Paris. « Les Prem’s », Festival Symphonique. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Jeudi 5 septembre 2025
Troisième concert « Les Prem’s » de la Philharmonie de Paris, ce jeudi soir avec le plus grand orchestre du monde, le Berliner Philharmoniker dirigé par son patron, Kirill Petrenko dans la déchirante Symphonie n° 9 de Gustav Mahler. Devant une salle pleine comme un œuf, notamment un parterre avec plus de sept cent cinquante personnes debout pour un prix modique de onze euros et des fauteuils tous occupés, les Berlinois et leur chef sibérien ont offert une interprétation d’une perfection absolue techniquement et instrumentalement, couleurs chaudes, timbres éclatants, virtuosité virevoltante, polyphonie limpide (Rondo Burleske éblouissant), mais étonnamment affranchie d’émotion profonde. Plaisir des sens mais souvent âme errante, surtout dans le finale… que les souvenirs ramènent au dernier concert de Claudio Abbado avec les musiciens de son Orchestre du Festival de Lucerne Salle Pleyel en octobre 2010
C’est avec une seule œuvre que la plus célèbre des formations symphoniques de la planète, le Berliner Philharmoniker (Orchestre Philharmonique de Berlin) est venue au complet à Paris portant ainsi au sommet de l’échelle de l’art musical sur les fonts baptismaux le nouveau rendez-vous de la Philharmonie de Paris, « Les Prem’s » dont c’était la troisième soirée, les deux précédentes ayant été assurée par son confrère saxon du Gewandhausorchester de Leipzig et son directeur musical letton Andris Nelsons (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/09/grand-succes-public-des-deux-premiers.html). Comme lui, la phalange prussienne est venue à Paris avec son directeur musical, Kirill Petrenko.
Ecrivons-le sans attendre, c’est un magistrale leçon d’orchestre qu’a donnée le Philharmonique de Berlin dans une Philharmonie de Paris archi-comble, avec notamment plus de sept cent cinquante spectateurs se tenant debout sans broncher serrés comme des sardines tandis que pas un siège n’est resté vide, pour une Neuvième Symphonie en ré majeur de Gustav Mahler virtuose, sonnant admirablement, d’une luminosité chatoyante, mais d’une retenue excessive car il y aura manqué douleur, introspection, résignation, sentiment d’Eternité.
Cette interprétation remarquable suscite l’enthousiasme tant la qualité de la prestation de Kirill Petrenko et des Berliner Philharmoniker touche à la perfection avec ses sonorités de braise, l’homogénéité de la formation allemande s’imposant immédiatement. Trop, peut-être, sur le plan instrumental. Car, aussi somptueuse soit-elle, cette conception à laquelle je ne reproche rien de bien rédhibitoire dans ce que ses interprètes en ont "dit" hier soir. L’Andante comodo initial était d’une unité confondante mais laissant néanmoins percer les marbrures, défaites de ruptures trop brutales dont il est souvent victime, mais trop peut-être car il y manquait néanmoins la déchirure abyssale qui émane des lignes de force du mouvement, les timbres chauds et ronds des pupitres berlinois paraissant excessivement léchés tant il y manquant un certaine âpreté. Le « paisible » Ländler qui suit a été si bien léchée qu’il est apparu plus proche de la valse noble que de l’essence populaire de ce rythme rural. En revanche, quoique abordé de façon un rien trop sage, le Rondo-Burleske a sonné de façon exemplaire, la polyphonie, jamais saturée, apparaissant limpide, magnifiant une écriture pourtant extrêmement serrée, ce troisième mouvement apparaissant comme éclairé de l’intérieur au point que, chaque ligne exposée avec une étonnante netteté, les Berliner - parmi eux quatre Français, la première flûte Emmanuel Pahud, les deux premières trompettes David Guerrier et Guillaume Jehl, la harpe titulaire Marie-Pierre Laglamet -, sous l’impulsion de leur directeur musical, illustrant avec brio l’inexorable progression de sa dynamique qui finit par exploser littéralement dans l’euphorie fébrile, le bruit et la fureur d’un crescendo assourdissant mais toujours intelligible de l’orchestre entier.
Plus encore que dans les deux
mouvements initiaux, l’Adagio final,
dont l’adagississimo final n’a pas été
atteint pour conclure la symphonie comme exigé par le compositeur dans ses
didascalies de façon vraiment immatérielle, a conduit à relever un manque de
profondeur introspective indispensable pour pénétrer les arcanes spirituelles de
cette œuvre-testament certes virtuose mais surtout d’une douleur abyssale,
parfois au seuil d’une folie due au désespoir, avec cette notion d’Eternité
qui, pour ceux qui ont eu la chance d’y assister, rend l’interprétation de
Claudio Abbado à la tête de son Orchestre du Festival de Lucerne en 2010 si
précieuse, ou encore un Herbert von Karajan avec le même Orchestre
Philharmonique de Berlin enregistré dans le cadre du Festival de Berlin en
1982, Leonard Bernstein avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam en 1985,
Pierre Boulez à Chicago en 1997, Bernard Haitink, Michaël Gielen, Mariss
Jansons, Riccardo Chailly, sans remonter aux aînés Bruno Walter, Otto
Klemperer, Sir John Barbirolli, Jascha Horenstein, Karel Ancerl, Raphaël
Kubelik, Vaclav Neumann, Sir Georg Solti, Carlo Maria Giulini, Giuseppe
Sinopoli… Il n’en demeure pas moins que, dirigé par Kirill Petrenko, son « patron »
depuis septembre 2019, les Berliner Philharmoniker ont donné une magistrale
leçon d’orchestre qui aura enthousiasmé un public plutôt jeune et souvent venu
en couples qui a découvert combien Mahler pouvait leur parler, tant
l’expression est apparue à certains digne d’une « très belle musique de
film ».
Bruno Serrou
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