Paris. Opéra national de Paris Bastille. Mercredi 24 septembre 2025
Vingt-quatre heures après Tannhäuser de Richard Wagner au Grand Théâtre de Genève (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/09/un-tannhauser-de-richard-wagner.html), place à Aïda de Giuseppe Verdi à l’Opéra national de Paris dans une production venue du Festival de Salzbourg. Sur un registre différent, avec néanmoins une partie orchestrale et chorale dirigée avec retenue par Michele Mariotti. Distribution dominée par l’ardente Amnéris d’Eve-Maud Hubeaux, l’énergique Amonasro de Roman Burdenko et le Ramfis d’Alexander Köpeczi. Plus problématiques sont l’Aïda de Saioa Hernández et le Radamès de Piotr Beczała, voix légèrement criardes, et surtout articulation de l’italien peu compréhensible. Mais le problème réel tient à l’exploitation de la scénographie et à la vision de la metteuse en scène Shirin Neshat, qui n’arrive pas à enchaîner les scènes au point de faire systématiquement appel aux précipités plus ou moins longs et exploités avec peu d’inventivité autre que des photos en noir et blanc de visages plus ou moins creusés, ce qui suscite des pertes de concentration du public qui en profite pour bavarder ou plonger le nez dans les smartphones alors que les éléments de décors sont raréfiés et peu encombrants, e que bruits de mitrailleuses et drapeaux noir sont de sortie
Douze ans après la production d’Olivier Py en cette même salle (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2013/10/une-aida-toute-en-or-suscite-un.html), qui l’a reprise en 2016, puis celle de Lotte de Beer en février 2021 qui n’a fait l’objet que d’une diffusion en direct sur Arte Concert pour cause de Covid-21, l’Opéra de Paris présente à Bastille une nouvelle Aïda venue du Festival de Salzbourg où elle a été créée le 12 août 2017 sous la direction de Riccardo Muti avec Anna Netrebko dans le rôle-titre et reprise en 2022. La mise en scène a été confiée non pas à quelque scénographe ou homme/femme de théâtre, mais à une plasticienne, photographe, vidéaste, cinéaste d’origine iranienne exilée à New York, Shirin Neshat. Aïda est son premier opéra, et le sujet lui donne l’occasion d’exprimer les souffrances des victimes des nombreux conflits qui embrasent la planète entière. Une Aïda beaucoup plus dépouillée que celle de Py en 2013, ce qui n’est pas critiquable en soi, au contraire, car le dépouillement est bienvenu ici, dans des décors de Christian Schmidt bien mis en valeur par les lumières de Felice Ross sobre tout en s’avérant imposante sur un plateau tournant révélant diverses facettes d’un cube creux coupés en deux formant gradins, chambre, temple, coursives et tombeau, tandis que les costumes colorés de Tatyana van Walsum intègrent l’action non pas en Egypte mais en Iran et ses gardiens de la révolution, tandis que sont projetées des vidéos de mer, de plages et de déserts parcourus d’ombres humaines qui forment le quotidien des peuples acculés à l’exil. Ces idées ne servent malheureusement pas le théâtre, l’action se déroulant sans continuité façon suite de tableaux sans rapports entre eux, ni direction d’acteurs. Le plus dérangeant est le recours systématique entre chaque scène au précipité, ce qui nuit considérablement à la progression dramatique, tandis que sont projetés sur un rideau de scène les visages burinés en noir et blanc de protagonistes de l’opéra qui se présentent comme des cheveux sur la soupe et qui nuisent à la progression des tensions dramatiques au point que le public a fini par siffler, les protagonistes passant en outre leur temps à s’éviter et à rester plantés chacun dans son coin. Même la scène du triomphe n’incite guère au mouvement, abordé du point de vue des vaincus, viols et tortures inclus, tandis que le ballet est remplacé par un long film en noir et blanc empli d’images de maltraitance physiques des vainqueurs sur les vaincus.
Côté distribution,
point de stars a contrario de la création salzbourgeoise de cette production,
mais un cast honnête mené par l’excellent Ramfis de la basse hungaro-roumaine Alexander
Köpeczi et la puissante Amnéris de la mezzo-soprano suisse Eve-Maud Hubeaux,
qui offre une superbe incarnation de femme jalouse et humiliée mais douée d’empathie
au point de s’avérer touchante lorsqu’elle prend conscience de l’horreur de la
situation finale dont elle est responsable. Moins convaincants, tant vocalement
que scéniquement, l’Amonasro du baryton mongol Roman Burdenko et le roi de la
basse polonaise Krzysztof Bąrcyk. Dans les deux rôles centraux, deux chanteurs à l’articulation
italienne problématique, le ténor polonais Piotr Beczała, qui possède puissance
héroïque en Radamès mais qui n’est guère nuancé et trop criard dans l’aigu, et
l’Aïda de la soprano espagnole Saioa Hernández, plus fine et à la voix séduisante
quoique tendue dont l’incarnation est trop effacée, comme si elle cherchait à s’excuser
de sa voix à la puissance modeste pour ce rôle dans l’immensité du plateau de Bastille.
Le Chœur de l’Opéra de Paris excelle dans cette partition qui lui convient en
tous points. Reste la fosse, qui se montre au diapason avec ce qui se passe sur
le plateau. Malgré son indubitable talent, Michele Mariotti ne parvient pas à
donner vie et souffle à cette production sans relief, sans doute lui aussi
coupé dans ses élans par les longs précipités infligés par la mise en scène au
déploiement de l’œuvre et la concentration du public et, de toute évidence, aux
protagonistes, particulièrement aux musiciens l’Orchestre de l’Opéra qui
semblent comme assoupis - même les fameuses trompettes restent atones -, et il
faut attendre l’acte final pour qu’il acquiert enfin un rôle moteur et révèle l’ampleur
de sa palette sonore, de son nuancier et de sa souplesse.
Bruno Serrou
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