jeudi 19 septembre 2024

Renversantes et immersives Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi par Raphaël Pichon et l’ensemble Pygmalion

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 18 septembre 2024

Raphaël Pichon, ensemble Pygmalion. Photo : (c) Antoine Benoit-Godet  / Cheeese

Sublime soirée d’une ardente spiritualité qu’a offerte au nombreux public de la Philharmonie de Paris particulièrement à l’écoute, comme envoûté, Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion dans les Vespro della beata Vergine de Claudio Monteverdi (1). Un moment de grâce de deux heures de musique des sphères d’une beauté céleste proprement extatique, à tomber à genoux…

Solistes vocaux, ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon. Photo : (c) (c) Antoine Benoit-Godet  / Cheeese

Œuvre charnière publiée à Venise en 1610, trois ans après la création de L’Orfeo et deux ans après celle de L’Arianna, les Vespro della beata Vergine de Claudio Monteverdi (1567-1643) qui auraient été créées en la basilique Santa Barbara de Mantoue le 25 mars 1610, sont l’un des premiers monuments de l’histoire de la musique sacrée occidentale. Méditative et théâtrale à la fois, cette somme de prières mariales dans laquelle le compositeur assimile les styles ancien de la Renaissance et nouveau porteur du baroque est d’essence jubilatoire et n’hésite pas à l’expression d’une réelle sensualité sertie d’une grande virtuosité vocale alternant avec des moments aux reliefs impressionnants confiés aux instruments. Dans ses Vêpres de la Vierge, Monteverdi reprend les principales prières du rite catholique, cinq psaumes, l’hymne Ave Maris stella et le Magnificat, l’ensemble de ces pages de dévotion mariale étant dédié au souverain pontife Paul V dans la continuité du Concile de Trente qui institua la Contre-Réforme particulièrement efficiente à la cour de Mantoue où officiait alors Monteverdi comme maître de chapelle du duc Vincenzo Gonzaga. Le maître lombard fusionne prière et virtuosité, intimité et monumental, l’Eglise et le théâtre, le dépouillement de la dévotion et la complexité luxuriante.

Solistes vocaux, ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon. Photo : (c) (c) Antoine Benoit-Godet  / Cheeese

« Pour moi, écrit Raphaël Pichon dans le texte de présentation de son enregistrement paru en 2023 chez Harmonia Mundi, les Vêpres sont la première œuvre cinématographique de l’histoire de la musique. Le génie dramatique de Monteverdi fait que chaque psaume (et spécialement les trois premiers) se présente comme une véritable scène d’action théâtrale. Monteverdi plante un décor, et nous permet de sentir et de ressentir, de visualiser, de toucher même la musique. Il s’engouffre dans toutes les brèches de la Contre-Réforme. Il a compris que tous les mediums doivent être embrassés pour que le texte pénètre l’auditeur et le travaille. C’est aussi ce qui justifie un tel dispositif musical car la musique des Vêpres est proprement immersive, elle se déploie dans des nappes sonores exceptionnelles. »

Solistes vocaux, ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon. Photo : (c) (c) Antoine Benoit-Godet  / Cheeese

En effet, dans cette œuvre foisonnante en quinze parties associant prière et virtuosité, Monteverdi explore un espace allant de l’intime au monumental comme l’homme d’église et de théâtre qui lui permet d’exprimer son génie. La partition requiert la participation d’un chœur assez fourni pour l’époque, plus d’une vingtaine de membres (trente-trois choristes dans la version proposée ce mercredi par Raphaël Pichon) capable d’assurer jusqu’à dix parties vocales qui alterne ensembles, chœurs divisi et sept chanteurs solistes, tandis que la partie dévolue à l’orchestre désigne expressément un ou deux violons et autant de cornets à bouquin, tandis que le ripieno ou ensemble instrumental n’est pas précisé, à l’instar des antiennes en plain-chant à insérer avant les psaumes et le Magnificat qui conclut l’œuvre.

Solistes vocaux, ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon. Photo : (c) Antoine Benoit-Godet  / Cheeese

Les contrastes entre les moments d’intense recueillement et les plus exubérants et monumentaux, les décalages rythmiques extrêmement serrés entre les voix du chœur atteignent avec Raphaël Pichon une puissance expressive renversante, d’une extraordinaire vitalité, joyeuse et débridée, tandis que les passages au caractère intériorisé et extatique tel le chœur à huit voix qui conclut l’hymne Ave maris stella (Salut étoile de la mer), les fréquents changements de mesure magnifiés par la battue mobile et limpide de Pichon atteignent une plasticité telle qu’ils coulent avec un naturel qui conduit l’auditeur à se laisser volontiers porter à la jubilation, tandis que les musiciens de l’orchestre s’imposent et se délectent dans les passages concertants comme la Sonata a 8 sopra « Santa Maria ». Raphaël Pichon donne le juste poids et la juste pulsion requise par ce monument de la musique, alternant et fondant introspection, recueillement, ferveur, ardeur, exultation, lyrisme, jouissance sonore, sensualité de l’expression, perfection du chant, élasticité des intonations, précision instrumentale, brio de l’interprétation au sein d’une Salle Pierre Boulez dont le moindre recoin aura été utilisé pour l’exécution, la spatialisation jouant une part capitale dans la théâtralité de l’œuvre, tandis que défilait au-dessus du plateau les traductions vernaculaires des textes sacrés latins, ce qui se sera avéré particulièrement pédagogique en ces temps où le sacré chrétien est guère en faveur, chantés depuis divers endroits par des voix solaires de solistes particulièrement engagés, solides et sûrs, les sopranos Céline Scheen et Perrine Devilliers, les ténors Zachary Wilder, Robin Tritschler et Antonin Rondepierre, et les basses Nicolas Brooymans, Etienne Bazola et Renaud Brès, certains se joignant au chœur dans les ensembles, tous dialoguant de concert et soutenus par un ensemble instrumental constitué de vingt-deux musiciens répartis en deux groupes disposés en miroir autour des deux harpes, des six « basses d’archet » et de l’orgue positif central, avec à jardin les deux violons (Sophie Gent et Louis Creac’h) s’exprimant continuellement debout et sonnant comme une douzaine, aux côtés des deux flûtes et du basson, tandis que côté cour étaient disposés deux théorbes, deux cornets à bouquin, trois saqueboutes et le second orgue positif tenant aussi clavecin.

Bruno Serrou

1) Raphaël Pichon, à la tête des mêmes effectifs, reprend les Vespro della beata Vergine dimanche 22 septembre 2024 à 15h00 Opéra Royal du château de Versailles


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