Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Jeudi 19 septembre 2024
Jamais eu aussi mal aux jambes pendant un concert que ce jeudi soir durant
l’exécution de la Symphonie n° 3 de Gustav Mahler par l’Orchestre
Philharmonique de Radio France à l’Auditorium de Radio France confiné que
j’étais en bout de premier rang de balcon côté entre deux murets qui m’ont
empêché de voir les premiers violons. Si bien que je n’ai pu apprécier pleinement
l’interprétation à laquelle je me faisais pourtant une joie d’assister, et sans
doute aurais-je mieux fait d’écouter chez moi le direct de France Musique cette convaincante
réalisation
Il eût pourtant été si simple lorsque le billet m’a été remis que le
service de presse me prévienne que la place qui m’avait été attribuée n’était
pas des meilleures, en raison de l’affluence exceptionnelle, plutôt que de m’en
faire la désagréable surprise une fois rendu à ma place qui ne m’a pas permis
de me plonger dans l’écoute dans les conditions physiques idoines. Confiné
entre deux rambardes de béton noir cachant la totalité des effectifs des
premiers violons surmontées d’une barre garde-fou à hauteur des yeux, le bas
des jambes bloqué et les genoux contre le ventre, la souffrance due aux crampes
a été telle qu’il m’aura été impossible de me laisser porter à la seule écoute
de la plus développée, dense et polymorphe des symphonies de l’histoire de la
musique, la Troisième en ré mineur composée
en 1895-1896 par Gustav Mahler (1860-1911) avec sa centaine de minutes
déployées en six mouvements qui constituent en fait deux parties, le mouvement liminaire ayant la dimension et la structure
d’une symphonie entière, comptant aussi un
scherzando où intervient un cor de
postillon solo dans le lointain, une voix de contralto soliste dans le Misterioso, un chœur de femmes et
d’enfants dans le cinquième mouvement qui fait intervenir de nombreux soli et
tutti allant d’amplifiant d’un orchestre d’une centaine de musiciens
(l’effectif des cordes hier soir était de 18-16-13-11-9) dont une riche
percussion encadrant deux timbaliers, et qui se termine sur l’apothéose d’un
mouvement lent purement instrumental menant à l’Eden de l’Amour qui annonce le
paradis spirituel chanté par la Quatrième
Symphonie en sol majeur.
Pourtant, les conditions étaient
réunies pour une belle soirée de musique malgré l’absence du directeur musical
du Philharmonique de Radio France, Mikko Frank, pour raison de santé, remplacé
par son excellent compatriote finlandais Jukka-Pekka Saraste qui connaît bien
la phalange française qu’il dirige régulièrement et avec laquelle l’entente
semble sans nuages. C’est en tout cas ce qui est clairement apparu dans l’exécution
de cette Troisième Symphonie de
Mahler, puissante, contrastée, ardente, colorée, sonnant avec un brillant et une
assurance de bon aloi.
Originellement conçue en sept mouvements (le
septième constituera le finale de la symphonie suivante), cette œuvre immense
plonge dans la genèse de la vie terrestre, avec un morceau initial contant
l’émergence de la vie qui éclot de la matière inerte, magma informe aux
multiples ramifications et en constante évolution, et qui contient en filigrane
la seconde partie entière, cette dernière évoluant par phases toujours plus
haut, les fleurs, les animaux, l’Homme et les Anges, enfin l’Amour. Le royaume des esprits ne sera
atteint que dans le finale de la Quatrième
Symphonie, originellement pensé comme conclusion de cette Troisième. Du chaos initial jusqu’aux
déchirements de l’Amour qui conclut la symphonie en apothéose sur des
battements enjoués de quatre timbales comme autant de battements de deux cœurs
humains épris l’un de l’autre et transcendés par l’émotion, l’évolution de
l’œuvre est admirablement construite, même si les diverses séquences qui
s’enchevêtrent dans le premier morceau sont parfois trop sèchement
différenciés, sans pour autant paraître décousus, mais les élans insufflés par
Saraste portent en germes l’extraordinaire expressivité des mouvements qui
suivent, y compris du menuet, passage difficile à mettre en place, avec le
risque de surligner les intentions du compositeur qui entendait ménager ici une
plage de repos après les déchirements et les soubresauts qui précédent. Le somptueux scherzo avec cor
de postillon obligé dans le lointain joué depuis les coulisses de l’Auditorium
était onirique à souhait, les bois gazouillant avec une fraîcheur
communicative, tandis que la section de cors l’accompagnait de somptueux pianissimi. L’émotion atteignait une
première apnée dans le Misterioso du
lied O Mensch sur un poème tiré du Zarathoustra de Friedrich Nietzsche,
avec un orchestre grondant dans le grave avec douceur, enveloppant la voix
charnelle et expressive de la contralto allemande Gerhild Romberger émergeant pianississimo à la gauche du chef, et
conduisant à la joie des Anges incarnés par les voix du Chœur de femmes et de la
Maîtrise de Radio France disposés à l’aplomb de la percussion. Enfin, le finale
où Saraste atteint le comble de l’émotion dans une plage de grande beauté, tour
à tour contenue et exaltée, ménageant un immense crescendo venu des abysses de la terre et conduit à la plénitude de
l’Amour conquis de haute lutte, entre doutes et passions. L’Orchestre Philharmonique
de Radio France, qui célébrait l’ultime concert de son alto solo Christophe
Gaugué avant son départ à la retraite, a atteint les cimes sous la direction
souple et respirant large de Jukka-Pekka Saraste.
Bruno
Serrou
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