsion de l’écoute du Concerto « à la mémoire d’un
Ange » d’Alban Berg (1885-1935) à la création posthume duquel le
compositeur britannique venait d’assister durant un séjour à Barcelone le 19
avril 1936 en compagnie du violoniste catalan Antonio Brosa à qui il dédiera
son propre concerto. Ce n’est qu’après avoir quitté l’Angleterre pour le Québec
en raison de ses opinions pacifistes, qu’il commença la composition de son
concerto dont il acheva l’orchestration aux Etats-Unis. Cette œuvre sombre écrite
en réaction à la guerre civile espagnole et aux menaces de guerre en Europe, compte
trois mouvements se présentant dans un ordre peu couru en matière concertante,
lent (Moderato con moto) - vif (avec
cadence soliste à la fin) - lent (Passacaille)
enchaînés sans interruption. L’œuvre achevée, Britten la soumet Jasha Heifetz
qui la juge injouable. Pourtant, Brosa en donne la création le 28 mars 1940 au
Carnegie Hall de New York avec le New York Philharmonic dirigé par Sir John
Barbirolli. A l’instar entre autres de la Burleske
pour piano et orchestre de Richard Strauss qui expose d’entrée le matériau
thématique de la partition aux timbales, avant qu’apparaisse cantabile l’instrument soliste dans
l’aigu dans une atmosphère d’angoisse diffuse le concerto pour violon de
Britten s’ouvre sur un premier motif exprimé par le timbalier cette fois
ponctué par des cymbales, motif moteur de la partition que l’on retrouve tout
au long du moderato ainsi que dans la cadence soliste à la fin du Vivace central, la partie la plus
développée, virtuose et fébrile du concerto où s’intercale néanmoins un passage
plus chantant. C’est d’ailleurs ce qui caractère le climat de l’œuvre, qui
oscille constamment entre lyrisme et inquiétude, et que Janine Jansen a si
parfaitement restitué, jusqu’à la fin de la passacaille, qui s’achève tel un
murmure s’évanouissant dans l’aigu du violon. Jouant avec partition, l’artiste
néerlandaise a donné de ce concerto une interprétation magistrale d’onirisme, de
chaleur humaine, de profondeur, faisant chanter son Stradivarius Shumsky-Rode
de 1715 telle une voix humaine, avec des sonorités rondes et d’une touchante
plénitude. En bis, Janine Jansen a
donné la Sarabande de la Partita n° 2 en ré mineur BWV 1004 de J.
S. Bach.
Mais après
cette première partie de toute beauté, la seconde réservait un moment de folie
pure, avec une Cinquième Symphonie en ut
mineur op. 67 de feu. Esquissée en 1803, composée entre 1805 et 1808, cette
œuvre, dont le rythme des quatre « coups du destin » initiaux (court-court-court-long)
a caractérisé les messages radio de la Résistance française pendant l’Occupation
allemande, est l’une des plus universellement connue de la totalité du répertoire
d’orchestre et les plus souvent programmées, également parmi les plus ardentes
et bouleversantes de l’histoire de la musique n’a bien évidemment plus à être
présentée. L’exécution qu’en a proposée Antonio Pappano, qui connaît parfaitement
les capacités et les qualités infinies de la formation symphonique londonienne dont
il est le Chef principal depuis 2024, a tout simplement été vertigineuse, les
quatre notes initiales sonnant avec une énergie inouïe, tel de virulents coups
de points dans l’estomac d’un Destin venimeux qu’il est urgent de mettre ko. L’ensemble
de l’interprétation a été menée ainsi à un train d’enfer, ce qui n’a pas
empêché de goûter aux magnificences de tous les pupitres, à commencer par les
bois, mais aussi les cuivres et les cordes ainsi que le timbalier… Le souffle
coupé, l’élan continuellement renouvelé d’un bout à l’autre de l’œuvre, le
public s’est levé comme un seul homme pour une ovation debout sitôt les notes ultimes
de l’Allegro finale qui ont sonné
comme une libération victorieuse de l’Humanité entière.
En bis, « pour apaiser l’atmosphère »
comme l’a précisé Antonio Pappano en français, comme pour rappeler les dix ans (1992-2002)
qu’il passa comme directeur musical du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles nommé
par Bernard Foccroulle, le London Symphony Orchestra a donné une Valse triste op. 44 (1903-1904) de Jean
Sibelius chaleureusement mélancolique mettant en valeur les vivifiants pupitres
de cordes.
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