jeudi 4 mai 2023

Le Boulez Ensemble de Berlin a mis en regard Wolfgang Amadeus Mozart et Pierre Boulez en clôture de la 3e Biennale que la Philharmonie de Paris a consacrée à son initiateur

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 3 mai 2023

Michael Wendeberg, Boulez Ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou

Dernier concert de la troisième Biennale Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. En l’absence de Daniel Barenboïm, de nouveau souffrant, son Boulez Ensemble de Berlin a brillé sous la direction de Michael Wendeberg, ex-pianiste de l’Ensemble Intercontemporain.

Le programme-hommage à Pierre Boulez disparu voilà sept ans, le 5 janvier 2016, mettait en regard le fondateur de l’IRCAM et initiateur de la Philharmonie de Paris avec la figure a priori improbable de Wolfgang Amadeus Mozart…

Michael Wendeberg, Boulez Ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou

La première partie était entièrement consacrée à la Sérénade n° 10 en si bémol majeur « Gran Partita » KV. 361/370a de 1784. Ce divertissement instrumental en sept mouvements alternant danses et pages de musique pure a sans doute été composé pour l’orchestre d’instruments à vent de l’empereur Joseph II. Contrairement aux moqueries exprimées par l’un de mes confrères autoproclamé les plus savants, qui m’assurait bien fort d’un air docte que les deux clarinettes basses sont des cors de basset, il s’agissait bien de « clarinettes graves inventées vers 1770 » (Hélène Cao), et que si je voyais bien quatre cors, ils étaient accordés différemment - ce qui n’empêche qu’il s’agit bel et bien de cors, et non pas de cors aux pieds. Bref… Tout cela pour en venir au fait que cette partition écrite pour douze instruments à vent et contrebasse est d’une longueur extrême, et ses trois-quarts de tour d’horloge sont interminables, même remarquablement jouée comme ce fut le cas par le Boulez Ensemble de Berlin dirigé avec enthousiasme par Michael Wendeberg. Pierre Boulez avait enregistré cette sérénade pour son ultime disque studio (CD Philips aujourd’hui Decca) avec les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain dans un couplage assez bizarre si ce n’est l’instrumentarium partiellement commun puisqu’il s’agissait du Kammerkonzert pour violon, piano et ensemble d’instruments à vent d’Alban Berg avec Christian Tetzlaff et Mitsuko Uchida en solistes. 

Boulez Ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est avec plaisir en revanche que l’on retrouvait la musique scintillante et sensuelle de Pierre Boulez en seconde partie. Une seconde partie qui a semblé fort courte, malgré sa quarantaine de minutes, après le long pensum mozartien du début du concert. Bâtie à partir d’une courte pièce pour piano intitulée Incises, sur Incises réunit trois pianos, trois harpes et trois percussionnistes qui amplifient par leurs qualités de résonnance sonorités, timbres et harmonique du piano. Pierre Boulez composa cette œuvre entre 1996, dans la perspective du quatre vingt dixième anniversaire de Paul Sacher, et 1998, et a été créée par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par David Robertson le 30 août 1998 au Festival d’Edimbourg.

Extension pour neuf instrumentistes sur une quarantaine de minutes d’Incises pour piano, pièce de trois minutes créée en 1994 dans le cadre d’un concours organisé par Maurizio Pollini puis développée en 2001 pour devenir l’une des partitions pour piano les plus magistrales du répertoire contemporain, sur Incises compte deux parties s’enchaînant sans interruption. La première, qui est précédée d’un prélude lent, puise son matériau dans la pièce originelle, transcendée par une effusion continue de sons, de timbres et de rythmes tous plus chatoyants, tandis que la seconde partie est plus intériorisée, contenue, contemplative, enchâssant virtuosité du jeu et longues résonances. L’instrumentarium choisi - trois pianos, trois harpes formant trois couples harpe-piano, et trois percussionnistes installé derrière chaque couple et jouant principalement des claviers (deux vibraphones, un marimba), auxquels s’ajoutent ponctuellement cloche-tubes, glockenspiel, steel drums et timbales -, permet en fait une extension du piano d’Incises dont ils renforcent les propriétés (les harpes représentent les cordes, la percussion sa caisse de résonance, les steel drums évoquant un piano préparé) dont il démultiplie les combinaisons sonores, les colorations, les résonances, suscitant une véritable étude de timbres et de rythmes dans un geste singulièrement virtuose suscitant un flux sonore d’une continuité absolue et une flexibilité du son infinie.

