vendredi 20 septembre 2024

Onirique Symphonie n° 3 de Mahler de Jukka-Pekka Saraste sans premiers violons visibles de l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Jeudi 19 septembre 2024

Jukka-Pekka Saraste, Gerhild Romberger, Choeur, Maîtrise et Orchestre Philharmonique de Radio France. 
Photo : (c) Bruno Serrou

Jamais eu aussi mal aux jambes pendant un concert que ce jeudi soir durant l’exécution de la Symphonie n° 3 de Gustav Mahler par l’Orchestre Philharmonique de Radio France à l’Auditorium de Radio France confiné que j’étais en bout de premier rang de balcon côté entre deux murets qui m’ont empêché de voir les premiers violons. Si bien que je n’ai pu apprécier pleinement l’interprétation à laquelle je me faisais pourtant une joie d’assister, et sans doute aurais-je mieux fait d’écouter chez moi le direct de France Musique cette convaincante réalisation 

Jukka-Pekka Saraste, Gerhild Romberger, Orchestre Philharmonique de Radio France
Photo : (c) Radio France

Il eût pourtant été si simple lorsque le billet m’a été remis que le service de presse me prévienne que la place qui m’avait été attribuée n’était pas des meilleures, en raison de l’affluence exceptionnelle, plutôt que de m’en faire la désagréable surprise une fois rendu à ma place qui ne m’a pas permis de me plonger dans l’écoute dans les conditions physiques idoines. Confiné entre deux rambardes de béton noir cachant la totalité des effectifs des premiers violons surmontées d’une barre garde-fou à hauteur des yeux, le bas des jambes bloqué et les genoux contre le ventre, la souffrance due aux crampes a été telle qu’il m’aura été impossible de me laisser porter à la seule écoute de la plus développée, dense et polymorphe des symphonies de l’histoire de la musique, la Troisième en ré mineur composée en 1895-1896 par Gustav Mahler (1860-1911) avec sa centaine de minutes déployées en six mouvements qui constituent en fait deux parties, le mouvement liminaire ayant la dimension et la structure d’une symphonie entière, comptant aussi un scherzando où intervient un cor de postillon solo dans le lointain, une voix de contralto soliste dans le Misterioso, un chœur de femmes et d’enfants dans le cinquième mouvement qui fait intervenir de nombreux soli et tutti allant d’amplifiant d’un orchestre d’une centaine de musiciens (l’effectif des cordes hier soir était de 18-16-13-11-9) dont une riche percussion encadrant deux timbaliers, et qui se termine sur l’apothéose d’un mouvement lent purement instrumental menant à l’Eden de l’Amour qui annonce le paradis spirituel chanté par la Quatrième Symphonie en sol majeur.

Gerhild Romberger, Jukka-Pekka Saraste, Orchestre Philharmonique de Radio France
Photo : (c) Bruno Serrou

Pourtant, les conditions étaient réunies pour une belle soirée de musique malgré l’absence du directeur musical du Philharmonique de Radio France, Mikko Frank, pour raison de santé, remplacé par son excellent compatriote finlandais Jukka-Pekka Saraste qui connaît bien la phalange française qu’il dirige régulièrement et avec laquelle l’entente semble sans nuages. C’est en tout cas ce qui est clairement apparu dans l’exécution de cette Troisième Symphonie de Mahler, puissante, contrastée, ardente, colorée, sonnant avec un brillant et une assurance de bon aloi.

Jukka-Pekka Saraste, Gerhild Romberger, Choeur, Maîtrise et Orchestre Philharmonique de Radio France. 
Photo : (c) Bruno Serrou

Originellement conçue en sept mouvements (le septième constituera le finale de la symphonie suivante), cette œuvre immense plonge dans la genèse de la vie terrestre, avec un morceau initial contant l’émergence de la vie qui éclot de la matière inerte, magma informe aux multiples ramifications et en constante évolution, et qui contient en filigrane la seconde partie entière, cette dernière évoluant par phases toujours plus haut, les fleurs, les animaux, l’Homme et les Anges, enfin  l’Amour. Le royaume des esprits ne sera atteint que dans le finale de la Quatrième Symphonie, originellement pensé comme conclusion de cette Troisième. Du chaos initial jusqu’aux déchirements de l’Amour qui conclut la symphonie en apothéose sur des battements enjoués de quatre timbales comme autant de battements de deux cœurs humains épris l’un de l’autre et transcendés par l’émotion, l’évolution de l’œuvre est admirablement construite, même si les diverses séquences qui s’enchevêtrent dans le premier morceau sont parfois trop sèchement différenciés, sans pour autant paraître décousus, mais les élans insufflés par Saraste portent en germes l’extraordinaire expressivité des mouvements qui suivent, y compris du menuet, passage difficile à mettre en place, avec le risque de surligner les intentions du compositeur qui entendait ménager ici une plage de repos après les déchirements et les soubresauts  qui précédent. Le somptueux scherzo avec cor de postillon obligé dans le lointain joué depuis les coulisses de l’Auditorium était onirique à souhait, les bois gazouillant avec une fraîcheur communicative, tandis que la section de cors l’accompagnait de somptueux pianissimi. L’émotion atteignait une première apnée dans le Misterioso du lied O Mensch sur un poème tiré du Zarathoustra de Friedrich Nietzsche, avec un orchestre grondant dans le grave avec douceur, enveloppant la voix charnelle et expressive de la contralto allemande Gerhild Romberger émergeant pianississimo à la gauche du chef, et conduisant à la joie des Anges incarnés par les voix du Chœur de femmes et de la Maîtrise de Radio France disposés à l’aplomb de la percussion. Enfin, le finale où Saraste atteint le comble de l’émotion dans une plage de grande beauté, tour à tour contenue et exaltée, ménageant un immense crescendo venu des abysses de la terre et conduit à la plénitude de l’Amour conquis de haute lutte, entre doutes et passions. L’Orchestre Philharmonique de Radio France, qui célébrait l’ultime concert de son alto solo Christophe Gaugué avant son départ à la retraite, a atteint les cimes sous la direction souple et respirant large de Jukka-Pekka Saraste.

Bruno Serrou

 

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