jeudi 25 septembre 2025

Le London Symphony Orchestra enflammé par la direction brûlante d’Antonio Pappano et le violon de poète de Janine Jansen ont galvanisé la Philharmonie de Paris

Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Lundi 22 septembre 2025 

Antonio Pappano, Janine Jansen, London Symphony Orchestra
Photo : (c) Anne du Parc

Concert d’une énergie singulière fort communicative du London Symphony Orchestra dirigé par sir Antonio Pappano à la Philharmonie de Paris, avec en soliste la flamboyante Janine Jansen. Cinquantième anniversaire de la mort de Dimitri Chostakovitch oblige, ouverture vigoureuse par l’humble mais dynamique « petite neuvième » symphonie, évitant judicieusement les trivialités inhérentes à la partition, suivie du rare mais remarquable Concerto pour violon de Benjamin Britten magnifié par l’extrême musicalité de la soliste hollandaise, enrichie des sonorités de braise de son violon, suivie d’un extrait de Passacaille du Cantor. Enfin, feu d’artifice vertigineux avec une Symphonie n° 5 de Beethoven au cordeau, vive, chantante, virevoltante, scotchant l’auditeur au fond de son fauteuil jusqu’à la « libération » finale où tous, public et musiciens confondus, ont été emportés par un vertige enchanteur. Enfin bis, pour « apaiser l’atmosphère », une saisissante Valse Triste de Jean Sibelius 

Antonio Pappano, London Symphony Orchestra
Photo : (c) Anne du Parc

Le London Symphony Orchestra est bel et bien l’une des phalanges les plus souples et malléables au monde. Il excelle dans tous les répertoires qu’il fait profiter de ses sonorités de braise, brillantes et veloutées à la fois, la précision du jeu de tous les pupitres, les relations charnelle et fusionnelles des sonorités. Que ce soit dans la musique qui lui est naturelle, la britannique, où la russe, dont il sait restituer les sécheresses fauves auxquelles il associe judicieusement son velours naturel, où le classicisme viennois dans l’une des œuvres les plus courues du répertoire.

Antonio Pappano, London Symphony Orchestra
Photo : (c) Anne du Parc

Année du cinquantenaire de la mort de Dimitri Chostakovitch, décédé le 9 août 1975 à l’âge de 68 ans, signataire de quinze symphonies oblige, Antonio Pappano et le LSO ont ouvert le concert de lundi avec l’une de ces dernières, retenant la plus courte des pages du genre du compositeur russe, sa Neuvième Symphonie en mi bémol majeur op. 70. Composée en août 1945, deux mois après la fin du second conflit mondial, créée le 3 novembre de la même année sous la direction d’Evgueni Mravinski, cette partition de moins d’une trentaine de minutes est l’une des plus insouciantes et joyeuses de Chostakovitch, qui a ainsi pris le régime communiste à contre-pied, au grand dam de Staline, qui en a conçu une profonde et irrévocable amertume. Le « petit père des peuples » attendait en effet une œuvre grandiose avec solistes, chœur et grand orchestre comparable à la seule Symphonie n° 9 en ré mineur de Beethoven levée à sa gloire et célébrant la victoire de l’armée rouge sur le nazisme. Or, il n’en fut rien, le compositeur saisissant l’opportunité pour se jouer des attentes du régime communiste, et l’œuvre reçut un accueil pour le moins mitigé. Chostakovitch avait en effet décidé d’éviter la grandiloquence et la pompe au profit de la bonne humeur et de l’exaltation, sans parvenir pour autant à masquer son inquiétude personnelle sous l’éclat circonstancié de sa musique. Néanmoins, seul le Largo est d’essence dramatique, avec de graves sonneries de trompettes et de séduisants récitatifs de basson qui sont les moments les plus significatifs de cette symphonie remarquablement servis par les musiciens du LSO, qui ont réussi à amoindrir les aspérités frisant le prosaïsme de la globalité de la pièce.

Janine Jansen, Antonio Pappano, London Symphony Orchestra
Photo : (c) Anne du Parc

Plus rare encore en concert quoique bouleversant et de grande beauté, le Concerto pour violon et orchestre op. 15 de Benjamin Britten (1913-1976). Cette œuvre, qui connut plusieurs remaniement jusqu’en 1965, a été composée en 1938-1939 sous l’impulsion de l’écoute du Concerto « à la mémoire d’un Ange » d’Alban Berg (1885-1935) à la création posthume duquel le compositeur britannique venait d’assister durant un séjour à Barcelone le 19 avril 1936 en compagnie du violoniste catalan Antonio Brosa à qui il dédiera son propre concerto. Ce n’est qu’après avoir quitté l’Angleterre pour le Québec en raison de ses opinions pacifistes, qu’il commença la composition de son concerto dont il acheva l’orchestration aux Etats-Unis. Cette œuvre sombre écrite en réaction à la guerre civile espagnole et aux menaces de guerre en Europe, compte trois mouvements se présentant dans un ordre peu couru en matière concertante, lent (Moderato con moto) - vif (avec cadence soliste à la fin) - lent (Passacaille) enchaînés sans interruption. L’œuvre achevée, Britten la soumet Jasha Heifetz qui la juge injouable. Pourtant, Brosa en donne la création le 28 mars 1940 au Carnegie Hall de New York avec le New York Philharmonic dirigé par Sir John Barbirolli. A l’instar entre autres de la Burleske pour piano et orchestre de Richard Strauss qui expose d’entrée le matériau thématique de la partition aux timbales, avant qu’apparaisse cantabile l’instrument soliste dans l’aigu dans une atmosphère d’angoisse diffuse le concerto pour violon de Britten s’ouvre sur un premier motif exprimé par le timbalier cette fois ponctué par des cymbales, motif moteur de la partition que l’on retrouve tout au long du moderato ainsi que dans la cadence soliste à la fin du Vivace central, la partie la plus développée, virtuose et fébrile du concerto où s’intercale néanmoins un passage plus chantant. C’est d’ailleurs ce qui caractère le climat de l’œuvre, qui oscille constamment entre lyrisme et inquiétude, et que Janine Jansen a si parfaitement restitué, jusqu’à la fin de la passacaille, qui s’achève tel un murmure s’évanouissant dans l’aigu du violon. Jouant avec partition, l’artiste néerlandaise a donné de ce concerto une interprétation magistrale d’onirisme, de chaleur humaine, de profondeur, faisant chanter son Stradivarius Shumsky-Rode de 1715 telle une voix humaine, avec des sonorités rondes et d’une touchante plénitude. En bis, Janine Jansen a donné la Sarabande de la Partita n° 2 en ré mineur BWV 1004 de J. S. Bach.

Antonio Pappano, London Symphoiny Orchestra
Photo : (c) Anne du Parc

Mais après cette première partie de toute beauté, la seconde réservait un moment de folie pure, avec une Cinquième Symphonie en ut mineur op. 67 de feu. Esquissée en 1803, composée entre 1805 et 1808, cette œuvre, dont le rythme des quatre « coups du destin » initiaux (court-court-court-long) a caractérisé les messages radio de la Résistance française pendant l’Occupation allemande, est l’une des plus universellement connue de la totalité du répertoire d’orchestre et les plus souvent programmées, également parmi les plus ardentes et bouleversantes de l’histoire de la musique n’a bien évidemment plus à être présentée. L’exécution qu’en a proposée Antonio Pappano, qui connaît parfaitement les capacités et les qualités infinies de la formation symphonique londonienne dont il est le Chef principal depuis 2024, a tout simplement été vertigineuse, les quatre notes initiales sonnant avec une énergie inouïe, tel de virulents coups de points dans l’estomac d’un Destin venimeux qu’il est urgent de mettre ko. L’ensemble de l’interprétation a été menée ainsi à un train d’enfer, ce qui n’a pas empêché de goûter aux magnificences de tous les pupitres, à commencer par les bois, mais aussi les cuivres et les cordes ainsi que le timbalier… Le souffle coupé, l’élan continuellement renouvelé d’un bout à l’autre de l’œuvre, le public s’est levé comme un seul homme pour une ovation debout sitôt les notes ultimes de l’Allegro finale qui ont sonné comme une libération victorieuse de l’Humanité entière.

Antonio Pappano, London Symphony Orchestra
Photo : (c) Anne du Parc

En bis, « pour apaiser l’atmosphère » comme l’a précisé Antonio Pappano en français, comme pour rappeler les dix ans (1992-2002) qu’il passa comme directeur musical du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles nommé par Bernard Foccroulle, le London Symphony Orchestra a donné une Valse triste op. 44 (1903-1904) de Jean Sibelius chaleureusement mélancolique mettant en valeur les vivifiants pupitres de cordes.

 

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