Michael Wendeberg, Boulez Ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou

« J’ai pensé que nous avions trois pianistes à l’Ensemble Intercontemporain, me confiait Pierre Boulez lorsque je l’interrogeais en 1998 à propos de sur Incises. Alors pourquoi ne pas faire quelque chose pour trois pianos. La littérature est très rare, contrairement au piano et percussion. Je crois que de ce que je connais et de ce qui est joué, pas très souvent d’ailleurs, c’est le Concerto de Mozart pour trois pianos, qui ne m’a pas beaucoup influencé. J’ai donc commencé par trois pianos. Mais je me suis dit que j’aimerais amplifier ce genre de sonorités par des instruments résonnants aussi mais de natures différentes. C’est ainsi que sont intervenues les trois harpes ou les trois percussions, je ne me souviens plus de l’ordre dans lequel l’idée m’est venue. Trois percussions, mais pas des peaux uniquement des claviers, c’est-à-dire avec des hauteurs précises. Il y a naturellement vibraphone, xylophone, marimba, mais aussi d’autres instruments comme les timbales, que Bartók a d’ailleurs utilisées dans sa Sonate, comme les steel drums que Bartók n’a pas employées - les steel drums sont de forme cylindrique dont le dessus est très cabossé formé de petites plaques qui sont délimitées et qui font des notes prédéterminées très en usage dans les Antilles en particulier où il y a des orchestres entiers de steel drums. J’ai déjà utilisé cet instrument dans deux de mes œuvres pour orchestre, en particulier dans Visage nuptial, lorsque je l’ai réorchestré. Mais pour en jouer c’est coton parce que la succession des notes n’est pas du tout chromatique, il faut chercher le fa dièse d’un côté, le sol de l’autre, le ré d’un troisième côté, etc. C’est vraiment très difficile, alors je n’écris pas des partitions de grande vitesse pour le steel drums. Cette combinaison m’a permis de trouver des sonorités que je n’aurais jamais découvertes autrement. Sur Incises est un piano qui se réfléchit dans plusieurs miroirs. Il s’agit donc chaque fois d’un point de vue différent. Ce qui m’a intéressé dans sur Incises est la réflexion  dans le miroir rythmique. Il s’y trouve des ostinati rythmiques qu’il n’y avait peut-être pas chez moi auparavant, mais qui sont trafiqués, on entend les pointes, on repère qu’il y a un ostinati et en même temps on voit bien que l’ostinato est constamment manipulé, interrompu, remanié, etc. Il y a aussi des choses qui sont aussi très libres, et alors une façon de concevoir la forme avec non pas des thèmes mais une façon de concevoir des motifs qui se répètent mais de façon inattendue. Il y a donc dans sur Incises une structure thématique beaucoup plus forte que dans certaines autres œuvres, et, en même temps, justement parce que l’on peut se raccrocher à des choses qu’on éléments repérables, l’œuvre peut être beaucoup plus inventive, si bien qu’au final, elle n’a plus rien à voir avec une forme classique. »

De cette œuvre étincelante et cristalline qui a acquis la dimension de classique de la seconde moitié du XXe siècle, Michael Wendeberg, dirigeant le geste précis et naturel, a fait un véritable tableau polychrome vivant, les neuf musiciens du Boulez Ensemble de Berlin étant répartis en trois trios piano, harpe, percussion, avec au premier piano Hideki Nagano, seul instrumentiste à avoir participé à la création de l’œuvre au sein de l’Ensemble Intercontemporain. L’interprétation s’est avérée taillée au cordeau, virtuose, onirique, étincelante mais un rien moins acérée que de coutume.

Bruno Serrou 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire